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ReportageForêts tropicales

Au Nicaragua, le grignotage des terres indigènes détruit la forêt tropicale

Le sud-est du Nicaragua fait face à une déforestation galopante, en partie due à l’activité humaine. Faune et écosystèmes rares sont menacés, tout comme les communautés indigènes. Elles dénoncent une « invasion » de leurs terres.

Réserve Indio Maíz (Nicaragua), reportage

Entre l’épaisse forêt pluvieuse et le décor nu et désolé, les rives du fleuve Indio offrent un paysage déconcertant. Le peu d’arbres encore debout est cerné par des plants de bananiers qui ont remplacé la canopée. À bord d’une panga, longue barque motorisée, les membres d’une communauté rama scrutent le paysage à la recherche d’habitations. « Ce sont des colons qui vivent là », explique Jossly Flores, écologiste et membre de l’autorité communale du secteur. La structure en bois et le toit en feuilles séchées rappellent pourtant les habitations traditionnelles ramas. « On ne répond pas à leurs salutations, sinon ils diront qu’on les autorise à s’installer ici et à détruire la forêt. »

Les rives du fleuve Indio. © Juan Leandro / Reporterre

Près de la côte caraïbe du Nicaragua, la forêt luxuriante perd du terrain face à l’activité humaine. La réserve protégée Indio Maíz n’abrite plus seulement les quelques familles ramas et créoles implantées là depuis plusieurs générations. De nouveaux arrivants perturbent l’équilibre de ce poumon vert de 300 000 hectares. Selon l’organisation de sauvegarde de l’environnement Fundación del Río, le Nicaragua perd chaque année 130 000 hectares de forêt.


© Gaëlle Sutton / Reporterre

Depuis 2015, des Nicaraguayens venus de tout le pays s’installent dans des espaces protégés comme la réserve Indio Maíz. Pour Amaru Ruiz, biologiste et président de la Fundación del Río, « les colons cultivent d’abord de petites parcelles, mais les exploitations ont tendance à vite s’agrandir, la plupart veulent développer l’élevage ». L’« invasion » dont parlent les populations locales s’explique aussi par le peu de risques que les colons encourent. Dans son rapport annuel sur les violences subies par les communautés amérindiennes, le Centre pour la justice et les droits de l’Homme de la côte atlantique du Nicaragua conclut que ces colons « envahissent des territoires indigènes en s’imposant de manière violente, spoliant les terres et les ressources naturelles, sans que les autorités remplissent leur devoir de protection ».

Les habitations, plus rares, sont souvent occupées par ceux qu’ils nomment les « colons ». © Gouvernement territorial rama-créole

« Invasion » et « menaces »

Au Nicaragua, parler d’« invasion », c’est parler d’un système incontrôlable. Paulo Solano est garde forestier rama et habite dans la réserve. Depuis 2012, il patrouille et constate quotidiennement de nouveaux signes d’activité humaine : « Il y a six jours, une autre famille est arrivée du Nord, ils ont déboisé plus de 200 hectares de forêt. » Selon Amaru Ruiz, les « colons » reproduisent le même schéma d’installation : « Ils coupent, brûlent et avancent sur le territoire, regrette le biologiste. Dans certaines zones, on constate que les cultures vont jusqu’à la mer, c’est leur limite. »

Paulo Solano, garde forestier rama. © Juan Leandro / Reporterre

Colonos (colons), mestizos (métisses) ou Spaniards (Espagnols) : trois mots utilisés par les indigènes pour désigner leurs envahisseurs. La réserve Indio Maíz abrite six communautés ramas et trois créoles. Les quelques dizaines de familles restantes sont en première ligne face à ce qu’ils considèrent comme une « invasion ». Cecilio John s’est installé au bord du fleuve Indio dans les années 1990. Depuis trois ans, cet habitant constate un regain de tension : « On reçoit régulièrement des menaces nous disant de partir. Parfois, ils viennent avec des armes pour nous impressionner. »

Une famille indigène de la réserve Indio Maíz. © Juan Leandro / Reporterre

Le Centre pour la justice et les droits de l’Homme de la côte atlantique du Nicaragua estime à 3 000 le nombre de personnes indigènes déplacées de force dans le pays entre 2015 et 2019. Les gardes forestiers voient quant à eux leur champ d’action restreint. « Dès qu’on a voulu faire notre travail, on a reçu des menaces de mort », confie Paulo Solano. Il y a deux ans, les gardes forestiers de la communauté de Río Maíz, plus au Nord, ont dû arrêter leurs patrouilles face à cette insécurité.

Espèces menacées

L’activité humaine et l’avancée de la frontière agricole réduisent drastiquement l’espace vital des mammifères. Les deux « ambassadeurs » d’Indio Maíz, le jaguar et le tapir, sont plus visibles sur les t-shirts à l’effigie de la réserve que dans la nature. Le manque d’études sur la réserve ne permet pas d’avoir de chiffres fiables, mais selon la Fundación del Río, la plupart des 524 espèces d’animaux et d’insectes recensées dans la réserve sont menacées d’extinction.

Cultures de palmiers à huile, de bananiers, pratique de l’élevage... L’activité humaine détruit au-delà de la forêt. Dans le cadre d’une étude réalisée en 2020, Jossly Flores a constaté que les populations de poissons et de crevettes avaient diminué dans les fleuves proches des zones touchées par la déforestation. Des espèces pêchées par les communautés locales. « Pour leurs activités agricoles, les colons utilisent des produits chimiques qui finissent par se retrouver dans les eaux », dénonce l’écologiste. Ces eaux sont elles-mêmes consommées quotidiennement par les ramas.

Les rives de la réserve protégée Indio Maíz. © Juan Leandro / Reporterre

Le mode de vie des populations locales est en danger. Dans la panga lancée à pleine vitesse, Alice Mcrea fait signe au conducteur de ralentir. Le visage de cette représentante rama s’illumine à la vue d’un arbre : l’almendro des montagnes. « On extrait de l’huile de ses fruits pour apaiser les brûlures, guérir les maux d’estomac et soigner la toux. » L’almendro est aussi très convoitée pour son bois. Les communautés amérindiennes et créoles dénoncent la coupe excessive de cet arbre, menacé dans la réserve. Si les ramas utilisent aussi ces arbres pour construire des maisons, Alice Mcrea insiste sur la différence culturelle : « Ce que nous coupons, c’est pour subvenir à nos besoins. Mon grand-père m’a appris qu’il ne faut couper qu’un seul arbre dans l’année, seulement si c’est justifié. »

© Juan Leandro / Reporterre

La coupe d’arbres, la construction et l’installation dans la réserve naturelle sont illégales. 70 % du territoire d’Indio Maíz se trouvent sur les terres du gouvernement territorial rama et créole. Selon la loi 445, ce sont les populations indigènes qui administrent ces espaces. Pourtant, « les plaintes formulées par les communautés locales n’apparaissent pas dans le système judiciaire », dénonce Amaru Ruiz, le président de la Fundación del Río, exilé au Costa Rica. Aucune des institutions compétentes n’a donné suite aux sollicitations de Reporterre.

Le garde forestier rama Paulo Solano devant une pancarte annonçant la limite de la réserve et la loi 445. © Juan Leandro / Reporterre

Trafic de terres indigènes

Le gouvernement dictatorial du président Daniel Ortega est accusé d’être complice de l’invasion des territoires indigènes. L’enquête du journaliste nicaraguayen Wilfredo Miranda pour les médias El Confidencial et El País a révélé que des fonctionnaires proches du parti au pouvoir sont impliqués dans un trafic de terres indigènes. Ils ont signé des documents sans valeur légale comme étant des titres de propriété valables. Des trafiquants de terres peuvent donc vendre les parcelles qu’ils ont eux-mêmes accaparées.

« L’état de l’environnement au Nicaragua est le résultat de quinze ans de politique de déforestation », assure Amaru Ruiz. Encore aujourd’hui, les projets envisagés par le gouvernement tendent plus vers le développement économique que vers la protection de l’environnement. Le gouvernement a récemment relancé l’idée de créer un canal interocéanique pour relier la mer Caraïbe au Pacifique. Selon une étude d’évaluation des conséquences du Centre d’études pour le développement rural en 2015, ce projet, évalué à 30 milliards d’euros, risquerait d’affecter près d’un tiers de la surface du pays.

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