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Dans les Pyrénées, une station cherche à vivre de la montagne « autrement »

Piste de ski de la station de Puigmal, fermée pour cause de manque de neige en décembre 2022.

Après une longue fermeture, la station pyrénéenne de Puigmal a rouvert ses portes. Avec une neige rare, elle souhaite miser sur d’autres activités. Une reconversion « douce » qui laisse sceptiques les écologistes locaux. [2/6]

[Série 2/6] Alors que la neige manque, quel avenir pour le ski ? Réchauffement climatique, stations abandonnées ou en reconversion, nouvelles activités... Dans cette série, Reporterre fait le tour d’horizon des défis que doit relever la montagne.



Puigmal (Pyrénées-Orientales), reportage

La neige est enfin tombée sur les sommets des Pyrénées. Quelques flocons qui ont formé une couche de 40 centimètres d’épaisseur permettant l’ouverture de la station de ski de Puigmal, à la frontière franco-espagnole. Ce beau manteau blanc était attendu depuis des semaines. Plus précisément depuis le 17 décembre, date à laquelle l’équipe pensait ouvrir ses pistes. Mais ce n’est pas la première fois que la neige se fait attendre dans le massif. L’an passé déjà, il avait fallu reporter le lancement de la saison.

© Louise Allain / Reporterre

Puigmal revient de loin. En 2013, elle avait fermé définitivement après plusieurs saisons sans neige et d’importants investissements pour la rénover. Coût de cette faillite : 9 millions d’euros. Les six communes qui exploitaient le domaine épongent encore les dettes.

La station, dont le télésiège est ici fermé, doit éponger une dette de 9 millions d’euros. © Laury-Anne Cholez / Reporterre

Malgré tout, une bande de passionnés a décidé de relancer la station l’hiver dernier. « Cela m’avait rendu fou de voir cette friche industrielle dans une si belle montagne », raconte Éric Matzner-Lober, professeur de mathématiques à l’Ensae (École nationale de la statistique et de l’administration économique ). Il a convaincu cinq amis de transformer Puigmal en « un centre d’expérimentation de la montagne autrement ». La station ne ressemble pas à ses voisines. Ici, pas de barre d’immeubles ou de ribambelles de chalets habités uniquement l’hiver.

Le site possède un côté sauvage, loin de l’urbanisation galopante qui a défiguré un bon nombre d’autres massifs. Un bel écrin qu’Éric Matzner-Lober souhaite préserver avec un objectif : réduire l’impact du ski sur l’écosystème, en limitant notamment le nombre de skieurs à 1 500 personnes par jour. Il espère ainsi vendre 20 000 forfaits cette année. Avant la fermeture, entre 80 000 et 90 000 personnes dévalaient les pentes chaque année.

« L’idée serait d’acheter son forfait sur internet comme on achète une place de cinéma. Et lorsqu’il n’y en a plus, on pourrait proposer d’autres activités moins invasives comme les raquettes ou le ski de randonnée », poursuit Éric Matzner-Lober. La station a également noué un partenariat avec le groupe hôtelier Riberach, qui affiche une étoile verte au Michelin. « Nous partageons les mêmes valeurs éthiques et écologiques. On ne vise pas le tourisme de masse », explique Julien Montassié, le chef étoilé qui a repris la gestion des deux restaurants de la station : le Cargol 2900 et le Rib & Rac.

La station a noué un partenariat avec le groupe hôtelier Riberach, dont le Cargol 2900. © Laury-Anne Cholez / Reporterre

Avec le changement climatique, la fin du ski est inéluctable

Installé dans la cabane de contrôle au pied du télésiège de la Combe des Rameaux, Bruno Degryse, le chef d’exploitation chargé de la maintenance des remontées mécaniques, affiche un franc sourire. L’homme a travaillé à Puigmal de 1990 jusqu’à la faillite de 2013. « C’était vraiment du gâchis de la fermer après tous les investissements qu’il y avait eu. Je suis bien content que l’activité reprenne. » Si Puigmal est désormais l’une des pionnières en matière de réduction de ses conséquences environnementales, hors de question pour autant de fermer la station définitivement, alors qu’avec le changement climatique, la fin du ski est inéluctable.

En attendant la neige et le retour des skieurs, il lance le télésiège pour faire découvrir le domaine à une partie de l’équipe. Arrivé à 2 300 mètres d’altitude, le panorama est à couper le souffle. À l’ouest, on aperçoit les sommets de la principauté d’Andorre, à peine blanchis. Au nord, de longues bandes blanches strient la montagne noire. Il s’agit des pistes de Font-Romeu, dont les canons à neige fonctionnent à plein régime depuis le début de la saison [1].

Puigmal aussi possède des canons. Bien que dévastateurs pour l’environnement, ceux-ci sont quand même en service dans la station, qui a décidé de ne pas les utiliser à outrance. « Je ne me vois pas fabriquer des tonnes de neige alors qu’on manque d’eau et que les prix de l’électricité augmentent », remarque Éric Matzner-Lober.

