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Grands projets inutiles

Après l’abandon d’EuropaCity, l’espoir d’une agriculture locale et écologique

EuropaCity enterré, la construction du métro du Grand Paris Express repoussée... Belle victoire pour les opposants à l’urbanisation des terres de Gonesse, qui préparent l’« après » depuis de longs mois : ils défendent le projet alternatif Carma, un « pôle d’excellence, tourné vers l’agriculture, la santé et l’alimentation ».

Longtemps menacé d’urbanisation, le triangle de Gonesse peut-il devenir un pôle d’excellence de l’agroécologie périurbaine ? Depuis le 7 novembre 2019 et l’abandon, par le gouvernement du projet de mégacentre commercial EuropaCity, l’horizon s’est éclairci pour le projet Carma (Coopération pour une ambition rurale métropolitaine et agricole), qui va en ce sens.

Lovées entre les aéroports de Roissy-Charles-de-Gaulle et Le Bourget, les terres fertiles du triangle de Gonesse (Val-d’Oise), au nord de Paris, ne seront pas sacrifiées au bénéfice d’un demi-millier de boutiques, de quatre hôtels, d’une piste de ski, d’une salle de spectacle, des cinémas, d’un centre aquatique et d’un palais des congrès. C’était pourtant le dessein des promoteurs d’EuropaCity, le groupe Auchan et le conglomérat chinois Wanda, qui souhaitaient attirer près de 30 millions de visiteurs par an. La ténacité de leurs opposants, prêts à s’opposer physiquement à l’avancée des machines, a eu raison de ce projet gargantuesque.

Les opposants à l’urbanisation des terres de Gonesse ont gagné un an de sursis

Dix jours plus tard, seconde victoire retentissante : le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a suspendu pour un an les travaux sur toute la portion nord du futur métro 17. Le chantier était imminent, mais « deux irrégularités » entachaient l’autorisation environnementale délivrée par les préfets de la Seine-Saint-Denis, de Seine-et-Marne et du Val-d’Oise. Cette ligne devait s’arrêter en plein dans les champs de Gonesse. « S’ils font cette gare au milieu de nulle part, loin des habitations [la première habitation est située à 1,7 kilomètres de l’emplacement prévu], c’est le cheval de Troie pour une urbanisation irréversible, prévenait Bernard Loup, président du Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG). Elle n’avait de sens que pour transporter les visiteurs d’EuropaCity. »

Bernard Loup, président du Collectif pour le triangle de Gonesse.

Les opposants à l’urbanisation des terres de Gonesse ont donc gagné un an de sursis. Durant ce laps de temps, ils espèrent convaincre le gouvernement de préserver la vocation agricole des 670 hectares du Triangle. Ils sont aujourd’hui cultivés par une dizaine d’exploitants, principalement en grandes cultures de colza, d’orge, de blé ou de maïs. « Leurs récoltes ne profitent pas aux habitants du territoire, elles alimentent les marchés mondiaux », regrette Bernard Loup, pour qui « la demande pour une alimentation de proximité n’a jamais été aussi grande ».

« Depuis le 31 décembre 2012, toutes les cantines doivent proposer 20 % de produits bio. C’est obligatoire mais que font les chefs d’établissement, depuis cette date ? Ils reportent l’objectif tous les ans », a regretté Jean-Yves Souben, élu écologiste au Blanc-Mesnil et ancien proviseur d’un lycée d’Aulnay-Sous-Bois, le plus proche des terres agricoles, lors d’une soirée sur l’avenir de la Plaine de France organisée à Villiers-le-Bel. La loi sur l’alimentation (Egalim) prévoit que 50 % des produits dans la restauration collective, notamment dans les cantines scolaires, devront être bio et labellisés d’ici à 2022. « Nous avons un besoin vital des terres du triangle de Gonesse pour nous en approcher », a insisté l’élu.

