À Hyères, la Côte d’Azur envahie par le béton

Les bords de mer sont souillés par les amoncellements dûs aux travaux. - © Théo Giacometti / Reporterre
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Étalement urbainLa presqu’île de Giens est en proie à une frénésie immobilière. De nombreux chantiers qui artificialisent et privatisent toujours plus un littoral fragile et inondable, dénoncent des habitants.
Hyères (Var), reportage
Il fut un temps où Isabelle Truffaut apercevait la mer de sa terrasse. Trois barres d’immeubles ferment désormais l’horizon. Cette ancienne navigatrice doit se contenter d’observer le ballet des grues qui s’affairent chaque jour. Vinci Immobilier prévoit de construire ici 165 logements, la résidence « Green Park ». Un nom aux sonorités vertueuses pour des immeubles érigés sur des terres agricoles.
« Le dernier maraîcher a fini par vendre lui aussi », dit Isabelle Truffaut. Pourtant, le plan d’occupation des sols prévoyait d’étendre le parc voisin sur ce terrain. Manifestement, ce n’est pas l’option retenue par la municipalité… » ironise Reynold Ignace, président du comité d’intérêt local formé par les habitants d’une résidence voisine. Et s’il n’y avait que ce chantier-là…

Un tour de l’appartement d’Isabelle permet de prendre la mesure de la frénésie urbanistique qui s’est emparée de la ville. Côté salle de bains, un projet de 22 logements, côté chambre, une autre résidence, de 45 logements. Isabelle est cernée. À la sortie de l’immeuble, des monticules de gravats jonchent le bord de la route.
9 000 logements de plus
Des semi-remorques et des camions-bétonnières déboulent d’un autre chantier, signé Vinci lui aussi, situé à moins de 300 mètres de là. 172 logements y sont prévus cette fois.
« J’ai compté 15 chantiers, rien que dans le centre de Hyères », relève Isabelle Truffaut. C’est un fait, ça construit à tout-va. « Le PLU [Plan local d’urbanisme] voté en 2017 prévoit la construction de plus de 9 000 logements pour la période 2020-2030 », précise Reynold Ignace. Le maire Jean-Pierre Giran (LR) s’est fixé un objectif de 65 000 habitants d’ici une quinzaine d’années, contre 56 000 aujourd’hui.

Mais qu’a-t-il bien pu se passer pour que tant de nouvelles constructions fleurissent ? Située sur la Côte d’Azur, à quelques kilomètres à l’est de Toulon, Hyères est un écrin naturel de 13 000 hectares comprenant la presqu’île de Giens, son littoral protégé et ses zones humides mais aussi les îles de Porquerolles et de Port-Cros qui lui font face.
L’été, la population explose. Paradoxe pourtant, la ville perd des habitants, comme le rapportent nos confrères de Var Matin. La plupart des nouvelles constructions concernent en fait des résidences secondaires ou des complexes touristiques, au risque de voir les habitants historiques poussés vers la sortie.

L’urbanisme, ici, doit composer avec un obstacle de taille : l’eau. À y regarder de plus près, le Green Park en face de chez Isabelle pousse sur des sortes d’échasses de béton. Tous les immeubles de la résidence sont construits sur pilotis. Comme une grande partie de la ville, ce site en construction se trouve en zone inondable.
En janvier 2014, des pluies diluviennes avaient provoqué des inondations majeures, causant la mort de deux personnes. Dans le nord-est de la ville, la résidence des Salins, sortie de terre l’an dernier, a poussé en pleine « zone de submersion forte » dans un rectangle miraculeusement préservé de la montée des eaux…

« On vient habiter à Hyères pour un équilibre ville-nature qui se dégrade rapidement depuis quelques années », se désole Benoît Guerin, de Hyères Écologie Citoyenne, une association fondée par des Hyérois désireux d’organiser des actions festives pour dénoncer les excès de bétonnage que connaît leur ville. « Il y a une absence totale de prise en compte des végétaux ici », ajoute-t-il.
Cet été, l’association a organisé des manifestations avec parasols, ombrelles et bétonnière en fleurs sur la place Clemenceau, en centre-ville, particulièrement artificialisée et devenue un îlot de chaleur invivable l’été.

