A Notre Dame des Landes, les Naturalistes en lutte ont changé la donne

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Dans le combat qui se mène à Notre Dame des Landes, on avait presqu’oublié un enjeu essentiel : la nature. Jusqu’à ce qu’émergent les Naturalistes en lutte : un collectif spontané, mêlant experts et citoyens. Leur expertise scientifique corrige les sidérantes lacunes des études officielles.
- Notre Dame des Landes, reportage
Dimanche 2 février, Zad de NDDL, hangar « la VacheRit », 14h15. Il y a là quelques 200 personnes, deux fois plus de bottes en caoutchouc, et un petit air de printemps. Comme tous les premier dimanche du mois depuis janvier 2013, les Naturalistes en lutte viennent ratisser le terrain et faire découvrir le bocage à un public familial et curieux. Mais ce jour est un peu particulier, c’est la « journée mondiale des zones humides ». Et cette sortie fait suite à une soirée spéciale à Nantes, au cours de laquelle les Naturalistes présentaient les résultats de leurs travaux devant une salle comble.

En un peu plus d’un an, l’équipe des Naturalistes est devenue un acteur clé de la lutte contre l’aéroport.
Ce collectif s’inscrit dans le courant de la recherche participative, qui fait partie des nouveaux modes d’exercice de la citoyenneté en plein essor depuis une vingtaine d’années. Parmi ceux-ci, on trouve des réseaux de citoyens lanceurs d’alerte concernant la protection de la nature. Ces programmes permettent d’associer des scientifiques aux amateurs mobilisés individuellement ou autour d’associations, et les enjeux concernent l’élaboration ou la remise en cause de politiques publiques.
Structure informelle organisée, les Naturalistes en lutte regroupent des membres de plusieurs associations de protection de l’environnement (dont : France Nature Environnement, Ligue de Protection des Oiseaux - LPO -, Bretagne Vivante, Groupe Mammalogique Breton, Eau et Rivières de Bretagne…), des étudiants en biologie et sciences naturelles de l’université de Rennes I, des personnes travaillant dans des bureaux d’études et de simples citoyens amoureux de la nature.
« C’est, à ma connaissance, un cas sans précédent », dit Loïc Marion, chercheur en écologie au CNRS à l’université Rennes I. « On a là un groupe de plus de deux cents naturalistes bénévoles, dont le travail va pallier les insuffisances des études officielles. Cette mobilisation citoyenne a permis de démontrer les faiblesses de l’inventaire du bureau d’études Biotope mandaté par l’Etat. Sur la méthode d’investigation pratiquée par les Naturalistes en lutte, il n’y a rien à redire. C’est un travail de grande valeur scientifique ».
Ornithologue échange savoir avec entomologiste

Jumelles en bandoulières, Guy Bourles fait partie de ces irréductibles, omniprésents sur le terrain. Pêcheur professionnel, il est naturaliste à la LPO depuis plus de 25 ans, et anime des groupes au sein des naturalistes en lutte. « A cette échelle de moyens et de compétences, c’est la première fois que je vois une mobilisation pareille », résume-t-il.
« Cela nous a surpris nous-mêmes. Nous sommes un milieu relativement cloisonné. Il est rare qu’un spécialiste des insectes échange régulièrement en co-étude avec un spécialiste des oiseaux. C’est ce qui se passe ici ; au-delà du travail d’inventaire, on propose un véritable échange des savoirs. Et sur les deux cents personnes, on a un noyau dur d’au moins cinquante personnes qui sont des experts dans leurs domaine. Il faut dire que dès le départ, on a pressenti ce qui se jouait à NNDL : une sorte de laboratoire de déformation de la loi sur l’eau qui faciliterait la destruction des zones humides ».
François de Beaulieu, investi dans l’association Bretagne Vivante, est porte-parole des Naturalistes en lutte : « Chacun avait conscience qu’on avait affaire à une nature d’une exceptionnelle richesse. En novembre 2012, on a lançé un appel sur nos réseaux associatifs. En décembre le blog et la boite mel étaient ouverts, et on a donné rendez-vous pour le premier dimanche de chaque mois afin de commencer les inventaires naturalistes. Le message est passé de façon… virale ! »

- François de Beaulieu -
En effet, pas moins de 220 personnes se sont retrouvées lors du tout premier rendez-vous. « Les plus réguliers habitent dans un rayon de cent kilomètres en moyenne. Les personnes sont d’âges et de milieux sociaux extrêmement divers, ce qui fait beaucoup pour la richesse du débat ».
Dès le début, le collectif s’organise, se répartit par thématiques selon affinités et connaissances. Batraciens, reptiles, insectes, oiseaux, flore, mammifère, il y en a pour tous les goûts ! « Chaque sous-groupe est accompagné d’un ou plusieurs coordinateurs. En plus des rendez-vous mensuels, certains viennent travailler sur place dès qu’ils en ont la possibilité. Et il y a aussi un gros travail pour préparer les fonds de cartes, les protocoles, les fiches d’identification, rédiger les synthèses ».
Et accessoirement, décortiquer, en moins d’un mois, les 4247 pages du dossier de demande de dérogation à la destruction d’espèces protégées, déposé par les maîtres d’ouvrage (AGO et la DREAL pays de la Loire).
"Ils font le travail qu’aurait dû faire l’Etat"

Mais il en faut plus pour effrayer les Naturalistes en lutte. « Nous avons maintenant
un pôle de contre-expertise capable de contrer, dans le détail, les arguments des porteurs de projet. Et notre objectif reste de répondre à toutes les demandes des juristes qui préparent les dossiers », résume François de Beaulieu.
Romain Ecorchard, juriste de l’association Bretagne Vivante, fait partie de l’équipe juridique de la lutte contre l’aéroport. Pour lui, le travail fourni par les naturalistes « apporte une vision critique des études officielles et propose une contre-expertise très fouillée, grâce notamment au travail de terrain. Les Naturalistes en lutte ont permis d’élever le niveau du débat avec des données très techniques, précieuses pour nous autres juristes. Si on est capable de démontrer l’insuffisance des dossiers que nous mettons en cause, les arrêtés seront annulés et la procédure devra reprendre depuis le début, ce qui serait bien fâcheux pour les porteurs de projet ! »
Julien Durand, président de l’ACIPA , confime : « Le travail des naturalistes apporte une base technique concrète et fiable. Les documents qu’ils fournissent alimentent et consolident tout le volet juridique. En fait, ils font le travail qui aurait dû être fourni par le cabinet d’études mandaté par l’Etat. Mais ils sont plus nombreux, et mettent plus de moyens en terme de temps passé sur zone. Par ailleurs, leur présence élargit le champ de mobilisation, en touchant d’autres couches de citoyens. Pour nous, c’est un appui très important ».
Pour résumer, « Les naturalistes ont montré que l’inventaire officiel est tronqué, ils contestent la méthode de compensation, et remettent en question l’idée même de compensation » note Loic Marion.
La bataille, loin d’être finie, promet d’être rude. En filigrane apparaissent des enjeux qui dépassent le cadre strict de l’aéroport. En effet, la méthode de compensation imaginée par le bureau d’études Biotope laisse perplexe. En cas de destruction d’une zone humide, la loi oblige à compenser les pertes, espèce par espèce.
Pour le chercheur au CNRS, « le bureau d’études officiel attribue de manière arbitraire des points à telle ou telle espèce, et comptabilise ces points en fonction des surfaces sur lesquelles l’espèce est présente. Mais dans leur système, tout se vaut : par exemple, on va compenser la perte de lézards vivipares par la création de prairie humide. C’est une méthode comptable qui détourne totalement l’esprit de la loi.

Pour moi, c’est comme remplacer des carpes par des lapins, ça n’a pas de sens. Si cette méthode est validée, elle va faire jurisprudence, et, à terme, c’est tout le socle de la protection de la nature, espèces et habitats, qui serait remis en cause ».