Ces derniers années, le groupement Carma (Coopération pour une ambition rurale, métropolitaine et agricole) a conçu un projet, alternatif à EuropaCity, allant dans ce sens. « Ces terres agricoles au nord de Paris constituent une opportunité immense, a considéré Robert Spizzichino, pilote du projet Carma et ancien ingénieur-urbaniste. Il faut non seulement les préserver, mais aussi faire du triangle de Gonesse un hub de l’agriculture périurbaine. » Les exemples à suivre ? « La Ceinture aliment-terre liégeoise, Montréal, Milan, Barcelone... » énumère-t-il, des villes « qui ont compris la nécessité de protéger leurs terres agricoles ».

Sur les 670 hectares du triangle, Carma prévoit de développer l’agriculture vivrière, destinée à renforcer l’autonomie alimentaire de la Plaine de France voire au-delà, jusqu’à Paris, en fonction des quantités produites. Le tout en encourageant une diversité « des productions maraîchères », « des cultures céréalières » et « l’introduction des nouvelles méthodes de l’agroécologie et de l’agroforesterie » a expliqué Anne Gellé, administratrice Terre de Liens Île-de-France. Une « ferme expérimentale » servirait de modèle pour la transition des exploitations agricoles qui l’entourent. La filière horticole régionale pourrait être relancée, ainsi que des cultures de plantes utiles en éco-construction.

Le projet se veut inclusif envers « les agriculteurs actuels » et l’équipe de Carma se dit prête « à discuter avec les propriétaires des terres ». « Nous n’avons pas la maîtrise des sols », a rappelé Anne Gellé. Parmi eux : de grands propriétaires privés comme AXA ou le groupe PSA, ou encore l’Établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF).

« Carma va élargir les filières de métiers, impliquer l’ensemble du territoire »

Carma espère les convaincre de transformer le triangle de Gonesse en un « pôle d’excellence, tourné vers l’agriculture, la santé et l’alimentation », a dit Robert Spizzichino, avec des ateliers de conditionnement et de transformation des produits récoltés ; de la vente directe via les AMAP, les commerces indépendants et le réseau Biocoop ; et un pôle de valorisation des déchets organiques. Robert Spizzichino aimerait aussi développer l’« enseignement supérieur et professionnel » avec « un campus des métiers de la transition écologique et un pôle de recherche sur l’agroécologie et la santé alimentaire ». Le projet Carma serait financé par un mix de financement participatif, de mécénat et de subventions.

« EuropaCity avait — à mon avis à tort — créé une vision, un rêve pour la jeunesse de notre territoire, qui y voyait une réponse au problème de l’emploi. Comment pourra-t-on leur redonner de l’espoir avec Carma ? » a interrogé Maurice Maquin, adjoint délégué aux Travaux et au développement durable à la mairie de Villiers-le-Bel. Les promoteurs d’EuropaCity promettaient en effet, « environ 10.000 emplois » en phase d’exploitation du méga-centre commercial.

« Contrairement à EuropaCity qui offrait une palette de métiers très limitée, a répondu Robert Spizzichino, Carma va élargir les filières de métiers, impliquer l’ensemble du territoire et introduire des dispositifs permettant de faire du germinatif, de créer des choses, de permettre aux initiatives de se développer. Le projet aura un effet multiplicateur sur l’ensemble des filières économiques. »

Ces discussions se sont tenues en la présence de Francis Rol-Tanguy, le haut fonctionnaire désigné en décembre par le gouvernement pour proposer un projet d’ensemble sur le Grand Roissy. « J’ai accepté cette mission parce que je pense que l’abandon d’EuropaCity était une bonne décision, a-t-il déclaré. À partir de là, il est très important de rebondir et de regarder à nouveau vers l’avenir. Ma mission sera de tourner la page, mais de ne pas m’en contenter, et de saisir cette occasion pour souffler un peu dans les bronches des projets locaux pour leur donner un peu plus de capacité à décoller. »

« Je ne veux pas inventer, et je ne le ferai pas, une énième soucoupe volante, hors-sol, qui va se poser sur votre territoire », a-t-il promis. L’ancien directeur de l’Atelier parisien d’urbanisme a six mois pour « écouter ceux qui habitent le Grand Roissy, y exercent des responsabilités électives, associatives et économiques » et pour proposer des scénarios au gouvernement. « À la fin, ce sont les décideurs qui trancheront », a-t-il conclu.

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