« J’ai peur pour ma famille » : près de Saint-Nazaire, une usine d’engrais inquiète

Plus de 400 personnes ont manifesté à Saint-Nazaire contre l'usine Yara, le 14 octobre 2023. - © Héloïse Leussier / Reporterre
Plus de 400 personnes ont manifesté à Saint-Nazaire contre l'usine Yara, le 14 octobre 2023. - © Héloïse Leussier / Reporterre
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Environ 400 personnes ont manifesté le 14 octobre à Saint-Nazaire, pour réclamer la fermeture de l’usine Yara. L’entreprise pollue en toute illégalité depuis de nombreuses années.
Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), reportage
Même jour, même lieu, même heure, même mécontentement. Comme l’an dernier à cette date, samedi 14 octobre, une dizaine d’associations [1], des habitants et élus ont manifesté à Saint-Nazaire pour que l’usine Yara cesse de polluer en toute impunité. « Il y a des anniversaires que l’on préférerait ne pas souhaiter », soupire Marie Aline Le Cler, membre fondatrice de l’association AEDZRP44.
En fait, cela fait bien plus d’un an que le fabricant d’engrais implanté dans l’estuaire de la Loire, à Montoir-de-Bretagne, ne respecte pas les normes environnementales. Rejets de phosphore et d’azote dans l’eau, particules fines, accidents... Les premières mises en demeure de la préfecture datent de 2011. Mais l’industriel préfère payer des amendes (jusqu’à 500 000 euros par an), plutôt que d’investir dans les travaux nécessaires à sa mise aux normes. « Cela n’a que trop duré ! » certifie cette habitante de la commune voisine de Donges.

Les manifestants, environ 400 selon les organisateurs, se sont rassemblés devant l’hôtel de ville de Saint-Nazaire puis la sous-préfecture. Ils réclament dorénavant la suspension administrative de l’entreprise jusqu’à la réalisation des travaux prescrits. Une option qui ne pénaliserait pas les salariés, puisque Yara devrait continuer à les rémunérer.
« La décision ne pourra venir que de la préfecture, mais nous demandons aussi aux élus de l’agglomération [la Carene] d’être plus actifs. Nous aimerions qu’ils portent plainte », explique Marie Aline Le Cler. Une pétition papier, qui a déjà récolté 1 500 signatures, a également été lancée. Les associations vont à la rencontre des habitants sur les marchés, pour leur expliquer la situation et récolter des signatures. « Beaucoup ne sont pas au courant. »
« Tant pis pour les menaces, on va continuer à se battre »
« Sur le littoral, les habitants ne sont pas assez sensibilisés à la question des pollutions », confirme Valérie Fraux, conseillère municipale à Pornichet. Pourtant, à l’arrière des stations balnéaires, dans les terres et le long de l’estuaire, se trouve une foule d’usines. « La centrale à charbon de Cordemais, la raffinerie Total, Airbus, le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne... », énumère Didier Ott, membre des associations Ligue des droits de l’Homme, Vivre à Méan-Penhoët et AEDZRP.
Il a réalisé une cartographie des sources de pollution atmosphérique dans l’estuaire, mettant en avant les polluants classés cancérogènes. « Il y a une surmortalité de 28 % [par rapport à la moyenne nationale] dans la Carene, notamment à cause des cancers », rappelle-t-il.

La crainte d’un grave accident est dans tous les esprits. Car Yara produit 1 200 tonnes de nitrate d’ammonium par jour, le produit responsable de l’explosion d’AZF à Toulouse en 2001 et du port de Beyrouth en 2020. « Sans compter l’effet domino à cause des entreprises voisines », souligne Thierry Noguet, maire de Montoir-de-Bretagne.
Il rappelle qu’entre « 25 et 30 000 personnes » travaillent dans la zone industrielle. « Cela fait des mois que j’attends un rendez-vous avec le ministre de l’Écologie. Pour moi, Yara joue la montre et ce site, dans dix ans, il n’existera plus. Il est condamné à être fermé », croit l’élu. Qui ajoute : « J’ai appris par son nouveau directeur que l’usine va faire 36 millions d’euros de perte cette année. Récemment, il y a eu quatre arrêts en trois mois. Ça fuit de partout ! » Pour remettre le site en état, il faudrait selon lui mettre entre 10 et 15 millions tous les ans sur la table. « Et si on voulait faire des travaux de grande ampleur pour sécuriser les salariés, cela coûterait 80 millions d’euros. »
« Plus j’en apprends sur ce sujet, et moins je suis rassuré. Alors, tant pis pour les menaces, tant pis pour les intimidations. J’ai surtout peur pour ma famille et on va continuer à se battre », a certifié Thierry Noguet, visiblement très ému, lors d’une prise de parole devant la sous-préfecture. L’inaction de l’État et « l’omerta » qui entoure ce sujet sont, pour le maire, liés au « lobbying de certains syndicats agricoles ». Après l’avoir dénoncé publiquement, il a reçu des menaces verbales et en ligne. Pour Marie Aline Le Cler, « il faut maintenir la pression... En espérant ne pas avoir à remanifester l’année prochaine ».