AG de TotalÉnergies : « Ce sont eux les vrais écoterroristes »

À Paris, le 26 mai 2023. - © NnoMan / Reporterre
À Paris, le 26 mai 2023. - © NnoMan / Reporterre
Vendredi 26 mai, au matin, une coalition de militants écologistes a lancé un blocage de l’Assemblée générale de TotalÉnergies. Une action qui s’est heurtée aux matraques et au gaz lacrymogène de la police.
Paris, reportage
Ce vendredi 26 mai, aux aurores, les forces de police ont traqué les militants écolos dans les rues du 8ᵉ arrondissement de Paris. Les activistes déferlaient alors vers la salle Pleyel, où se déroule l’AG de TotalÉnergies. Leur but : ruiner la grande messe actionnariale de la major pétrolière.
Dès 6 h du matin, l’air est devenu irrespirable. Les troupes — rassemblées par Alternatiba, les Amis de la Terre, Attac, Greenpeace, ou encore Extinction Rebellion — ont afflué par dizaines et ont tenté de déborder le dispositif policier. Les défenseurs du climat ont alors été douchés de coups de matraque et de gaz lacrymogène.
Incohérence ? @AgnesRunacher reconnaît que le #blocageTotal pose la "très bonne question" du besoin de sortir des énergies fossiles et #enmêmetemps, l'État déploie un arsenal policier violent pour réprimer les activistes. Encore à l'instant gazage pour faire passer 1️⃣ actionnaire https://t.co/QO7Ho0XYjd
— Juliette Renaud (@JulietRenaud) May 26, 2023
« Ils ont enfilé leurs masques à gaz et nous ont aspergés à bout portant », témoigne Éléonore, une street médic chahutée et sonnée, les yeux rougis. Elle a vu ses camarades être traînés, parfois jetés contre des vitres. Les gendarmes sont allés jusqu’à lancer une grenade au milieu de militants assis, non-violents.

Les activistes se savaient attendus : cette journée sentait le gaz depuis son annonce, publique, dans Reporterre. « Tant que Total poursuivra ses activités mortifères, son AG n’aura pas lieu », promettaient-ils.
Bloquer les actionnaires
Mais là, « la violence est déployée sans discernement, de façon complètement hallucinante », a dit Juliette Renaud, des Amis de la terre. « On a tenté de les prendre de court en venant tôt, mais on s’est cognés à la détermination policière pour défendre les intérêts de Total », déplorait Lorette Philippot, une autre activiste.

Mais ils n’ont pas baissé les bras. Les militants, rapidement rejoints par des renforts, se sont repliés pour bloquer la rue du Faubourg Saint-Honoré, de sorte qu’aucun actionnaire ne puisse rentrer. Ils se sont serrés uns contre les autres, bras-dessus, bras-dessous, constituant une barrière humaine.
Certains, vêtus de blouses blanches, se sont aspergés de peinture noire. D’autres brandissaient des pancartes « Écoutez les scientifiques : plus un seul projet fossile ». Et chantaient à tue-tête : « Nous c’qu’on veut, c’est renverser Total ! »

Dans une ambiance toujours tendue, mais désormais plus festive, les activistes ont exposé les raisons de leur colère. Ils ont pourfendu l’expansion pétrolière et gazière de Total, toujours massive malgré les recommandations du Giec et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) [1].
« Combien de fois faudra-t-il que les scientifiques le rappellent ? Plus aucun nouveau projet d’exploitation d’énergies fossiles ne doit voir le jour pour préserver nos conditions de vie sur la planète », a tempêté Jérôme Guilet, astrophysicien et membre des Scientifiques en rebellion, qui étaient une quinzaine en blouses blanches.

Le chercheur a rappelé que depuis un demi-siècle, « Total sait que ses activités contribuent au réchauffement climatique ». La réaction de la major pétrolière ? Instiller le doute sur la véracité des données scientifiques puis retarder toute politique de lutte ambitieuse, comme l’ont révélé trois chercheurs.
« L’intensification des bouleversements climatique n’est pas un accident, c’est la manifestation de la cupidité meurtrière de Total et de l’industrie fossile », a tonné Léa Géindreau d’Alternatiba dans un porte-voix.

