Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

ReportageClimat

Au Canada, le manque de froid menace la pêche sur glace

Chaque hiver, les pêcheurs québécois louent des cabanes, posées à même la glace, pour pêcher à l’intérieur. Mais avec les hivers qui se réchauffent trop vite, la pratique pourrait disparaître.

Venise-en-Québec (Canada), reportage

Ce matin-là, le mercure affiche -12 °C. Plutôt pas mal pour les affaires des pêcheurs sur glace, non ? Mais Francis Beauvais, l’un des deux frères propriétaires de la pourvoirie Chez Bob, à Venise-en-Québec, fait la moue. « C’est trop tard. La saison est quasi terminée. D’ici une semaine, on enlève les cabanes du lac. » Casquette aux motifs camouflage sur la tête, il contemple un kitesurfer qui s’aventure, sans crainte, sur le lac glacé, à quelques mètres des cabanes multicolores des pêcheurs. « À pied, lui, il n’a pas de problème à se rendre sur la glace. À vélo ou en motoneige non plus. Mais en voiture, ce n’est pas sécurisé partout. La glace est trop fine. »

Les deux frères nous font marcher sur le manteau glacé de leur portion de lac, au sud du Québec. « Normalement, à cette période de l’année, on a 20 pouces [50 cm] d’épaisseur de glace. Là, on en a juste 10 [25 cm]. Cette année, on a eu du vrai froid une journée par semaine. C’est catastrophique, comme si on n’avait pas eu de saisons. Et les pêcheurs ne viennent pas, ils ont tous peur que ça ne soit pas sûr. »

Mathieu Beauvais se tient sur une portion de glace deux fois moins épaisse que les années précédentes. © Alexis Gacon / Reporterre

Pour Ronald Proulx, propriétaire d’une pourvoirie en banlieue de Montréal, en quarante ans de métier, aucun hiver n’a été aussi affreux pour les affaires. « Faut pas se leurrer, c’est le réchauffement climatique. Il y a quarante ans, le lac Saint-François — un lac frontalier entre le Québec et l’Ontario — où j’ai commencé à pêcher, était gelé tout l’hiver. Maintenant, c’est de l’eau claire toute la saison. » Habituellement, chaque hiver, les pêcheurs québécois louent des cabanes, posées à même la glace, sur les lacs gelés du pays. Une fois à l’intérieur, une trappe permet d’y percer un trou, d’y poser sa canne à pêche et d’attendre que la perchaude ou la truite mouchetée viennent mordre à l’hameçon. Une pratique qui pourrait disparaître.

Chaque hiver, les pêcheurs québécois louent ces cabanes sur la glace. Une trappe sur le plancher permet d’y percer un trou pour pêcher. © Alexis Gacon / Reporterre

Faire ses adieux à la glace

Pêcheurs et propriétaires de pourvoiries peuvent partager leur désarroi avec les amoureux du canal Rideau, à Ottawa, une patinoire de près de 8 kilomètres. Pour la première fois depuis 1970, cette attraction touristique, très appréciée également des habitants qui l’utilisent pour se rendre au travail en patin, restera fermée cette saison. La capitale canadienne, qui vit son troisième hiver le plus chaud depuis 1872, d’après les données d’Envrionnement Canada, a dû s’y résoudre cette semaine.

« On a de plus en plus d’hivers en dents de scie ici. On passe très vite de -25 à +5 °C, la glace n’a pas le temps de rester en place, raconte Philippe Gachon, professeur membre de la chaire de recherche de l’université du Québec, à Montréal, sur les risques hydrométéorologiques liés aux changements climatiques. En termes de quantités de glace, la mer du Labrador et le fleuve Saint-Laurent sont très en retard cette année. »

Les frères pêchent généralement la perchaude ou la truite mouchetée. Jusqu’à quand ? © Alexis Gacon / Reporterre

Philippe Gachon explique que dans l’hémisphère nord, même si les journaux parlent davantage du réchauffement climatique durant l’été, c’est l’hiver qui se transforme le plus rapidement. « Moins il y a de neige sur les plans d’eau, plus l’eau peut absorber l’énergie du soleil et donc se réchauffer. » Entre 1948 et 2021, les températures printanières, estivales et automnales ont grimpé en moyenne de plus de 1,9 °C au Canada. Mais l’hiver, lui, a pris 3,5 °C. Assez pour que la pêche sur glace finisse par disparaître au Québec, dans certaines régions ? « On en a pour vingt ans, après… on verra », dit Ronald Proulx.

Faute de glace suffisamment épaisse, les cabanes seront enlevées dans quelques jours. © Alexis Gacon / Reporterre

À Ottawa, des chercheurs testent les effets des thermosiphons — utilisés dans le nord du pays pour empêcher le dégel du pergélisol — afin de permettre au canal Rideau de rester praticable au cours des prochains hivers, malgré le réchauffement. Pour tenter de sauver leur saison, les frères Beauvais, eux, arrosent une partie de leur lac dès qu’il fait très froid, afin que la glace s’épaississe. « On arrive à gagner quatre pouces [10 cm] d’épaisseur, mais il faut arroser longtemps », dit Mathieu.

Ronald Proulx, lui, imagine qu’à l’avenir les pêcheurs finiront par changer de braquet. « Ils ne viendront plus en voiture sur le lac, comme ce ne sera plus possible, et davantage en vélo. Ils poseront des tentes sur la glace plutôt que de venir dans de grosses et lourdes cabanes. » En attendant que l’industrie trouve un moyen de survivre, les poissons, eux, savourent ce calme sous l’eau gelée : « Pour eux, c’est une bonne année. Il y en a énormément, ils trouvent de nouveaux recoins sous la glace », sourit Ronald Proulx.


Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende