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EntretienSanté

Risques pour la santé et pour l’environnement, la pilule contraceptive en question

La pilule contraceptive est autorisée en France depuis la fin des années 1960 et bénéficie d’un consensus médical sur son inocuité. Auteure d’une enquête sur les risques sanitaires et environnementaux de cette méthode de contraception, Sabrina Debusquat pose des questions dérangeantes sur la pilule.

Qu’est-ce que ça fait, d’avaler tous les jours un petit comprimé plein d’hormones, donc ayant logiquement un effet de perturbateur endocrinien ? L’équipe de Reporterre comprenant nombre de femmes « en âge de procréer », comme on dit, et bien informées sur les effets délétères de ces substances, on se l’est posée, cette question. On a mené une enquête sur la contraception écolo, mais sans trouver toutes les réponses à nos questions. La publication le 6 septembre de l’ouvrage de Sabrina Debusquat, J’arrête la pilule (éditions Les Liens qui libèrent), ne pouvait donc manquer d’aviver notre curiosité.

Pendant un an, cette journaliste indépendante, créatrice du blog santé Ça se saurait, a épluché les études et multiplié les entretiens avec les experts. Le résultat est alarmant : son livre pointe notamment les effets secondaires graves, voire mortels, ou simplement gênants de la pilule, étudie son impact sur l’environnement et piste les conflits d’intérêts et les biais des études promouvant la contraception hormonale.

Bref, une petite bombe dans un milieu gynécologique policé, qui ne veut pas « affoler » ses patientes. Un livre « choquant », qui « manque d’objectivité », a déclaré à l’AFP Geoffroy Robin, du Collège national des gynécologues obstétriciens. Même Martin Winckler, gynécologue, écrivain, défenseur du droit des femmes et fondateur d’un site très consulté sur la contraception, a finalement refusé de préfacer l’ouvrage, le jugeant trop à charge contre la pilule.

Mais Sabrina Debusquat, elle, s’obstine à délivrer son message, revendiquant le droit des femmes à tout savoir sur la pilule.

Sabrina Debusquat.

Reporterre — Qu’est-ce qui vous a décidé à enquêter sur la pilule ?



Sabrina Debusquat — Mon point de départ a été le décalage énorme entre l’expérience que font de nombreuses femmes de la pilule et le discours médico-scientifique dominant. J’ai arrêté la pilule il y a trois ans, j’en ai parlé sur mon blog, et j’ai reçu un flot de commentaires de femmes qui se posaient des questions auxquelles leurs médecins ne répondaient pas. Beaucoup ressentaient des symptômes, classés au rang de l’inexpliqué. J’ai voulu savoir ce qu’il en était.

Ce que j’ai trouvé, c’est que ce dont se plaignent les femmes sous pilule trouve systématiquement des explications scientifiques logiques via des études parfois réalisées depuis les années 1960. Mais il y a un tabou qui fait que l’on n’informe pas les femmes et qu’elles se retrouvent toutes seules.

Quand on enlève les études dont les auteurs ont des conflits d’intérêts, et qu’on ne s’adresse qu’à des scientifiques indépendants, c’est marrant de voir combien le discours sur les hormones synthétiques devient plus pondéré et moins optimiste. J’ai retourné cela dans tous les sens. Je me suis dit : « Ce n’est pas possible, ça ne peut pas être aussi gros. » Visiblement, si.


Vous expliquez dans votre ouvrage que la pilule — la première a été commercialisée en 1957 — est à la base une idée misogyne. Comment cela se fait-il ?



Ce que montre l’histoire de la pilule, c’est que Margaret Sanger, qui a voulu la développer, n’a pas réussi à convaincre avec des arguments féministes. Ce sont ses idées eugénistes qui ont permis de faire financer le développement de la pilule. Les recherches ont été menées par des gens qui n’ont pas du tout écouté les femmes qui testaient les premières pilules. Celles-ci rapportaient plein d’effets secondaires. Par ailleurs, les chercheurs sur la pilule considéraient que les classes supérieures avaient déjà atteint la maîtrise de leur contraception, et avaient surtout peur, dans un contexte de guerre froide, de voir des hordes de pauvres gens se reproduire en masse et commencer à les dominer numériquement.