Au cœur du rassemblement bigarré, composé de militants de tous âges, une « bombe climatique » cristallisait le ressentiment : le mégaprojet pétrolier Eacop-Tilenga (East African Crude Oil Pipeline), développé en Ouganda et en Tanzanie.
« Les vrais écoterroristes sont du côté de TotalÉnergies »
Ce dernier consiste à forer 400 puits de pétrole et à construire un oléoduc de 1 440 kilomètres de long, surnommé le « dernier pipeline avant la fin du monde ». L’oléoduc pourrait à lui seul émettre jusqu’à 34 millions de tonnes de CO₂ par an, nettement plus que les émissions de l’Ouganda et de la Tanzanie réunis. Les communautés locales se font expulser, les militants arrêter, pendant que des parcs nationaux sont dégradés. « Avec ce genre de bombes climatiques, une chose est sûre : les vrais écoterroristes sont du côté de TotalÉnergies », a dit Juliette Renaud.

« Pendant ce temps, Total ne cesse de communiquer sur sa neutralité carbone d’ici à 2050. Mais comment peut-il encore faire croire qu’il est sur le bon chemin ? » s’est indignée Julie, activiste postée en première ligne, juste devant les barrières de police.
Selon le dernier plan climat de la multinationale, les énergies renouvelables représenteront seulement 15 % de son mix énergétique à l’horizon 2030. TotalÉnergies est aujourd’hui visé par une enquête du parquet de Nanterre, à la suite d’une plainte au pénal pour « pratiques commerciales trompeuses ».
« Je n’ai pas honte de mes dividendes, je les mérite »
Plusieurs actionnaires ont tenté d’assister, coûte que coûte, à l’assemblée générale. Quitte à enjamber les activistes, sac Vuitton en bandoulière. Quitte à bousculer. Quitte à insulter. « Mais madame, vous êtes qui vous ? » a hurlé un septuagénaire à l’eurodéputée Manon Aubry. « Vous êtes de la merde ! » a-t-il poursuivi.
« Ce sont des parasites, a fulminé un actionnaire poivre et sel, en costume, rencontré par Reporterre. Je n’ai pas honte de mes dividendes, je les mérite. Je suis le premier écologiste, mais le climat n’est que leur prétexte pour nous priver de liberté. Qu’ils ne viennent pas pleurnicher sur les violences policières. »
« L’État a fait le choix, comme à Sainte-Soline, de défendre par tous les moyens, même les plus violents, les intérêts des puissants plutôt que l’intérêt général », a réagi Lorette Philippot. Aux alentours de midi, les militants ont décidé de lever le blocage. Steven Arfeuille, porte-parole d’Alternatiba Paris, s’est félicité du « succès » de l’action. « On reviendra l’année prochaine », a-t-il assuré.

À l’intérieur de la salle Pleyel, l’Assemblée générale s’est tout de même déroulée, dans une salle clairsemée. « Nous regrettons les conditions dans lesquelles se déroule cette assemblée générale », a déploré Patrick Pouyanné, PDG de Total.
« Nous le regrettons, nous avons dû prendre des mesures exceptionnelles tant dans l’appel aux forces de l’ordre que d’un contrôle strict d’accès à cette assemblée », a-t-il poursuivi.
Un actionnaire :
- "Quand on a un peu de métier, on évite d'embaucher les zozos de la CGT"
Réponse de Pouyanné :
"On ne peut pas tout automatiser (...) mais effectivement, il assez frustrant de voir que 150 personnes peuvent bloquer les sorties de nos raffineries"Ambiance. pic.twitter.com/gBfYYhGu5F
— Nicolas Mayart (@Nicomay) May 26, 2023
Cela n’a pas empêché les actionnaires d’approuver massivement — à 88,76 % — le pseudo-plan « climat » de l’entreprise, qui prévoit de continuer les projets d’expansion pétrogazière.
Tout en rejetant à 69,66 % la résolution d’un groupe d’investisseurs plus ambitieux, qui appelait TotalÉnergies à aligner ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre indirectes, dites de « Scope 3 », avec l’Accord de Paris à l’horizon 2030.
L’Assemblée générale a également voté l’augmentation de 10 % de la rémunération de Patrick Pouyanné, déjà généreuse. Celle-ci dépasse désormais les 10 millions d’euros an.