Au Bangladesh, « Nous nous adapterons au réchauffement climatique, au prix de notre humanité »

Le Bangladesh est l’un des plus exposés au monde au changement climatique. Rencontre à Dacca avec Nandan Mukherjee, spécialiste bengali de la question. Il dresse un état des lieux alarmant de la situation et pointe du doigt la responsabilité des pays occidentaux.
- Dacca, reportage
Nandan Mukherjee dirige le centre de recherche sur l’environnement et le réchauffement climatique à l’université Brac de Dacca, au Bangladesh, surnommé « le pays de l’eau ». Cette université est chapeautée par la plus grosse Ong au monde : Brac.
Reporterre : Comment le Bangladesh envisage-t-il son avenir ?
Nandan Mukherjee : Il ne s’agit pas de notre avenir, mais de notre présent. Le réchauffement climatique est déjà là. Il suffit de regarder les tempêtes, les cyclones et les inondations. Nous avons toujours connu ces phénomènes mais ces dix dernières années, ils se multiplient et s’intensifient. Les conséquences se traduisent en termes de flux migratoires, de santé, d’agriculture, d’aménagement du territoire et de qualité de l’eau.
J’estime qu’un tiers du pays sera concerné d’ici 2050 par la salinité de l’eau. La population se lave, cuisine, boit de l’eau salée. Au niveau sanitaire, ça se traduit par des maladies de peau, des diarrhées, des problèmes artériels ou encore des cancers.
Qui dit montée des eaux dit aussi déplacement des populations.
Mes recherches montrent que 10 % de la population du sud-ouest a quitté la région entre 2009 et 2012, et cela va s’accentuer. Des millions de personnes sont touchés par les inondations et les catastrophes climatiques, mais combien partiront réellement ? Le problème n’est pas tant le nombre exact de personnes qui vont se déplacer que les conséquences sociales et économiques.
Au sud, la population est pauvre. Le peu qu’elle possède c’est un bout de terrain pour cultiver le riz, un bateau pour pêcher et sa force de travail. En abandonnant leur maison, ces familles repartent de zéro, sans réserve financière. Où vont-elles aller ? À Dacca ? Il y a déjà trop de monde. Passer la frontière avec l’Inde ? Pour y arriver, il faudra sûrement passer par l’immigration illégale.
À vous entendre, le Bangladesh est voué au chaos.
C’est le cas ! Rendez-vous compte de la situation ! Nous n’avons rien demandé, nous ne sommes pas responsables de ce qu’il se passe. Ce sont les pays occidentaux, comme les États-Unis ou l’Europe, qui ont provoqué le réchauffement climatique. Pas nous, et pourtant, c’est à nous d’en assumer les conséquences.
L’Homme a une capacité d’adaptation énorme. Il y a des endroits au Bangladesh où des enfants ne boivent qu’un verre d’eau potable par jour, c’est inhumain et pourtant ils y parviennent. Alors demain, quand ça sera pire, nous nous adapterons encore, comme l’espèce humaine l’a toujours fait, mais à quel prix ? Au prix de notre humanité. La délinquance, la corruption, les vols, les agressions vont se multiplier. Nous allons devenir des animaux.
Pourquoi ne fuyez-vous pas le pays ?
Ce n’est pas parce que nous n’avons pas la main sur notre avenir, qu’il ne faut rien faire. Moi et mon équipe, nous travaillons sur le terrain, avec les populations qui souffrent, qui s’appauvrissent. On fait ce qu’on peut et c’est ce qui compte. C’est pour ça que je suis là. Nous essayons de comprendre ce qui se passe pour savoir comment agir et comment s’adapter.
Nous sommes un pays maudit. À chaque fois que nous faisons un pas en avant, comme notre croissance économique, une catastrophe arrive. Le Rana Plaza en avril 2013 par exemple, ou encore, il y a quelques mois, un bateau de réfugiés qui fait naufrage.
Le réchauffement climatique bloque notre développement, nous pousse à rester pauvre et à l’être encore plus. Si aujourd’hui, des enfants ne boivent qu’un verre d’eau par jour, que va-t-il se passer pour mes enfants quand ils auront quinze ans ? On ne peut pas laisser faire ça.
- Propos recueillis par Julie Lallouët-Geffroy