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EnquêteÉconomie

Sous la pression, les banques françaises se désinvestissent du charbon

Sous la pression et pour préserver leur image, BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale se retirent d’un méga projet charbonnier en Australie. Un signe de plus que la campagne pour le désinvestissement des énergies fossiles porte ses fruits.

Ça valait le coup de louer deux camions bennes et de déverser 1,8 tonne de charbon devant le siège régional de la Société générale à Bayonne, avec des banderoles « fossoyeur du climat ». L’action a eu lieu le 2 juin dernier à l’initiative de l’association basque Bizi ! dans le cadre d’une campagne menée avec Les Amis de la Terre et Attac qui ont appelé les clients à déserter la banque. Pétitions, interventions publiques, appels à boycott ont complété l’offensive.

Quinze jours plus tôt, ces militants, assistés par des écolos australiens qui avaient fait le déplacement, avaient semé la honte dans la solennelle assemblée générale de la banque, qui a finalement jeté l’éponge début décembre 2014, se retirant du projet Alpha Coal avec GVK-Hancock, prétextant « le contexte du retard du projet ».

Sentant le vent tourner, BNP Paribas et Crédit Agricole ont aussi plié. Le 8 avril, elles ont confirmé, avec la Société générale, qu’elles ne financeraient plus de projets charbonniers dans cette région australienne.

Action de Bizi ! devant la Société générale de Bayonne.

Le charbon n’a jamais été très glamour. Mais ces derniers temps il devient infréquentable. Même perdu en plein bush australien. Ces trois banques françaises font donc machine arrière dans leurs appuis financiers à deux projets géants d’extraction charbonnière en Australie, dans le bassin de Galilée, État de Queensland. Une région considérée comme l’un des plus grands bassins houillers dans le monde aujourd’hui. Le marché envisagé est celui des centrales thermiques de l’Inde, dont le gouvernement est autant impliqué que les compagnies minières associées à ces sociétés australiennes.

Les trois banques françaises abandonnent le projet phare de ce complexe, l’Alpha Project. Dans leurs lettres de réponses publiées par le site des Amis de la terre, Crédit agricole annonce renoncer en relevant « le nombre et l’ampleur des enjeux liés au projet » ,écrit Stanislas Pottier directeur développement durable du groupe. BNP Paribas « prend bonne note des remarques et analyses » des Amis de la terre et « n’envisage pas d’être impliqué dans le financement du développement des projets du Bassin Galilée et des infrastructures reliées ».

Les trois grandes banques françaises aiment bien les projets charbon. Selon Les Amis de la Terre elles comptent toutes les trois « parmi les 25 premiers financeurs du secteur du charbon au niveau international et la BNP Paribas et la Société Générale sont même les 4e et 6e banques à financer les mines de charbon en Australie ». Ces trois enseignes bancaires représentent « 94 % des 30 milliards d’euros de financements français au secteur du charbon entre 2005 et avril 2014 ».

D’autres banques se sont déjà retirées de projets de terminaux charbonniers au port d’Abbot Point, débouché prévu du minerai extrait d’Alpha Coal : Deutsche Bank, HSBC, Royal Bank of Scotland, JPMorgan Chase, Barclays, Citi, Morgan Stanley et Goldman Sachs.

Le désengagement gagne du terrain

Le contexte international n’y est pas pour rien. Diverses banques et fonds d’investissement ont annoncé leur revirement suite aux campagnes de désinvestissement des énergies fossiles relayées par des ONG, des associations locales et les propres sociétaires de ces établissements financiers.

Derniers exemples en date depuis début 2015 : le fonds de pension d’État norvégien SPU, réputé « le plus riche du monde », s’est désengagé de vingt-deux entreprises dans les secteurs du charbon, des sables bitumineux, du ciment, pour un montant de 7 millions de dollars. Six fonds de pension danois étudient ce désengagement et votent en ce mois d’avril sur une « sortie du charbon » d’ici 2018. Le fonds danois PFA a déjà blacklisté les investissements dans les sables bitumineux.

