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À Bornéo, sur le fleuve, avec les immenses convois de bois tropical

Dans la partie indonésienne de l’île de Bornéo, l’exploitation forestière bat son plein. Les grumes parviennent au port par les fleuves, où d’anciens pêcheurs reconvertis guident des convois pouvant atteindre plus de 200 mètres de long. Un reportage photo impressionnant.

  • Fleuve Lamandau (Kalimantan, Indonésie), reportage

Alors que le réseau routier de Kalimantan (nom de la partie indonésienne de l’île de Bornéo) est soit inexistant, soit en mauvais état, les fleuves qui serpentent à travers l’île sont souvent utilisés comme vecteurs de transport du bois. Dans un ballet organisé, de petits bateaux de pêche guident les convois dans de longs voyages jusqu’aux scieries. Les bateaux se positionnent devant et derrière le bois précieux et ce sont d’anciens pêcheurs reconvertis en convoyeurs de troncs qui orientent le bois en communiquant entre eux par des cris et des signes. La force du courant entraîne les grumes, mais il faut les empêcher de toucher les berges dans les méandres du fleuve Lamandau.

Dans le convoi, la vie s’organise : les repas de riz et de poisson sont pris sur le toit des bateaux. La toilette se fait dans le fleuve, dans des zones réputées sans crocodile. La nuit, les hommes doivent redoubler de vigilance, car ces milliers de m3 de bois précieux attisent les convoitises. Il n’est pas rare que la valeur des convois atteigne le demi-million d’euros ! Aux abords des villes, des pilleurs s’emparent parfois d’un ou deux troncs, qu’ils revendront à bon prix au marché noir. Les nuits sont donc passées à balayer les rives avec de puissantes lampes.


Les convoyeurs arriment les grumes du convoi.


Les critères de gestion durable des forêts imposent de marquer l’origine des troncs en les identifiant. Ceux-ci sont lancés dans le fleuve depuis la rive. Ces bois sont issus d’exploitations légales : sur des concessions de 25.000 hectares accordées par l’État, les compagnies prélèvent quelques arbres à l’hectare. La forêt est appauvrie, mais subsiste. Cependant, l’accès qu’ouvre l’exploitation dans la forêt facilite une déforestation illégale qui implante les plantations de palmiers à huile.


L’organisation du trajet est méticuleuse. Au fur et à mesure qu’un tronc est ajouté au convoi, le responsable note ses caractéristiques et les communique par téléphone à la scierie qui va réceptionner les troncs. Une erreur de dimension ou de diamètre peut entraîner de sérieux ennuis pour l’équipage à l’arrivée.


Il est 6 heures du matin. Un dernier « au revoir » aux femmes et aux enfants, on vérifie que les derniers bidons d’eau potable sont chargés, puis les six petits bateaux de pêche peuvent partir. Dans un ballet organisé, ils guident le convoi jusqu’à la ville portuaire de Pangkalanbun, un voyage de trois jours et deux nuits.
Lorsque le courant est tranquille et qu’il n’y a pas d’alerte, les hommes trouvent un moment pour assurer les tâches quotidiennes, telles que la lessive, un brin de toilette ou la préparation du repas.
C’est la force du courant qui entraîne les grumes, mais il faut les empêcher de toucher les berges dans les méandres du Lamandau. Pendant plus de soixante heures, les six hommes sont tenus à une vigilance incessante.


Les trajets s’effectuent toute l’année, y compris lors de la saison des pluies, où il peut pleuvoir plusieurs jours durant. Le transport fluvial ne s’interrompt que pendant la période d’étiage.


Un bateau représente une somme d’environ 1.000 € et chaque convoyeur est propriétaire de son embarcation. Chacun est donc très attentif à son entretien, mais ces vieux bateaux de pêche sont régulièrement sujets à des pannes mécaniques, ce qui oblige leurs propriétaires à les remettre en état pendant le trajet, au péril des aléas du courant. 


Lors de ce trajet, 429 grumes ont été arrimées en un épi de plus de 200 m de long, ce qui représente un volume de bois d’environ 2.000 m3. Le diamètre de certains troncs avoisine les deux mètres. Ce bois tropical précieux a une très forte valeur marchande : il y en a ainsi pour sept milliards de rupiahs indonésiens, soit un demi-million d’euros de bois transporté.


Les grumes humides sont glissantes, tournent sur elles-mêmes et s’enfoncent dans l’eau une fois le pied posé. Mais les anciens pêcheurs ont développé une impressionnante habileté à se déplacer sur cet immense radeau de bois et le parcourent avec sérénité.


Bien qu’en pleine nature, les convoyeurs respirent en permanence les gaz d’échappement des moteurs de leurs embarcations.


Aux abords des villages, il est courant que des pilleurs nagent discrètement jusqu’au convoi et s’emparent d’un ou deux troncs, qu’ils revendront à bon prix sur le marché noir. Les nuits sont donc passées à balayer les rives avec de puissantes lampes, tout en restant vigilant sur le cap à suivre pour que les berges ne soient qu’effleurées. Des bougies disposées sur les grumes donnent la forme du convoi. 


Des centaines de mètres de corde sont utilisées pour accrocher les troncs. Les convoyeurs ont pris l’habitude de vérifier régulièrement l’accroche, les nœuds et la solidité des cordages.


L’arrivée dans la ville portuaire de Pangkalanbun annonce le repos : les six hommes vont pouvoir fermer l’œil. Le bois est sorti de l’eau et s’apprête à passer sur les bancs de scie. Meranti, ramin, ébène de Macassar : ces bois précieux finiront en ébénisterie, parquet ou meubles dans le monde entier. Après une courte nuit, les six hommes repartent au village. Jusqu’au convoi suivant, quelques jours plus tard.

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