La pilule a été développée pour des femmes que l’on considérait comme stupides et que l’on ne voulait pas voir se reproduire. C’est une fable de dire que la pilule a été apportée par les féministes. Ce n’est qu’ensuite que, effectivement, elles se sont emparées de la pilule.

Margaret Higgins Sanger (14 septembre 1879 - 6 septembre 1966).


En décembre 2012, Marion Larat, handicapée à 65 % à la suite d’un accident vasculaire cérébral, déposait plainte contre Bayer, le fabricant de sa pilule Méliane. L’affaire a révélé que les pilules de 3e génération pouvaient présenter des risques pour la santé. Marion Larat expliquait notamment que « ces pilules occasionnent 10 accidents thrombo-emboliques veineux pour 10.000 femmes, contre 4 pour les générations de pilules précédentes ». Quels sont les autres risques actuellement sous-estimés d’après le résultat de votre enquête ?


La pilule œstroprogestative [elle associe deux types d’hormones : œstrogènes — sous forme d’éthinylestradiol — et progestérone], qui est celle prise par 90 % des femmes en Europe, est classée par le Circ [Centre international de recherche sur le cancer] comme cancérogène avéré pour les seins, le foie, les voies biliaires et le col de l’utérus [le Circ souligne qu’elle protègerait en revanche du cancer des ovaires et de l’endomètre]. D’après la Société canadienne du cancer, il y aurait dans chaque tranche de 10.000 femmes prenant la pilule œstroprogestative 1 à 2 cas additionnels de cancer du sein. 

Rappelons aussi qu’en comptabilisant uniquement les accidents thrombo-emboliques, sept Françaises subissent chaque jour un problème de santé important à cause de la pilule œstroprogestative (phlébite, embolie pulmonaire) soit 2.529 chaque année. Chaque mois, près de deux en meurent et certaines sont handicapées à vie. Tout cela chez des personnes qui, à la base, sont en parfaite santé.



Après, on observe également les effets bénins — perte de libido, prise de poids, dépression, par exemple. Pour compléter mon enquête, j’ai réalisé un sondage auprès de 3.616 femmes : 70 % disent qu’elles ont eu des effets indésirables sous pilule, dont 46 % une baisse de libido. Il n’y a pas encore consensus sur tous les effets, on manque d’études, mais il en existe déjà qui montrent clairement le lien entre pilule et libido, migraines et, même, maladies immunitaires. Avec certaines pilules, le clitoris est moins vascularisé, on a plus de mal à atteindre les orgasmes. Il faudrait que la recherche s’y intéresse plus.


Autre information utile à rappeler, c’est que la pilule, en agissant sur les hormones, est par définition un perturbateur endocrinien. Cela en fait-il un produit dangereux ?



Oui, la pilule a été créée pour être un perturbateur endocrinien. Cela fait marrer tous les toxicologues, qui savent cela depuis longtemps ! Après, comme vous, je me questionne. Les hormones de la pilule — notamment l’éthinylestradiol — sont mille fois plus puissantes que le bisphénol A, que l’on a interdit dans les contenants alimentaires. Pourquoi décider qu’un perturbateur endocrinien comme le bisphénol A doit être interdit pour tout un chacun et considérer que des molécules encore plus puissantes ne posent aucun problème sur le corps des femmes ?


N’y a-t-il pas un risque d’effet cocktail avec pilule ?



Bien sûr. Comme l’explique William Bourguet, chercheur au centre de biochimie structurale de l’université de Montpellier, manger une pomme avec un peu de pesticides dessus ne sera pas très grave pour un adulte… sauf si les pesticides sont associés à une autre molécule, par exemple la pilule. Comme tout perturbateur endocrinien, l’éthynilestradiol contenu dans la pilule peut s’allier avec 150.000 autres substances chimiques de synthèse pour former des supramolécules dont l’action est 50 à 100 fois plus puissante. C’est le cas avec certains pesticides organochlorés. C’est ce que l’on appelle l’effet cocktail et cela implique des risques que nous sommes pour l’heure incapables de mesurer.

Lucien Neuwirth en 1981. La loi de 1967 qui porte le nom de ce député gaulliste autorise l’usage de la contraception orale.


