Total lance une « procédure bâillon » contre Greenpeace

Le vendredi 28 avril, TotalÉnergies a assigné Greenpeace France en justice à cause de son le rapport Bilan carbone de TotalÉnergies, le compte n’y est pas. - © Joao Luiz Bulcao / Hans Lucas / AFP
Le vendredi 28 avril, TotalÉnergies a assigné Greenpeace France en justice à cause de son le rapport Bilan carbone de TotalÉnergies, le compte n’y est pas. - © Joao Luiz Bulcao / Hans Lucas / AFP
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Climat Luttes ÉnergieLa major pétrogazière TotalÉnergies assigne Greenpeace France en justice. Elle l’accuse d’avoir diffusé des « informations fausses et trompeuses » sur ses émissions de gaz à effet de serre.
TotalÉnergies cherche-t-elle à taire sa responsabilité dans la crise climatique ? À quelques semaines de son assemblée générale, la multinationale est sous le feu des colères. Celles des activistes écolos qui promettent de saboter son grand rassemblement, et de certains de ses actionnaires qui ont déposé une résolution pour accélérer sa transition écologique. Mais la major pétrogazière contre-attaque et défend son bilan. Le vendredi 28 avril, elle a assigné Greenpeace France en justice. Elle reproche à l’ONG d’avoir diffusé des « informations fausses et trompeuses sur les émissions de gaz à effet de serre déclarées par TotalÉnergies », a indiqué à Reporterre son service de presse.
Cette poursuite en justice est inédite. « C’est la première fois que TotalÉnergies attaque Greenpeace », dit à Reporterre Clara Gonzales, juriste au sein de l’ONG. Elle marque « un changement de stratégie de [la major] qui, acculée face aux nombreuses critiques, cherche désormais à imiter les majors américaines en intimidant le mouvement climat à travers une procédure bâillon ». C’est ainsi que l’on qualifie une action en justice visant à limiter la liberté d’expression d’un lanceur d’alerte ou une ONG en la poussant à l’autocensure, en l’épuisant financièrement et moralement.
C’est le rapport Bilan carbone de TotalÉnergies, le compte n’y est pas, publié par Greenpeace France en novembre 2022 qui chagrine la multinationale. Commandée au cabinet Factor-X, cette expertise proposait un recalcul de son bilan carbone. Sa conclusion : TotalÉnergies polluerait bien plus qu’elle ne veut l’admettre. La multinationale émettrait 1,637 milliard de tonnes d’équivalent CO2, soit quatre fois plus de gaz à effet de serre que ce qu’elle déclarait sur l’année 2019 — 455 millions de tonnes.

De ce fait, Greenpeace mettait en doute la capacité du géant pétrogazier à atteindre la neutralité carbone en 2050, son principal objectif climatique. L’ONG dénonçait « a minima un manque de sérieux dans le traitement des chiffres du climat, qui peut soit confiner à l’insincérité, soit à une sous-estimation des émissions et donc de la responsabilité de TotalÉnergies dans le réchauffement climatique ».
« Sans prétendre à une “vérité absolue” », Greenpeace affirmait que son chiffrage devait être considéré comme une « contribution au débat ». TotalÉnergies estime, de son côté, que le rapport de Greenpeace repose « sur une méthodologie contestable et comportant de multiples erreurs, doubles comptages et approximations et aboutissant à un résultat incohérent ». Selon Alexis Normand, fondateur de la start-up Greenly, certaines données manquent en effet, ou n’ont pas pu être prises en compte en raison d’un manque de transparence de la major... Il juge qu’en conséquence, l’estimation de l’ONG est « sans doute sous-estimée ».
Plus de six mois après la parution du rapport, Total demande au juge civil d’obliger l’ONG à supprimer le rapport de son site internet et de tout autre support, ainsi que de cesser toute communication à son sujet, sous peine de payer une astreinte de 2 000 euros par jour. Elle demande également une réparation d’un euro symbolique « à titre de dommages-intérêts ». Elle considère en effet que ce rapport lui est préjudiciable en tant que société cotée en bourse.
Total veut « nous empêcher de dénoncer ses pratiques trompeuses et climaticides »
La Commission européenne travaille actuellement sur un projet de directive sur les poursuites baillons, afin de protéger les personnes « qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives ». Pour Greenpeace, celle-ci en est une : « TotalÉnergies veut entraîner [l’ONG] dans une longue procédure judiciaire pour nous empêcher de dénoncer ses pratiques trompeuses et climaticides », affirme sa juriste. La major pétrolière s’en défend. Pour elle, « c’est une question de principe et une condamnation par le tribunal n’empêchera pas Greenpeace de continuer à nous critiquer s’ils le souhaitent, mais leur rappellera que le débat public sur des enjeux aussi importants concernant une société cotée suppose de la rigueur et de la bonne foi ».
Les deux parties se retrouveront devant un tribunal. « Nous sommes prêts : ce sera l’opportunité d’engager un débat contradictoire sur la comptabilité carbone de TotalÉnergies et le caractère irréaliste de sa communication sur sa trajectoire », affirme Clara Gonzales.