Entre 60 et 80 % de neige en moins sont prévus dans le massif d’ici 2050. © Laury-Anne Cholez / Reporterre

Une relance qui laisse sceptique

La réouverture de Puigmal est un pari osé. Certains locaux s’avouent sceptiques, comme Alain Place, un guide de haute montagne qui a collaboré l’an dernier avec la station pour organiser des initiations de ski de randonnée et de raquettes. « Au début, j’étais assez perplexe, c’est difficile d’être compétitif face aux gros domaines. L’idée d’emmener les gens sur une pratique de la montagne plus responsable, proche de la nature est louable. Mais la mise en œuvre risque d’être compliquée. » Côté politique, on s’interroge également sur cette réouverture. « Nous étions tentés par l’idée d’une renaturation totale des lieux après la fermeture de la station pour laisser la nature reprendre ses droits », explique David Berrué, porte-parole Europe Écologie-Les Verts (EELV) des Pyrénées catalanes. La nature n’a donc pas repris ses droits.

Un choix qui peut sembler paradoxal, alors que l’or blanc va se faire de plus en plus rare. Entre 60 et 80 % de neige en moins sont prévus dans le massif d’ici 2050, selon l’Observatoire pyrénéen du changement climatique. « Il faut mettre en œuvre une diversification de l’activité pour être plus résilient face au changement climatique. Le ski peut encore marcher quelques années, mais avec de telles prévisions, ce n’est pas durable », assure Juan Terrádez Mas, chargé de mission de l’Observatoire.

Les repreneurs de Puigmal sont bien conscients de cette perspective. « De la neige, il y en aura de moins en moins. Elle sera de plus en plus artificielle. Relancer une station uniquement basée sur le ski, ce n’est pas rentable en termes écologique et économique. C’est pourquoi nous souhaitons la transformer en un domaine tourné vers les quatre saisons », explique Éric Masson, le directeur exécutif de Puigmal.

Le symbole de la station : le gypaète barbu, porté par Éric Masson, directeur exécutif de Puigmal. © Laury-Anne Cholez / Reporterre

Le défi est de taille, tant le ski alpin reste un moteur d’attraction essentiel. Mais les activités sont multiples : « On souhaiterait proposer des randonnées thématiques, des circuits de VTT. Beaucoup de gens veulent qu’on les prenne par la main pour vivre une expérience. Ils ne veulent pas s’embêter à organiser eux-mêmes », croit Éric Masson.

Développer les offres sur quatre saisons ne fait pas l’unanimité. Vincent Vlès, professeur émérite des universités et ancien chercheur au Parc naturel régional des Pyrénées, s’inquiète des conséquences de ces nouvelles activités sur la faune et la flore : « Cela peut provoquer des impacts non contrôlés : la fréquentation est disséminée, les flux ne sont donc plus concentrés sur une piste de ski alpin. Le discours consistant à développer l’activité économique à la montagne, tout en promettant de respecter la nature, me laisse songeur. La réouverture de Puigmal, c’est une aventure entre copains, mais aussi un peu de “greenwashing”. »

Malgré le manque de neige, la station ne baisse pas les bras, mais devra inévitablement se reconvertir. © Laury-Anne Cholez / Reporterre

David Berrué (EELV) voit dans cette stratégie un prétexte à une nouvelle course à l’équipement : « Dans certains endroits, on voit se développer des luges sur rail, des centres aqualudiques, des tyroliennes, mais surtout des circuits de VTT. » Il prédit d’ailleurs que les VTT — souvent électriques — pourraient remplacer le ski : « Il faut éviter de faire les mêmes erreurs qu’avec le ski et mettre les associations écologiques dans la boucle afin de partager leurs préconisations. Les circuits sont souvent créés sans étude d’impact ».

Les naturalistes mis dans la boucle

À Puigmal, les choses ont été bien faites et les naturalistes consultés dès le début du projet. « Nos conseils pour le balisage des chemins ont été respectés pour la partie basse du domaine. Pour les itinéraires en crête, c’est plus difficile à contrôler. Si un lagopède niche à 50 mètres du tracé et qu’un promeneur s’en éloigne, il peut le déranger », dit Claude Gautier, naturaliste et membre de l’association Cerca, qui a travaillé sur l’ouverture de nouveaux chemins de trails et de randonnée.

À l’aide de ses jumelles, l’homme scrute le ciel à la recherche du couple d’aigles royaux qui vivent dans le massif. Son œil aiguisé ne distingue aucune trace du majestueux rapace. Seuls quelques becs-croisés et mésanges noires chantent gaiement dans les pins à crochets d’un beau vert brillant. D’autres oiseaux emblématiques des hauts sommets comme le grand tétras, le lagopède ou encore le gypaète barbu ont été aperçus à Puigmal. Des espèces protégées que les associations écologiques souhaitent à tout prix préserver. Claude Gautier s’inquiète ainsi des projets de développement sur quatre saisons : « Cette reconversion va faire venir plus de monde toute l’année. Cela peut entraîner de la spéculation immobilière et donc une pression environnementale. »

L’équipe de Puigmal promet qu’elle ne bétonnera pas plus le site. Vingt-quatre écolodges sont tout de même autorisés dans le plan local d’urbanisme. Pas plus, mais pas moins. Ces anciens containeurs maritimes recyclés occupent chacun 15 m2, et les deux premiers modèles viennent d’être installés au pied d’une piste. Pas de quoi bétonner la vallée, mais une façon d’inciter les touristes à rester plus longtemps. « Il va falloir négocier pour trouver une façon de partager cette montagne avec tout le monde, écologistes, skieurs, randonneurs, et mêmes chasseurs et éleveurs. Nous allons trouver des compromis sans imposer de diktat », assure Éric Masson.

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