Vous soulignez également les risques de la pilule pour l’environnement.

Depuis 40 ans, des scientifiques dénoncent l’impact des hormones de la pilule — rejetées via nos urines dans l’environnement — sur la faune. Plus récemment, au Canada, des chercheurs ont injecté quelques nanogrammes par litre d’éthinylestradiol dans un lac, et ont observé les poissons. En 3 années, l’éthynilestradiol a transformé tous les mâles en femelles. Il s’est stocké dans les graisses des femelles qui abritent les futurs mâles et l’espèce a été décimée. Ces effets de féminisation des mâles, de diminution de la fertilité et de perturbation du comportement sexuel des poissons s’observent également chez les mammifères.

En 2013, dans un rapport sur la présence d’éthinylestradiol dans l’environnement aquatique remis à l’Agence européenne pour l’environnement, deux spécialistes, Susan Jobling et Richard Owen, font un lien entre cette féminisation des poissons et l’augmentation des problèmes de fertilité masculine et de malformations congénitales des petits garçons. Des scientifiques nous alertent, mais ils ne sont pas entendus.

En France comme ailleurs, les études montrent que l’éthinylestradiol a contaminé toutes les eaux, y compris celles que l’on capte pour l’eau du robinet. En 2016, les techniques pour éliminer ces hormones en étaient encore au stade expérimental, et présentaient un rendement d’élimination des hormones de 30 à 70 %. Ce sont des choses alarmantes qui devraient susciter un débat public !

C’est pour cela que j’ai écrit ce livre avec des notes de bas de page, des références, pour que chacun puisse refaire l’enquête.


Comment expliquez-vous que le discours dominant sur la pilule soit aussi rassurant, et diffère de ce que vous avez trouvé ?



Il y a trois choses. Tout d’abord, l’idéologie très positive qui entoure la pilule empêche toute critique. Il y a un tabou. Ensuite, il y a une industrie pour qui la pilule est du pain bénit. Il est arrivé plusieurs fois par le passé que l’industrie façonne les normes de la preuve scientifique afin de rendre impossible de « prouver » la dangerosité de tel ou tel produit. Par exemple, pour la pilule, deux études de référence qui présentent des conclusions rassurantes ont des biais énormes. L’une d’elles compare des femmes sous pilule et des femmes qui ont parfois pris les mêmes hormones que celles présentes dans la pilule. C’est comme si on comparait des patients qui prennent le Médiator à d’autres patients qui l’ont aussi pris et que l’on disait : vous voyez, il n’y a pas d’effets secondaires !

La plupart des médecins n’ont pas le temps de décortiquer les études sur la pilule et suivent les recommandations de l’OMS, qui est financée à 75 % par l’industrie. Quant aux discours rassurants de certains gynécologues que l’on entend souvent dans les médias, je vous conseille de vous rapporter à l’enquête réalisée par la journaliste Pascale Krémer, qui montre comment ils sont liés aux laboratoires.



Faut-il arrêter la pilule alors ?



Je ne dis pas « il faut arrêter la pilule ». Elle a représenté un vrai progrès, et je ne prône pas son interdiction alors que des millions de femmes l’utilisent. Je pense juste qu’il faut que chacune fasse son choix de contraception en toute connaissance de cause. Depuis le début des années 2000, partout en Occident les femmes arrêtent de plus en plus fréquemment de prendre la pilule. Il y a un mouvement de fond.

C’est comme pour les interruptions volontaires de grossesse : à l’époque, les femmes se sont battues pour ne plus avoir à les pratiquer dans la clandestinité et risquer d’en mourir. Aujourd’hui, elles se battent pour une contraception sans risque pour la santé. On peut entendre qu’elles n’aient pas envie de prendre un médicament alors qu’elles sont en parfaite santé. Il semblerait que ce soit une idée révolutionnaire alors que, en tant que féministe, elle me semble basique et progressiste.

Mais pour cela, il faut développer de la recherche, investir des fonds, prendre le problème à bras le corps. Si on considère que la pilule c’est l’apogée de la contraception, on ne va jamais avancer.

  • Propos recueillis par Marie Astier

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