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ReportageÉcologie et spiritualité

Au Bénin, la religion vaudou protège la mangrove

Face à l’inefficacité des lois de protection de la biodiversité, au Bénin, l’appel à la religion vaudou permet de défendre les espaces naturels menacés. L’affinité de cette religion avec la nature et le respect qu’elle inspire encore expliquent ce succès, dont l’échelle reste toutefois limitée.

Mangrove d’Hakouè et lac Nokoué (Bénin), reportage

« Si tu es parti couper la mangrove, c’est terminé pour toi. Le fétiche va dormir dans ta chambre, tu seras envoûté et ne trouveras plus le repos. » Assis devant le couvent vaudou orné de peintures de divinités du village d’Hakouè, Kassavi Codjo Vincent exprime la sentence réservée aux braconniers avec la véhémence d’un grand orateur. Autour de lui, les têtes acquiescent. Tous savent qu’il parle sous l’œil attentif du dieu vaudou.

Quelques minutes plus tôt, le dignitaire religieux avait courbé l’échine face au temple, attendant un signe du dieu. Sans approbation, pas d’interview… Une fois la faveur accordée, notre entretien pouvait commencer. Sur ce lambeau de terre abîmé au milieu de la Bouche du Roy, partie béninoise de la réserve de biosphère transfrontalière de Mono, les croyances ne sont pas prises à la légère.

© Gaëlle Sutton/Reporterre

Ici et dans les dix-sept hameaux de la réserve classée à l’Unesco en 2017, elles sont appelées au secours de la biodiversité, menacée par le braconnage et la surpêche. Depuis 2016, un fétiche triangulaire veille sur la mangrove d’Hakouè. Caché en partie par des branchages, il a pour nom Zangbeto. Dans le panthéon vaudou, c’est le veilleur de la nuit. Il a été installé à l’initiative d’Éco-Bénin, un organisme de tourisme durable, avec l’aide du dignitaire du village. Les détails de la cérémonie sont réservés aux initiés. Seul élément pour servir de base à notre imagination, « cela demande un processus lourd et des libations devant le temple », dit Mikhail Padonou, agronome au sein d’Éco-Bénin.

Dans les branchages, seule trace de la sacralisation vaudoue, un fétiche de zangbéto dissuade de s’aventurer dans la mangrove. © Apolline Guillerot-Malick / Reporterre

Car à Hakouè, on le sait : la mangrove est en péril. Son bois a longtemps été coupé pour faire du feu. Il est pourtant essentiel à la biodiversité locale, servant notamment de frayère pour les poissons. « C’est la case des poissons, leur chambre. On se reproduit dans nos cases, eh bien eux aussi ! Mais, si les cases disparaissent, si la mangrove disparaît, ils ne se reproduiront plus, il n’y aura plus de poissons à manger », énonce Kassavi Codjo Vincent, tourmenté, en réajustant le pagne noir à motifs noué autour de sa taille.

Écailles de tortues et os de lamantins

La déforestation n’est pas la seule atteinte la réserve, le braconnage y sévit aussi. On tue les tortues pour leurs écailles, utilisées comme produits de beauté. Leurs œufs sont réputés aphrodisiaques, tout comme la viande de lamantin, dont les os sont récupérés pour traiter les rhumatismes.

Devant le couvent du village, Kassavi Codjo Vincent prie le vaudou avant de nous accorder une interview. © Apolline Guillerot-Malick / Reporterre

Ces animaux sont pourtant protégés par la convention de Washington, le cadre juridique qui, depuis 1973, fixe les règles du commerce international pour défendre les espèces menacées d’extinction. Au total, les représentants d’une soixantaine d’espèces protégées peuplent la réserve étendue entre le Togo et le Bénin.

Jusqu’à la première sacralisation [1], seule la loi nationale de protection de la biodiversité s’y appliquait. Deux gardes forestiers étaient chargés de patrouiller les 10 000 hectares de la Bouche du Roy. « En dix ans, ils n’ont jamais donné une amende », soupire Mikhaïl Padonou. D’où le besoin d’une autre forme de régulation. Depuis 2015, une dizaine de zones comme celle-ci ont été sacralisées [2].