Le fonds de pension des fonctionnaires néerlandais ABP est bousculé par une pétition signée par plus de 10 000 personnes dont beaucoup de ses propres membres, réclamant de sortir des énergies fossiles. Début mars, la Banque d’Angleterre a mis en garde sur le risque financier qui pèse sur les assurances détenant trop d’actions de compagnies pétrolières, sonnant l’alerte sur le poids du changement climatique sur les portefeuilles des fonds de pension. Des collectivités, Londres, Paris, Oslo, annoncent leur retrait de leurs fonds de pension des économies des énergies fossiles.

Après un an de mobilisation étudiante, l’université de Glasgow a été la première en Europe à décider, le 8 octobre dernier, de détourner 18 millions de livres (24,7 millions d’euros) de son fonds de dotation investis dans les énergies fossiles et de geler tout futur lien financier dans le secteur. L’université d’Oxford se tâte. Mais partout cette préoccupation de la responsabilité des placements et actifs est prise au sérieux.

Pour les banques françaises, les enjeux d’image de marque ont ajouté de la pression à quelques mois de la tenue de la COP21 à Paris en décembre 2015. « C’est la première fois que les banques s’engagent à ne pas financer les projets de toute une région en raison de leurs impacts environnementaux et climatiques, note Lucie Pinson, coordinatrice de la campagne aux Amis de la Terre France. Mais la bataille pour le climat ne s’arrête pas là et leurs engagements sont loin de suffire à inverser la hausse de 218 % des financements des banques françaises au secteur du charbon entre 2005 et 2013. Il faut continuer à faire pression sur elles ».


AVEC LES PRINCIPES DE L’ÉQUATEUR, LES BANQUES TENTENT DE SE DONNER UNE BONNE IMAGE

Depuis quelques années, les grandes banques se soumettent à une évaluation dite des Principes de l’Équateur, lancée en juin 2003, et qui prend en compte le respect de l’environnement, des droits sociaux et humains. Cette adhésion volontaire n’engage en fait aucune obligation et n’est donc pas opposable devant une instance. Le bilan des engagements est, en principe, publié tous les ans par les banques.

Ce référentiel de « management des risques environnementaux et sociaux » évalue les impacts des projets qu’elles soutiennent, et dont le coût total en capital dépasse dix millions de dollars US. Trois catégories, A, B, et C, sont attribuées aux projets financés, souvent dans les pays du Sud.

Le classement A épingle les projets dont l’impact social et environnemental est le plus néfaste, comportant par exemple des déplacements forcés de population, des dégradations d’importants sites du patrimoine naturel. Ces critères sont directement inspirés des principes utilisés par la SFI, Société financière internationale, filiale de la Banque mondiale soutenant des initiatives privées de développement.

Projets noirs mais anonymes

Certaines banques ont créé un jargon valorisant leur démarche, comme la Société générale qui parle de « finance à impact positif » même si les constats sont parfois nettement négatifs : sur 51 projets analysés en 2013 par la cabinet Ernst & Young, 22 étaient classés catégorie A, avec ce commentaire langue de bois : « Ses filiales ou succursales contribuent activement à l’économie dans leurs pays respectifs, assument pleinement leurs responsabilités sociales et environnementales, et engagent des initiatives porteuses de progrès pour les communautés et pour l’économie locale. La banque, par ailleurs, fournit des emplois, soutient la création, met en œuvre des actions vis-à-vis des clients "fragiles", accompagne le développement des entreprises, et des collectivités territoriales. »

Le site internet vante « Loyautés des pratiques et transparence financière » à pleines pages, expose largement ses principes, code de conduite, « actions proactives », « postures responsables gagnant gagnant », mais ne livre aucun détail identifiant les projets classés A que la banque soutient, ni les montants financiers investis. Rien non plus dans les 134 pages du rapport RSE 2014 publié par la Société générale.

