En Isère, le tourment des stations de ski face à la fin inéluctable

Maire d'une petite commune en Isère, il est à l'initiative d'un référendum sur l'achat de canons à neige. - © Sophie Rodriguez / Reporterre
Maire d'une petite commune en Isère, il est à l'initiative d'un référendum sur l'achat de canons à neige. - © Sophie Rodriguez / Reporterre
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Climat SportsManque de neige, coûts de l’électricité en hausse... Les stations de moyenne altitude galèrent. Certains élus et habitants inventent d’autres modèles, mais l’attachement des villageois au modèle ski reste vivace.
Gresse-en-Vercors (Isère), reportage
À la station de ski de Gresse-en-Vercors, à moins d’une heure de Grenoble (Isère), les canons, qui permettent de produire de la neige artificielle, tournent à plein régime. « Surtout aux heures creuses », précise Jean-Marc Bellot, le maire de cette commune de 395 habitants située à 1 200 mètres d’altitude. Installée au pied du Grand Veymont, entre les massifs du Vercors et du Trièves, la petite station, qui compte 27 pistes, a dû repousser son ouverture d’une semaine et espère accueillir des skieurs pour les vacances de Noël. De nombreuses stations dans les Alpes font face au manque de neige et à l’augmentation des coûts de l’électricité cet hiver. Pas de quoi entamer réellement leur attachement au ski, même si quelques élus, chercheurs et habitants tentent de pousser d’autres modèles.
À Gresse-en-Vercors, la flambée des prix de l’électricité — entre 50 et 80 % — qui interviendra au 1er janvier 2023 devrait représenter un montant de 35 000 à 80 000 euros supplémentaires pour l’Epic. Cet établissement public à caractère industriel et commercial a été créé par la mairie en 2020 pour gérer la station. Pour absorber ces coûts, un raccourcissement des horaires d’ouverture a été décidé, ainsi qu’une participation d’1,5 euro par forfait vendu. « Une heure en moins de fonctionnement des remontées mécaniques, c’est 15 à 20 000 euros d’électricité économisée sur l’année », précise le maire. Les saisonniers en feront également les frais avec 21 recrutements cette saison contre 27 en temps normal. « Ce sont des décisions compliquées, qui n’ont pas été prises de bon cœur », assure Jean-Luc Jamoneau, adjoint au tourisme et président de l’Epic.

Résultat du référendum : le oui pour les canons
La hausse du prix de l’électricité fragilise encore un modèle déjà à bout de souffle. Hausse des températures et décalage des précipitations — à cause du changement climatique — sont responsables de l’enneigement aléatoire qui touche de plein fouet la moyenne montagne. Avant d’être transférée à l’Epic en 2020, l’exploitation du domaine enregistrait un déficit d’environ 100 000 euros par an depuis près de vingt ans, soit 10 % du budget communal. Comme beaucoup de stations de moyenne altitude, la réponse à ces difficultés de fonctionnement est passée par l’installation de nouveaux canons à neige. Neuf canons supplémentaires ont été installés à l’automne 2021 sur les hauteurs du domaine. Leur fonctionnement, associé à celui des quarante-et-un canons déjà installés, représente environ 40 % de la facture d’électricité de la station.

Dans le village, cela ne s’est pas fait sans remous. Élu en 2020 à la tête d’une liste défendant une nouvelle vision pour le territoire et une volonté de développer la démocratie participative, Jean-Marc Bellot a dû gérer ce dossier — héritage de l’ancienne équipe municipale. Opposé au projet, comme une majorité de son conseil municipal, il a organisé au printemps 2021 un référendum. Les habitants se sont prononcés pour les canons, effrayés de voir Gresse-en-Vercors suivre les traces de la station toute proche du col de l’Arzelier, fermée définitivement en 2018. À l’époque, le collectif de jeunes chercheurs Perce-Neige, qui travaille sur des questions liées à la montagne, était intervenu auprès des habitants pour les aider à structurer le débat. « Personne ne voulait la fin de la station, resitue Pierre-Alexandre Métral, membre du collectif et doctorant à l’Université Grenoble-Alpes où il travaille sur le sujet des stations de ski abandonnées. Mais la question centrale était de savoir si on faisait le choix de maximiser les solutions ou si on choisissait d’aller vers un développement plus raisonné. »

L’installation des neuf canons à neige se chiffre à 500 000 euros, dont 200 000 euros portés par la commune. Le reste est financé par la région Auvergne-Rhône-Alpes et le département de l’Isère. Et laisse un goût amer à Jean-Marc Bellot, même s’il veut aujourd’hui regarder vers l’avenir. « Avec la saison d’ouverture de la station qui raccourcit, ce n’est pas en hiver qu’on peut avoir de la marge, mais sur les autres saisons », estime le maire. Il a lancé une réflexion sur le développement de la saison d’été pour attirer des visiteurs dès le mois de mai autour d’activités de découverte de la nature. Créé dans la lignée de la démarche participative qui a abouti à l’élection de M. Bellot, le collectif d’habitants Gresse 2050 soutient la démarche. « Partout où on regarde, on a des sous-investissements : on n’a pas de trottoirs, on n’a pas de pistes cyclables, l’église s’effondre, les enfants vont à l’école dans un préfabriqué… La station est un chouette équipement, mais on ne veut pas continuer à mettre tout notre argent là-dedans », explique Emmanuel Rondeau, membre de Gresse 2050. Un espace de coworking a ouvert ses portes le 15 décembre, soutenu par la mairie, qui réfléchit également au développement d’une pépinière d’entreprises et d’une zone artisanale. Tous souhaitent une transition tournée vers les habitants.

MISER SUR L’ÉTÉ POUR SAUVER L’HIVER
Dans le massif voisin de la Chartreuse, les mêmes questions animent la commune du Plateau-des-petites-roches, située à 1 000 mètres d’altitude. Que faire lorsque la neige manque, lorsqu’on est confronté à un déficit d’exploitation chronique ? Le petit domaine familial de Saint-Hilaire-du-Touvet, qui compte 10 pistes et 5 téléskis n’ouvrira tout simplement pas cet hiver. En cause : les intempéries de décembre 2021. Elles ont lourdement endommagé les installations et le funiculaire. Celui-ci relie la vallée au plateau et ses recettes permettent de combler le déficit structurel de 140 000 euros généré par la station. « C’est un crève-cœur, mais il est impossible pour la commune de faire face à une telle dépense, alors que le funiculaire est à l’arrêt », explique Alexandre Guerra, conseiller municipal en charge de la commission participative citoyenne qui a été mise en place pour réfléchir à l’avenir de la station. Sur cette question, la mairie a en effet donné largement la parole aux habitants via un groupe de travail créé cet automne et rassemblant des élus, des habitants volontaires et d’autres tirés au sort. « Au-delà de la fonction sportive et économique, la station a une fonction sociale, elle représente quelque chose ici », poursuit Alexandre Guerra. « Si on lâche la station, le village est mort », confirme Simon Minaud, habitant du plateau, qui a choisi de rejoindre le groupe de travail pour « tenter de sauver l’une des dernières activités du plateau » et ne pas faire de Saint-Hilaire-du-Touvet une « cité dortoir ».

Lors des travaux du groupe de travail, le scénario de la fermeture définitive a été écarté d’emblée au profit du développement, en été, d’activités douces axées sur les familles. Elles permettraient de renflouer les caisses de la saison d’hiver. Une orientation qui, les habitants l’espèrent, devrait permettre de relancer la station pendant quelques années. Beaucoup, sur le plateau, sont néanmoins lucides. La fin de la station est inéluctable, à plus ou moins longue échéance. « Les habitants ont conscience que vu l’altitude de la station, ça va devenir de plus en plus compliqué et investir dans de nouveaux canons serait démesuré, conclut Alexandre Guerra. Il est impossible de savoir jusqu’à quand on pourra fonctionner, mais on ne s’acharnera pas à ouvrir coûte que coûte. »