Après le confinement, des élèves expérimentent l’école en plein air

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Pédagogie Éducation Covid-19Avec le premier protocole sanitaire du déconfinement, les écoles se trouvaient trop à l’étroit pour accueillir leurs élèves. Le parc de la Corniche des forts a ouvert ses portes à celles de Romainville, en banlieue parisienne, dans l’idée de poursuivre cette expérience d’école en plein air à la rentrée.
- Romainville (Seine-Saint-Denis), reportage
Meenka l’a repéré dans les hautes herbes. Son saut ne l’a pas trompée : ce criquet sera sa prochaine cible. La fillette arme, jette son filet… et pousse un cri de joie. L’insecte va intégrer la boîte-loupe qui permet de mieux voir son anatomie. « Je suis trop contente ! » lance la petite fille de 9 ans, le visage bardé d’un immense sourire. Pourtant, au début de la sortie de sa classe à la Corniche des forts, en banlieue parisienne, Meenka n’en menait pas large. L’un de ses camarades avait hurlé en voyant un bourdon et, de nature réservée, elle ne se voyait pas se jeter sur les coccinelles ou les papillons.
- Meenka attrape des insectes.
Sa classe de CE2 participe à une sortie « école en plein air » dans l’ancien parc communal de Romainville rattaché à la région Ile-de-France en 2010, pour créer l’« Île de loisirs », à cheval sur quatre communes (Romainville, Noisy-le-sec, Pantin et Les Lilas).
- Un élève a attrapé une sautrelle.
« Le confinement a cristallisé beaucoup de choses », assure Stéphane Weisselberg, le président du Syndicat mixte de l’Île de loisirs de la Corniche des forts. « Il y avait moins de risque de contamination dehors, le protocole sanitaire des écoles était très lourd et, à côté, nous avions un espace naturel ! » Avec l’aval de l’inspecteur d’académie, la Corniche des forts est donc devenu un nouveau lieu de classe potentiel. « Les enfants décrocheurs étaient prioritaires pour la reprise, or, faire l’école en extérieur peut être intéressant pour eux, différent », explique Stéphane Weisselberg.
« Prairie et bois sont nécessaires au renard, tout est lié »
Une fois les accords en place, la première classe accueillie mi-juin est une Ulis de collège qui a opté pour une animation découverte, comme toutes les classes suivantes. Pour une première approche, les enfants ont besoin de se réapproprier un environnement qui leur est, parfois, méconnu. Dans l’un des premiers groupes, Sébastien Rochette, animateur et responsable technique du syndicat mixte se rappelle d’un enfant particulièrement agité. « Quand j’ai dit que le fruit de la plante que nous regardions n’était pas comestible, il a shooté dedans parce que la plante était “mauvaise” ! » raconte-t-il. L’animateur lui a alors donné les clés pour identifier la plante et, finalement, la respecter. « À la fin de la séance, il était plus calme », assure-t-il. Un peu l’inverse de l’évolution de Meenka, si calme et discrète en arrivant.
- Sébastien, Responsable technique île de loisirs la corniche des Forts explique aux élèves leur mission.
Dans le groupe de la fillette, tout le monde n’a pas démarré avec autant de réserve. Frôlant la jeune fille après le premier arrêt devant un grand tilleul, Arthur, et ses comparses, Kyle et Marius prennent la tête pour s’assurer les premières découvertes. Ils ont déjà trouvé une larve de coccinelle, et tombent sur un insecte plutôt connu. « C’est un cloporte, affirme Arthur, je le sais parce qu’il y en a plein à l’école. »
L’enthousiasme bruyant des CE2 se calme soudain devant un grand laurier. Il faut dire qu’en craquant les baies de cet arbrisseau, Sébastien évoque un mammifère fascinant qui s’en régale et que peu d’élèves imaginent dans ce parc : le renard. Une famille vit dans le bois tout proche et ses membres trouvent des rongeurs et des vers de terre dans la prairie voisine. « Prairie et bois sont nécessaires au renard, tout est lié », affirme Sébastien Rochette.
- Les feuilles servent à repertorier les insectes rencontrés pour le Museum national d’histoire naturelle.
Caractéristiques des espèces, chaînes alimentaires, stades de développement des insectes… Sébastien Rochette profite de toutes les occasions du parc pour approfondir les découvertes des enfants. Et au fur à et mesure, les observations s’étoffent : papillon de nuit ou papillon de jour, demi-deuil, lycène, azuré, ou citron… Meenka parvient à attraper un papillon dans la première prairie. C’est la toute première fois. Sébastien lui a bien expliqué qu’il ne fallait pas toucher les ailes, que l’observation dans le filet pouvait suffire à l’identifier. Mais… c’est la première fois ! Alors Meenka prend le temps de pousser délicatement la piéride blanche aux gros points noirs dans la boîte-loupe. Pour l’admirer un peu plus près, un peu plus longtemps. « On voit une évolution du comportement vis-à-vis de l’inconnu, explique Sébastien Rochette. Certains enfants développent une grande sensibilité, une peur de l’inconnu, or le monde animal qui vient à l’enfant décuple ce sentiment. Prendre le temps de regarder, de se rapprocher, voire d’attraper permet de comprendre et de respecter l’environnement. »
« On a l’impression qu’ils découvrent un trésor ! »
Certains enfants, pourtant habitant Romainville, ne sont jamais venus dans le parc. Même les adultes redécouvrent leurs espaces naturels. « Je venais avec l’école quand j’étais petite, se rappelle l’enseignante des CE2, Stéphanie Vaudelle. Mais depuis que je suis enseignante, je ne suis plus venue avec une classe. On se demande pourquoi quand on entend leurs cris : “un papillon !” On a l’impression qu’ils découvrent un trésor ! » Selon la professeure des écoles, ses élèves ne perçoivent pas le parc comme un espace naturel. Mais finalement, les adultes non plus… « Avant, les pelouses étaient tondues, bien carrées. Quand ça a changé, on n’a pas compris. Les gens pensaient que c’était laissé à l’abandon. Et quand les premiers moutons sont arrivés, on entendait “mais qu’est ce que c’est ?” »
Depuis 2012, le parc est entretenu en « gestion différenciée » pour favoriser le développement de la biodiversité : certaines zones sont fauchées régulièrement pour permettre un usage récréatif des visiteurs, d’autres sont laissées dans un état plus sauvage comme les herbes hautes dans lesquelles Meenka a découvert son criquet. Et l’écopâturage, ou la tonte par les moutons, conduit progressivement le parc vers un entretien sans moteur.
L’école en plein air réconcilie les enfants avec leur environnement proche. Et pourquoi pas travailler le français, l’histoire, les mathématiques avec les insectes, les plantes et les roches ? « Faire classe en extérieur, c’est un autre fonctionnement, assure Stéphanie Vaudelle. Cela demande du temps de réflexion, de mise en place. On peut imaginer faire des mathématiques sous forme de jeux, ou dans le mouvement, dans l’activité, mais si c’est juste pour rester assis dans l’herbe et faire du copier-coller des cours en classe, ce n’est pas intéressant. Ça se construit. » L’idée d’une école délocalisée en plein air, née du déconfinement, peut suivre son chemin. « J’ai envie que ce soit un laboratoire pour essaimer à la rentrée », confie Stéphane Weisselberg.
- Sébastien Rochette apprend à des collégiens d’une classe ULIS à ressentir le plaisir de caresser les herbacées du bout des doigts.
À la fin de l’activité, Sébastien Rochette réunit les CE2 en cercle sur la petite pente de la prairie à herbes hautes. Les enfants ferment les yeux et se taisent. Les bruits de la ville sont toujours là, mais on discerne les stridulations des sauterelles, la zinzinulation des mésanges, ou les sifflements des merles.
- Sébastien, Responsable technique île de loisirs la corniche des Forts apprend aux élèves à écouter les bruits du parc mêlés à ceux de la ville.
Au moment de se séparer pour pique niquer, l’animateur lance un dernier message : « Est-ce que l’on voit des déchets là ? » Réponse en cœur : « Nooooon ! » Le responsable technique poursuit : « Il n’y a rien d’artificiel ici, utilisez les poubelles pour votre pique nique. » La maîtresse en profite pour évoquer les bouteilles en plastique jetables pendant qu’une élève assure « ça sert à rien de polluer. » Message passé, la suite à la rentrée.