Juste une ligne, « nombre de dossiers de financement “principes de l’équateur” catégorisés A » et un chiffre : 22. Le discours introductif du PDG Frédéric Oudéa décline les notions de banque de référence et de confiance pour ses clients, met en avant le « capital humain », parle de l’impact direct des achats et consommation dans ses bureaux, mais ne contient pas un mot sur les effets induits de ses investissements dans les pays du sud.

Transparence zéro

De même, la BNP expose à longueur de pages la méthodologie et les belles valeurs de la démarche, mais ne divulgue aucun résultat tangible qui montrerait tant la réalité de ses efforts de transparence que la teneur et l’ampleur de ses objectifs d’une année sur l’autre. Le rapport 2013 n’est disponible qu’en anglais et hormis le chiffre, trois projets catégorie A sur seulement 21 examinés, on devine en croisant des camemberts peu explicites qu’il doit s’agir de dossiers dans la métallurgie, la pétrochimie et le secteur minier.

Le projet charbonnier du Bassin Galilée dans le Queensland compris ? Qui demande au service presse de la BNP de quels projets il s’agit, et de quel montant sont les investissements, s’expose à une réponse laconique : « Je ne peux pas vous donner de précision sur ces projets mais le projet australien n’en fait pas partie. »

Le Crédit agricole, la soi-disant « banque verte » qui s’affirme « pionnier des principes Equateur » publie d’illisibles camemberts ne permettant même pas de mesurer les projets non avouables.

Et un chiffre : 2 projets A sur 47 soutenus par le banque pour l’exercice 2013, et une mention lénifiante : « Ces projets ont fait l’objet d’une diligence environnementale sur la base de leur classement avec une attention toute particulière pour les projets classés A qui sont suivis spécifiquement ». Mais quoi, où, combien ? Mystère et boule de coke.


ALPHA COAL : LE MONSTRUEUX PROJET AUSTRALIEN DU BASSIN GALILÉE

Les trois banques françaises qui ont annoncé leur retrait étaient impliquées dans un ensemble de neuf projets gigantesques qui triplerait pour l’Australie l’émission des gaz à effet de serre. S’il était mené à terme, ce complexe deviendrait la septième source de carbone dans le monde, exportant 330 millions de tonnes de charbon par an, 70 % de plus que l’actuelle émission de gaz à effet de serre australien. Les trois principaux opérateurs, Waratah, Adani et GVK Hancock, annoncent 200 millions de tonnes à eux trois.

L’appui des structures gouvernementales, australiennes et indiennes, est acquis à ce méga complexe minier ainsi qu’à la construction des 500 kilomètres de voies ferrées jusqu’au port d’Abbot Point sur la Grande Barrière de corail, qui envisage la création d’énormes terminaux charbonniers. Dix millions de dollars australiens ont été débloqués par le gouvernement de Queensland pour aider la compagnie indienne Adani à construire une voie ferrée entre les mines et le port d’exportation d’Abbot Point sur la côte nord-est australienne.

Ce mega complexe, les voies ferrées et le port présentent plusieurs menaces pour l’environnement : sur le réchauffement climatique, sur les réserves en eau et la biodiversité du secteur, sur la Grande Barrière de corail déjà fragilisée depuis son inscription en 1981 au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Militant contre ce cynisme du capitalisme industriel, l’ONG 350.org garde bon espoir : « Malgré le soutien du gouvernement, ces projets s’annoncent sur des terrains de plus en plus chancelants, tant côté finance que réputation. Les prix de charbon sont bas, en déclin permanent, alors que l’énergie renouvelable continue à voir ces coûts baisser. »

Un journaliste du Guardian (« The whopping climate change footprint of two Australian coalmining projects », The Guardian, 7 novembre 2013) a fait le calcul : l’extraction du charbon dans les mines, son transport et sa combustion sur trente ans (durée de vie estimée des mines – mais les autorités australiennes pensent aller à soixante ans) représenterait 3,7 milliards de tonnes d’équivalent CO2, soit 125 millions de tonnes par an. Cela représente six fois l’empreinte carbone du Royaume Uni.

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