Dans son bureau situé au dernier étage de l’hôtel de ville, la mer dans son dos, Jean-Pierre Giran se défend d’être un maire-bétonneur. Le nombre de chantiers en ville ? « C’est la loi SRU [Solidarité et renouvellement urbain] qui nous y oblige », assure-t-il. Cela fait des années que le maire dénonce sur tous les tons cette loi qui oblige toutes les communes de plus de 3 000 habitants à se doter de 25 % de logements sociaux.
Des décennies de retard
Comme beaucoup de villes de la Côte d’Azur, Hyères n’est pas dans les clous (la part de logements sociaux s’y élève à environ 9 %) et paye des pénalités financières à l’État pour ça. « Je crois qu’il faut construire du logement social. Mais l’État ne peut pas nous demander de construire d’un côté et de limiter l’artificialisation des sols de l’autre », se défend-il. Sauf que la loi SRU a été votée en… 2000. Voilà donc 22 ans que la municipalité peut agir afin de rattraper son retard. Un volontarisme peu évident à observer au regard de la faible proportion de logements sociaux proposés. Et toutes les constructions en cours ne sont pas des HLM, loin s’en faut.
Son avis sur la place Clemenceau, particulièrement bétonnée ? « Cette place était déjà imperméabilisée avant sa rénovation ! On ne peut pas planter d’arbres parce qu’on a 4 étages de parkings en dessous ! » tonne-t-il, avant de couper court à l’interview et de nous mettre à la porte. Circulez, il n’y a rien à voir.

S’il faut encore se convaincre d’une urbanisation en roue libre, un tour sur la presqu’île de Giens s’impose. Les accès au littoral ont depuis longtemps déjà été cadenassés par la plupart des locaux. « C’est bien simple, de la route, on n’a plus d’accès public à la mer, la loi Littoral n’est pas respectée », déplore une habitante de longue date, qui préfère garder l’anonymat.
« On n’a quasiment plus la possibilité de construire sur la presqu’île, on ne délivre plus de permis d’ailleurs », nous assurait M. le maire. Une fois sur place, force est de constater que les panneaux de permis de construire s’affichent à chaque coin de rue, ou presque. Ici une résidence, là un lotissement, ici une extension de maison.

À l’extrémité sud, un gigantesque chantier éclaircit une pinède centenaire. Une résidence de tourisme 4 étoiles du groupe Odalys doit s’élever ici au printemps 2024. Le chantier, gigantesque, s’étend sur 38 000 m². Les ouvriers coulent le béton à même le sable. Les montagnes de gravats s’élèvent à quelques mètres de la plage, à peine retenues par des grillages déformés qui laissent les déchets déborder.
« L’urbanisation massive va avoir un impact majeur sur les populations d’oiseaux. Le problème dans le Sud-Est concerne surtout les zones agricoles qui disparaissent peu à peu. Or les linottes mélodieuses, les alouettes, les chardonnerets ou les verdiers sont autant d’espèces qui évoluent dans ces zones. On observe déjà une raréfaction des espèces protégées, une banalisation des espèces », décrit Lorraine Charpentier, une bénévole de la Ligue de protection des oiseaux.
« Les enjeux du tourisme prennent le pas sur la biodiversité »
« On l’observe partout, même sur des espaces protégés, les enjeux du tourisme prennent le pas sur la biodiversité », explique Clémence Guimont, maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Pour cette spécialiste des politiques territoriales en matière de biodiversité, « l’ennui, c’est que la nature n’a pas le droit de vote. Difficile pour elle de faire valoir ses droits ». Malgré la loi climat et la volonté de limiter l’artificialisation des sols, la tendance est toujours à plus de béton. Ce qui fait dire à Clémence Guimont : « C’est une question de conviction. Nos décideurs tiennent un discours de façade, mais pas de réelle intention de changer de logiciel. »
Les habitants mobilisés dénoncent la contradiction entre ces chantiers innombrables et l’obtention récente par la municipalité du label opération grand site de France, attribuée à des sites fréquentés qui « respectent “l’esprit des lieux” » et « dont la fréquentation est compatible avec sa conservation ». Et Benoît Guerin de conclure : « La presqu’île est vendue en morceaux aux promoteurs. »
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