Présent dans les réfrigérateurs et climatiseurs, un puissant gaz à effet de serre va être interdit

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Près de 200 Etats se sont engagés à faire disparaître progressivement les hydrofluorocarbures. Ce puissant gaz à effet de serre est notamment utilisé dans les climatiseurs et les réfrigérateurs.
C’est un long chemin de négociations qui a mené du Protocole de Montréal, signé en 1987, à l’accord conclu tard dans la nuit de vendredi 14 octobre à samedi, à Kigali. Mais la lente diplomatie climatique peut parfois porter ses fruits. A trois semaines de l’entrée en vigueur de l’accord de Paris et du lancement de la COP 22 à Marrakech, l’Amendement de Kigali, juridiquement contraignant, ouvre la voie à l’élimination progressive des hydrofluorocarbures (HFC), l’un des principaux gaz à effet de serre, utilisé dans la climatisation et les systèmes de réfrigération. Cette décision devrait notablement ralentir le réchauffement climatique dans les prochaines décennies.
« Faute d’accord, les experts estimaient que ces substances seraient à l’origine de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en 2050, et auraient généré jusqu’à 0,5°C de réchauffement de la planète d’ici à 2100 », a rappelé la ministre française de l’Environnement, Ségolène Royal, dans un communiqué.
A l’issue des discussions, un calendrier d’élimination a été adopté par les 197 signataires du Protocole de Montréal. Concrètement, d’ici 2019, les pays dits « développés », dont l’Union européenne, ouvriront la marche avec une réduction de 10 % de leur production et de leur consommation par rapport à 2011-2013. Un taux qui s’élèvera à 85 % en 2036. Puis un groupe intermédiaire d’une centaine de pays en voie de développement, incluant la Chine, commencera le gel en 2024. Et un troisième groupe de pays moins ambitieux, dont l’Inde et les pays du Golfe, mettra un dispositif en place en 2028.
En 2047, la quantité de HFC devra avoir été réduite de 85 % pour tous les pays. « Dans le protocole de Montréal cela fonctionne toujours de la même façon : les pays développés avancent en premier, avec des calendriers plus serrés, le marché suit et les technologies sont de moins en moins chères, enfin les pays en voie de développement avancent ensuite », explique à Reporterre Maxime Beaugrand, juriste et représentante en France de l’Institut pour la gouvernance et le développement durable (IGSD).
« La plus importante réduction de températures jamais atteinte par un seul accord »

Selon une étude de l’Institute for governance and sustainable development, une élimination pure et simple des HFC permettrait par exemple d’éviter l’équivalent des émissions du Japon à l’horizon 2030.
Si l’ambition initiale d’éliminer 0,5°C sur le réchauffement futur n’a pas été complètement atteinte à Kigali, Durwood Zaelke, président de l’IGSD, a toutefois considéré que « quasiment 90% de cet objectif » a été rempli. « Cet amendement au Protocole de Montréal éliminant graduellement les HFC est la plus importante réduction de températures jamais atteinte par un seul accord », se félicitait l’ONG américaine samedi. Une clause de révision a par ailleurs été ajoutée à l’accord ; elle permettra d’accélérer le calendrier en fonction des avancées technologiques.
Selon le ministère de l’Environnement français, « les premières estimations de l’accord trouvé permettent d’attendre environ 72 milliards de tonnes équivalentes de CO2 d’émissions évitées d’ici à 2050 ».
Mais au fait, où se cachent ces « supergaz » à effet de serre ? Utilisés depuis les années 90 dans les systèmes de réfrigération, de climatisation, les aérosols, les mousses isolantes, les extincteurs… les HFC sont un gaz de synthèse qui a permis de faire quasiment disparaître d’autres substances très nocives pour la couche d’ozone : les chlorofluorocarbures (CFC) et les hydrochlorofluorocarbures (HCFC).
De l’ozone au climat

Ce sont ces substances que le Protocole de Montréal s’est attaché à éliminer en priorité à la fin des années 80. Et avec le succès que l’on sait : on estime désormais que l’ozone devrait se régénérer jusqu’au niveau de 1980 d’ici le milieu du siècle. Mais la contrepartie climatique a été importante. En effet, les HFC, certes peu nocifs pour l’ozone, ont un très fort potentiel de réchauffement et sont considérés comme l’un des six principaux gaz à effet de serre.
Par ailleurs, si les émissions de ce gaz ne représentent aujourd’hui que 2 % des émissions totales en équivalent dioxyde de carbone, elles augmentent particulièrement vite : 10 à 15% supplémentaires chaque année.
Le coup d’arrêt marqué à Kigali est donc un signal fort, notamment à l’intention des marchés réfrigérants. Car des substituts aux HFC, plus efficaces énergétiquement, existent bel et bien. Hydrocarbures, dioxyde de carbone, ammoniac, eau ou d’autres substances chimiques de synthèse appelées hydrofluoroléfines (HFO)… « Une centaine de produits alternatifs sont disponibles, estime même Maxime Beaugrand. Certes, il y a des problématiques spécifiques dans les pays très chauds, car certains des produits sont moins efficaces à haute température ou peuvent même devenir inflammables. Mais techniquement il n’y a pas de difficulté majeure » pour cesser d’utiliser les HFC, explique la juriste.
« La bataille climatique d’Obama »

D’ailleurs, de nombreux pays ont déjà engagé des démarches pour les éliminer avant même l’accord, notamment l’Union européenne et les États-Unis. « Les HFC sont la bataille climatique d’Obama », explique Maxime Beaugrand, en soulignant la présence à Kigali du secrétaire d’Etat américain John Kerry.
L’Europe a quant à elle adopté un règlement en 2014 qui engage la réduction de la quantité de HFC mise sur le marché d’ici 2030. Les pays les plus directement menacés par le réchauffement - les Etats insulaires, qui ont lancé le mouvement contre les HFC en 2009, et l’Afrique, sont également ambitieux sur ces questions. Autre point important qui devrait faciliter la transition, 16 pays, dont les Etats-Unis et la France, ainsi que des organismes et donateurs privés ont annoncé qu’une aide de 80 millions de dollars pourrait être débloquée pour aider les pays à engager ce changement.
A quelques semaines de la COP 22 qui se tiendra au Maroc, cet accord représente un véritable « élan » pour les négociations à venir et un message clair adressé aux industriels, dit Mme Beaugrand. La porte-parole de l’IGSD voit là une manne d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre « rapide, efficace et peu chère ».
« La marche vers Marrakech commence aujourd’hui à Kigali, avec cette décision d’éliminer le réchauffement issu des HFC. C’est l’étape la plus importante de la mise en oeuvre de l’Accord de Paris », s’est félicité Hakima El Haite, ministre de l’Energie, l’Eau et l’Environnement du Maroc.