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Sports

Le ski, le ras-le-bol des écologistes

Canons à neige en fonctionnement par manque de neige dans la station de Peyragudes (Pyrénées), le 5 janvier 2023

Sabotages, zad... L’opposition à la politique du tout ski grandit au sein des luttes écologistes. Trop gourmande en eau, trop destructrice : les militants comptent se faire entendre. [1/6]

[Série 1/6] Alors que la neige manque, quel avenir pour le ski ? Réchauffement climatique, stations abandonnées ou en reconversion, nouvelles activités... Dans cette série, Reporterre fait le tour d’horizon des défis que doit relever la montagne.



Le 4 février, la zone A a inauguré les vacances d’hiver. Comme chaque année, des milliers de personnes vont dévaler les pentes enneigées des Alpes ou des Pyrénées. Une activité de niche. À peine 10 % des Français pratiquent le ski alpin une fois par an, selon une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) — 25 % selon les Domaines skiables. Une activité coûteuse : de 126 à 378 euros le forfait hebdomadaire. Ce loisir d’une minorité est ainsi de plus en plus contesté.

Alors que les modèles climatiques prévoient une réduction de l’enneigement à basse et moyenne altitude entre 10 et 40 % d’ici à 2050, beaucoup de stations continuent leur politique du tout ski et usent abondamment de canons à neige. Des équipements, symboles de cette fuite en avant, ont été pris pour cibles ces dernières semaines.

Plusieurs d’entre eux ont été sabotés aux Gets et La Clusaz, en Haute-Savoie. La Suisse est également touchée avec des sabotages à Chesières, dans le domaine de Villars-Gryon-Les Diablerets (canton de Vaud), ainsi qu’à Verbier, dans le Valais. Des dégâts chiffrés à « plusieurs milliers de francs suisses ». Ces actes ont été revendiqués dans un texte publié sur le site militant Renversé : « Pendant que la confédération [le gouvernement suisse] nous dit d’arrêter de préchauffer nos fours, la bourgeoisie crache au visage des 99 % restant et proclame ses divertissements écocidaires hivernaux comme étant un droit. »

Les écologistes sont-ils devenus les ennemis du ski, comme s’inquiète La Dépêche du Midi dans son édition du 17 janvier ? « Je pense que ces actes relèvent d’un certain ras-le-bol, estime Vincent Neirinck, de l’association de protection de la montagne Mountain Wilderness. Malgré les enquêtes publiques, les manifestations, le modèle ne change pas. Cela engendre ce type d’actions, ainsi qu’une radicalisation des positions et une incapacité de dialogue. »

Canons à neige, Club Med...

Pour faire tourner les canons à neige, il faut bien sûr de l’électricité. Mais aussi de l’eau, beaucoup d’eau : 4 000 m³ à l’hectare en moyenne. Soit environ 1,5 piscine olympique. Une eau que les stations vont pomper dans les retenues collinaires, comme celles de La Clusaz. Le domaine possède quatre réservoirs et souhaiterait en construire un cinquième sur le plateau de Beauregard. C’était sans compter la lutte des militants écologistes, qui ont lancé une zad et obtenu la suspension des travaux.

« Ce projet de retenue d’altitude incarne la mal-adaptation des territoires de montagne au changement climatique. Miser uniquement sur un prélèvement accru de la ressource en eau pour faire perdurer le loisir du ski sans rechercher d’alternative, le tout en sacrifiant zones humides, faune, flore et espaces d’exception dont la destruction est irréversible et inacceptable », ont écrit les militants dans un communiqué.

Après un été caniculaire et une sécheresse exceptionnelle, l’utilisation d’une ressource de plus en plus rare pour le plaisir de quelques-uns est sujet de discorde. Face à la contestation, les Domaines skiables assurent faire leur maximum pour économiser l’eau. « En France, nous avons un usage parcimonieux de la neige de culture. Seulement 38 % des pistes sont équipées de canons à neige contre 70 % en Italie et 80 % en Autriche. De plus, une fois fondue, l’eau retourne dans les rivières », justifie Laurent Reynaud, le délégué général des Domaines skiables de France.

Mais cette neige de culture n’a pas seulement des conséquences sur l’hydrologie des sommets. En compactant le manteau blanc, les dameuses diminuent le pouvoir d’isolation thermique de la couche neigeuse. Et perturbent la faune et la flore qui vivent à l’intérieur de cet écosystème fragile appelé le subnivium.

La production de flocons n’est pas le seul sujet de contestation. Plusieurs projets d’infrastructures pourraient bétonner certaines vallées, comme de nouvelles remontées mécaniques ou de nouvelles résidences touristiques. Des collectifs s’opposent notamment au troisième tronçon de téléphérique à La Grave dans les Écrins, la restructuration du domaine skiable de Rochebrune-Megève ou encore la construction d’un Club Med à Valloire. Les liaisons de Savoie entre les domaines de Valfréjus et Valmeinier, des Karellis et d’Albiez-Montrond ainsi que l’extension des domaines d’Aussois et de Val-Cenis sont pour l’instant à l’arrêt, à la suite de recours juridiques.

10 milliards d’euros par an

Toutes ces infrastructures pensées pour continuer une politique du tout ski interrogent. Les Alpes se réchauffent deux fois plus vite que le reste du territoire. L’or blanc va devenir de plus en plus rare et sans lui, pas de ski ni de touristes. Durant la pandémie de Covid, où les remontées mécaniques étaient fermées, la fréquentation des stations a chuté de 70 %.

« Pourtant, beaucoup d’activités fonctionnaient : la randonnée, les raquettes, la luge. Mais elles n’ont pas le pouvoir d’attraction du ski alpin. Sans lui, personne ne vient en station », assure Laurent Reynaud. En temps normal, les 250 stations de ski françaises drainent chaque année 10 milliards d’euros de dépenses, réalisées par 10 millions de touristes, dont 25 % d’étrangers. Ce qui place la France au troisième rang mondial derrière l’Autriche et les États-Unis. 18 000 salariés travaillent dans les domaines skiables.

Une poule aux œufs d’or que personne ne souhaite tuer. D’autant que le développement des stations dans les années 1960-1970 avec les différents plans neige a permis d’enrayer l’exode rural dans ces territoires d’altitude. Depuis cette époque, l’imaginaire de la montagne est saturé d’images de skieurs dévalant d’immenses pentes blanches sur fond de sommets enneigés.

« On entend souvent que toute l’économie serait tournée vers le ski. Or la montagne, ce n’est pas que des stations dont le modèle industrialisé a atteint ses limites. Il faudrait désormais la considérer comme une cathédrale de la nature dans laquelle on irait se recueillir et vivre une expérience », poursuit Vincent Neirinck, de Mountain Wilderness. Beaucoup de domaines préparent déjà leur reconversion, comme Métabief dans le Jura ou petit à petit Puigmal dans les Pyrénées. « Il ne s’agit pas de faire du ski bashing, mais de se confronter aux nouveaux défis sans se cacher éternellement derrière des canons à neige », conclut Vincent Neirinck.

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