Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Grands projets inutiles

À Strasbourg, l’opposition contre l’autoroute inutile reprend de la vigueur

La mairie « socialiste » de Strasbourg relance le projet d’autoroute GCO (Grand Contournement Ouest), alors qu’elle y était défavorable il y a peu. Les expertises montrent pourtant son inutilité et les associations alertent sur la destruction de terres agricoles qu’il engendrerait. Sur le terrain, l’occupation a commencé.


-  POUR PREPARER LA RENCONTRE DE REPORTERRE LUNDI 1 DECEMBRE : Projets inutiles : la victoire est possible !


Nous sommes en 1968, Charles de Gaulle est Président de la République, l’homme n’a jamais marché sur la lune et Mai 68 n’est pas encore arrivé. On est loin de la crise pétrolière qui n’arrivera que dans cinq ans. C’est aussi l’époque des projets futuristes dédiés au « tout voiture », et c’est la première fois que l’on entend parler du Projet de Grand Contournement Ouest de Strasbourg (ou GCO).

Plus de quarante plus tard, le cadavre ressurgit de son placard, et le GCO fait aujourd’hui partie de ce que les militants écologistes désignent comme les « grands projets inutiles ».

Opposition réactive

Car alors qu’on croyait le projet abandonné après que le concessionnaire Vinci ait jeté l’éponge en juin 2013, faute d’être parvenu à clôturer un tour de table financier dans les temps (ce qui signifie en général que le projet est jugé peu ou pas rentable), il vient d’être ressorti des cartons à la surprise générale et se cherche un nouveau concessionnaire. Les acteurs du dossier évoquent un début des travaux d’ici à 2016-2017.

De l’association Alsace Nature Environement à Europe Écologie Alsace en passant par le Collectif Alsace de soutien à Notre-Dame-des-Landes, on sonne le toscin et les premières cabanes construites par les opposants ont fleuri sur le parcours de la future route en quelques semaines.

Le GCO est en voie de « zadification », dit Bruno, du Collectif Alsace-NDDL. Cette agitation est loin de déplaire aux maires des communes concernées, qui montent en première ligne dans le mouvement « Anti-GCO ».

Fausse solution

Censé apporter des solutions aux engorgements routiers quotidiens, les vingt-quatre kilomètres de la 2x2 voies du GCO sont conçus pour dévier de l’autoroute A35 le trafic des camions entrant en Alsace depuis l’Allemagne sur un axe Nord-Sud, le long du Rhin. L’idée est d’éviter qu’ils ne se rajoutent aux 165.000 voitures quotidiennes qui utilisent l’A35 aux abords de Strasbourg.

Cette A35 sur-engorgée aux heures de pointe supporte pourtant des trajets majoritairement intra-urbains. Elle est devenue au fil des décennies une sorte de demi-périphérique qui fait office de boulevard entre le centre-ville et les communes limitrophes : 80 % de la circulation y est interne à l’agglomération.

Aux yeux de ses détracteurs, ce n’est donc pas le contournement des camions qui va réduire les embouteillages à Strasbourg. Ce qui a d’ailleurs été confirmé par les experts qui jugent que le trafic ne baisserait qu’à 150.000 voitures par jour. Le GCO ne servirait-il donc... à rien ?

Destruction de terres agricoles fertiles

Mais le principal point de friction reste les 280 hectares de terres agricoles qui seront détruites par la construction de la route. La zone de l’autoroute se situera à moins de deux kilomètres des premières vignes de l’appellation contrôlée des vins d’Alsace.

De plus, les terres du « Kochersberg » sont parmi les meilleures de toute la vallée du Rhin. Elle sont parfois considérées comme les plus fertiles d’Europe. L’humus y colle tellement aux chaussures que les paysans n’ont pas besoin de l’engraisser chimiquement pour cultiver maïs, betteraves, tabac, luzerne ou tournesol, planter des vergers ou faire du maraîchage.

Des millions d’années de dépôt des limons du Rhin (la plaine d’Alsace est une ancienne vallée glacière), irrigués par la nappe phréatique, viennent s’ajouter aux nutriments qui coulent doucement depuis les grandes forêts des Vosges. Tout cela fait que ces champs sont jalousement gardés par les paysans alsaciens qui sont fiers de leur terroir et de la grande qualité de leurs produits.

Virage à 180° des socialistes

On est allé demander son avis à Alain Jund, l’adjoint Europe Écologie Alsace chargé de l’urbanisme au Conseil Municipal et vice-Président de la Communauté urbaine de Strasbourg. Il siège au sein d’une majorité socialiste gouvernée par le maire Roland Ries, fraîchement réélu.

Ce qui frappe au premier regard dans ce dossier, c’est la similitude politique avec la situation nantaise pour l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : comme à Nantes, les socialistes et les écologistes strasbourgeois on fait un pacte de non-agression lors des dernières municipales.

« On s’allie, mais on est d’accord que pas un seul centime d’argent public venant de la ville de Strasbourg ne sera versé pour le GCO ». Il y a de quoi être rassuré pour les Strasbourgeois quand on sait que ces 24 kilomètres seront facturés à hauteur de 600 millions d’euros.

Cependant, et contrairement à Nantes, les socialistes strasbourgeois ont une légère tendance à changer leur fusil d’épaule. Après avoir déclaré que le GCO était « archaïque » et « une fausse réponse à une bonne question », le maire Roland Ries et son équipe ont opéré un véritable virage à 180 degrés à la fin de l’année 2013. Ils soutiennent à présent le projet. Tout simplement.


"IL EST ÉVIDENT QUON OCCUPERA LE TERRAIN DÈS QUIL LE FAUDRA

Reporterre : N’est-ce pas un peu compliqué d’être contre un projet que la majorité municipale soutient, alors que vous en faites vous-même partie ?

Alain Jund : Je suis de toutes les manifs contre le GCO depuis des années, et j’y étais encore le week-end dernier pour l’occupation de la cabane de Kolbsheim. Je suis convaincu qu’on arrivera mieux à s’opposer au GCO parce qu’on est dans la majorité municipale en tant qu’écologistes. On a fait ce choix dans l’accord avec le parti socialiste, comme à Nantes, malgré le constat des divergences d’opinions... Tout en sachant que ce n’est pas nous qui avons changé de position sur le GCO, ce sont les socialistes ! Entre nous, en rigolant, on aime bien appeler ça « le grand retournement ».

Malgré tout, dans l’accord que nous avons avec les socialistes, il est acté qu’il n’y aura pas d’investissement public de la ville de Strasbourg ou de la communauté urbaine dans ce projet. Enfin, il ne faut pas oublier que le tracé du GCO n’entre pas dans Strasbourg, ni dans la communauté urbaine.

Pourtant il semble qu’une nouvelle cabane va être construite sur le trajet du GCO à Vendenheim, et cette ville fait partie de la Communauté Urbaine de Strasbourg (CUS). Le GCO passera donc bien dans l’agglomération de Strasbourg ?

Oui c’est vrai, juste un petit morceau. De toute façon le maire de Vendenheim, pourtant de droite, est contre le GCO. La prochaine étape sera une installation de cabane sur cette commune, en janvier. On essaie en tant qu’élus d’avoir les pieds à la fois dans la bagarre institutionnelle et politique, à la ville, à la CUS, au conseil général et à la Région ; mais parallèlement les mêmes élus sont sur le terrain, entre les cabanes, à occuper et à faire les manifestations.

Je pense que c’est ça qui est compliqué, et qui est intéressant. C’est la fameuse « spécifié alsacienne » : être à la fois dans les instituons pour se bagarrer et sur le terrain pour occuper les lieux. Je suis moi-même membre du collectif Anti-GCO, partisan d’un « changement de vitesse » au niveau de la mobilisation. Tous les recours sont épuisés. Il faut que l’on soit visibles sur le terrain d’une manière beaucoup plus importante.

- Alain Jund -

Le maire de Kolbsheim s’est dit prêt à « Notre-Damedelandiser le Kochersberg », quitte à faire une occupation sur le terrain. Jusqu’ou êtes-vous prêts à aller contre le GCO ?

Ah oui ! Ça, moi je l’ai dit depuis le début !

Il faut dire qu’au niveau de la Communauté Urbaine, je dois être l’élu le plus visible. Je suis un peu le porte parole, via un certain nombre de tribunes ou d’articles. Pour nous les écologistes, il est évident qu’on occupera le site dès qu’il le faudra.

Il y a eu une cabane de construite au mois de juin, celle de Kolbsheim au mois de septembre, celle de Vendeheim le sera en janvier, et après, cela va continuer. Etant entendu qu’il est indispensable qu’il y ait une montée en puissance de l’opposition au GCO, on est aussi dans un rapport de force.

Ce qu’il faut éviter, c’est qu’on aille vers des situations de violence. Il faut agir sur deux axes : continuons à travailler sur les alternatives que nous préconisons, continuons à faire de la pédagogie pour montrer que c’est un projet inutile qui ne réglera pas le problème des bouchons à Strasbourg.

Et bien évidement, il ne faut pas oublier de montrer que nous sommes déterminés, car ce projet est une aberration. On espère que l’opposition à ce projet sera non violente et que la raison reprendra le dessus.

Comment expliquez-vous que les villages limitrophes du GCO soient contre, mais que les Strasbourgeois se prononcent plutôt pour ?

Le lobbying de la Chambre de Commerce et de l’Industrie d’Alsace (la CCI) a été très puissant à partir de juin 2012. Ils ont gagné la bataille de la communication en payant un certain nombre de gens pour rédiger des rapports, en achetant des pages de publicité dans la presse locale... Ils ont déployé des moyens financiers très importants. Et ils ont réussi à faire croire aux strasbourgeois que le GCO était la solution aux embouteillages.

On aurait effectivement pu se poser la question de savoir si c’était aux fonds de la CCI de financer tout ça... Il faut rappeler qu’il y a quelques responsables de la CCI qui sont directement concernés : un des quatre postulants à la concession du GCO est un ancien vice-président de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Alsace.

Ils ont gagné la bataille de l’opinion, y compris parmi certains militants écologistes. Pourtant les experts de la justice sont formels : le GCO ne diminuera pas les embouteillages à Strasbourg.

Il faut relancer le débat et que la raison l’emporte. Parce qu’on est en 2014, plus en 1970.


Pour en savoir plus sur la lutte contre le CGO : GCO Non merci.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende