Publicité : un décret ouvre la porte au greenwashing

- Pixabay/CC/pasja1000
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Climat« Neutre en carbone », vraiment ? L’argument se développe dans les publicités. Un décret doit l’encadrer. Mais le projet est peu ambitieux, et pourrait légaliser l’écoblanchiment pour des produits ou services polluants.
Une eau minérale en bouteille, une capsule de café ou un plein d’essence peuvent-ils se prétendre « neutres en carbone » ? C’est l’enjeu d’un décret que prépare le gouvernement.
La loi Climat, adoptée l’été dernier, prévoit l’interdiction « d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone, à moins que » le professionnel rende publics certains engagements sur ses émissions. Le décret doit préciser lesquels.
Problème : le projet de texte initial, qui a fait l’objet d’une consultation publique récente, est peu contraignant, selon des défenseurs de l’environnement. À tel point qu’il pourrait paradoxalement faciliter l’utilisation des slogans de neutralité carbone qu’il prétendait restreindre, en leur donnant un sceau de respectabilité et de légalité.
Bientôt des barils de pétrole « neutres » ?
Ainsi, dans une analyse publiée le 8 mars, le cabinet de conseil Carbone 4 craint « une institutionnalisation du greenwashing » (écoblanchiment). Pour utiliser une allégation de neutralité carbone, l’entreprise devra publier la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais « aucun niveau d’ambition pour cette trajectoire » n’est fixé, déplore Carbone 4. Autrement dit, la réduction envisagée pourrait être minime.
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Par ailleurs, pour se déclarer « neutre », l’achat des crédits carbone pour « compenser » les émissions résiduelles du produit sera encadré, mais reste possible quel que soit le produit. Carbone 4 y voit la possibilité « d’incongruités telles que du gaz neutre ou encore des barils de pétrole neutres ».
Inciter à ne pas « réduire de façon significative son empreinte carbone »
Même inquiétude du côté de l’association de consommateurs CLCV (Consommation, Logement et Cadre de vie) : un professionnel pourra utiliser l’allégation « pour des produits de grande consommation très polluants comme la viande importée, l’essence, les vols en avion dès lors qu’il aura recours à des mécanismes de compensation carbone, sans avoir à changer ses pratiques ni réduire de façon significative son empreinte carbone », estime l’association, qui a appelé le gouvernement à revoir sa copie.
Joint par Reporterre, le ministère de la Transition écologique assure être en train de prendre en compte les réponses reçues lors de la consultation publique. Il prévoit une publication du décret « d’ici la fin du mois ».
« Il induit le public en erreur »
La lecture du nouvel avis de l’Agence de la transition écologique (Ademe) sur les allégations de neutralité carbone devrait aussi inciter à un encadrement sévère. Publié mi-février, il est cinglant : « L’objectif de neutralité carbone n’a réellement de sens qu’à l’échelle de la planète. [...] Individuellement ou à leur échelle, les acteurs économiques, collectivités et citoyens ne sont, ni ne peuvent devenir ou se revendiquer “neutres en carbone”. »
L’Ademe prend d’ailleurs soin d’utiliser le terme « neutralité » entre guillemets, le plus souvent. « Par définition, il induit le public en erreur », laissant croire que le produit ou le service n’aura aucun impact sur le climat. L’argument de neutralité carbone « ne permet pas de différencier un acteur réellement engagé d’un autre qui ne fait que de l’affichage », ajoute encore l’Ademe.
L’organisme invite les entreprises souhaitant communiquer sur leurs efforts de réduction des émissions à adopter une communication plus responsable. Elle demande de bannir les expressions définitives du type « produit neutre en carbone », au profit d’affirmations précises, par exemple : « L’empreinte carbone liée à la fabrication de ce produit a été réduite de X % en trois ans. » En somme, des slogans plus modestes, et plus réalistes.