Le vaudou, religion de la nature

Ailleurs au Bénin, depuis que le vaudou existe, des zones naturelles sont sacrées. Sur le lac Nokoué, dans le sud du pays, Anselme Mignanwande désigne une étendue de terre depuis son embarcation à moteur : « L’île de Sidomin. Personne ne s’y aventure jamais, sauf les dignitaires vaudou. Moi-même, je n’y ai jamais mis les pieds », dit ce guide touristique natif de la région. La légende raconte que les premiers habitants du lac seraient arrivés à dos d’aigle et de crocodile, fuyant les razzias esclavagistes. Ils se seraient installés sur l’île avant de la quitter pour bâtir des maisons sur pilotis. Aujourd’hui, face à la terre sacrée, on trouve le village lacustre de Ganvié.

Partout dans le pays, la consommation de bois et plus récemment le développement des villes ont rongé peu à peu les espaces naturels. Moins d’arbres, moins de fleurs, moins d’animaux. Au marché de l’artisanat du cœur de Cotonou, la capitale, certains s’étonnent d’apercevoir des singes jouer dans un immense néré.

Non sacralisée, la forêt marécageuse de Hlanzoun dans le sud du pays, est menacée par le braconnage. © Apolline Guillerot-Malick / Reporterre

Mais dans la plupart des communes du pays, des îlots de verdure ont subsisté : des forêts sacrées. Quelques hectares de nature au milieu de la ville qui abritent des divinités vaudou et où certains arbres sont vénérés. « Elles sont mieux préservées que les forêts étatiques, explique Théo Atrokpo, un chercheur indépendant basé dans la ville de Bohicon. Si l’État met un grillage pour protéger une forêt, les gens passeront en dessous pour aller couper des arbres. Alors que si la forêt est sacrée, personne ne s’y aventurera. »

Pour ce spécialiste du patrimoine et de l’histoire béninoise, cela s’explique par la philosophie même de cette religion : « Le vaudou protège la nature car c’est en elle qu’il puise sa source. Pour bâtir une église ou une mosquée, on a besoin de détruire un espace naturel. Dans le vaudou, si l’on coupe un arbre pour construire un bâtiment, on doit en planter un nouveau. C’est une religion discrète qui s’installe dans la nature. »

Mikhail Padonou est agronome au sein de l’association Eco-Bénin qui a organisé les sacralisations dans la réserve de la Bouche du Roy. 500 hectares de mangrove y sont sacralisés. © Apolline Guillerot-Malick / Reporterre

Dans la réserve de la Bouche du Roy, Mikhail Padonou dégaine son appareil photo à la hâte. « Là, des dendrocygnes veufs !, s’exclame-t-il en désignant une nuée d’oiseaux jacassant sur un lointain banc de sable. Voilà une éternité que je n’en avais pas vus. » La centaine de têtes blanches se met soudain à remuer puis prend son envol, tournoyant autour des buissons verts des mangroves.

« Personne n’a osé s’y rendre depuis »

Visiblement réjoui à la vue de ces animaux, l’agronome souligne les résultats observés depuis le début des sacralisations : « Grâce aux images satellitaires, on voit d’une année sur l’autre les différences entre les mangroves sacralisées et celles qui ne le sont pas. » « Personne n’a osé s’y rendre depuis », confirme avec fierté Kassavi Codjo Vincent, le dignitaire vaudou.

Mikhail Padonou émet néanmoins des réserves. Coûteuses à mettre en place, les sacralisations ne recouvrent pour le moment qu’une poignée « d’aires d’intérêt » : 500 hectares de la mangrove, soit 5 % de sa superficie totale. « Les sacralisations fonctionnent très bien aujourd’hui mais ce n’est pas une solution définitive. Avec la perte de croyance des populations, le plus viable serait d’éduquer les gens à la protection de l’environnement », conclut-il.



Notre reportage en images :


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