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ReportageLa balade du naturaliste

Au commencement étaient... les mousses

Apparues il y a plus de 400 millions d'années, les mousses recèlent une biodiversité méconnue. Ici, une Rhytidiadelphus triquetrus (Hedw.) Warnst. 

Dans une vallée belge, des naturalistes épris de mousses ont construit un sanctuaire. Le terrain lié à leur maison de la bryologie est devenu une réserve naturelle, où ils étudient et transmettent leurs savoirs.

Ce reportage s’inscrit dans notre série La balade du naturaliste : une randonnée à la découverte d’une espèce ou d’un milieu exceptionnel, en compagnie d’une ou d’un passionné.


En cette journée automnale de novembre, la nature déploie ses plus belles couleurs sur la Vallée du Viroin, qui doit son nom à la rivière emblématique traversant ce coin exceptionnel de Belgique. C’est au creux de cette vallée que niche le village de Vierves-sur-Viroin. Camille Cassimans, notre guide du jour, nous attend sous un ciel épais de nuages, adossé contre la façade d’une ancienne maison ouvrière en briques où siège, depuis 2019, la fondation bryologique Philippe De Zuttere. Cet organisme privé se dédie à l’étude et à l’enseignement des bryophytes, famille végétale plus communément désignée sous le nom de « mousses ».

« Le monde des bryophytes comprend quatre grandes catégories : les anthocérotes, les hépatiques, les mousses et les sphaignes », détaille Camille, dans une pièce à l’étage. Entre ses mains, il tient une barquette en plastique contenant trois des espèces mentionnées : une sphaigne, formée de fines tiges surmontées de rameaux disposés tels les feuilles d’un palmier, typique des zones humides et acides ; une hépatique du genre Pellia, composée de mini croûtes vertes, souvent logée en bordure de rivière, enfin, une mousse commune, à la tige dressée et ramifiée, présente dans de nombreux milieux.

La vallée du Viroin sous un voile brumeux. © Robin Van der Heijden / Reporterre

Au rez-de-chaussée, un cours d’initiation à la bryologie est dispensé par Olivier Roberfroid, l’un des rares spécialistes belges en la matière. Un groupe de néophytes observe des échantillons de mousses au microscope, la meilleure façon de se rendre compte de leurs particularités. Ancien guide-nature, Camille Cassimans a participé à la création de la fondation en 2010, sous l’impulsion de Philippe De Zuttere, éminent bryologue disparu en 2018.

Quelques années avant son décès, ce dernier, voyant sa santé décliner et sans héritier, décide de léguer sa maison et le trésor de toute une vie : sa bibliothèque et ses herbiers à la famille de Camille, lui confiant la mission de faire perdurer les activités autour de la bryologie auprès du grand public.

La barquette que tient Camille Cassimans contient trois types de bryophytes : une sphaigne, une hépatique et une mousse. © Robin Van der Heijden / Reporterre

Notre guide nous mène jusqu’à une ancienne mine de barytine, à quelques pas de la maison de la bryologie. Le terrain, acquis en 1982 par le Cercle des naturalistes de Belgique, a été converti en réserve naturelle agréée. Il pleut, un temps idéal pour les bryophytes, qui se nourrissent des sels minéraux présents dans la pluie qui leur tombe dessus.

Dans cet espace diversifié, surplombé au loin par des prairies et des forêts aux couleurs chatoyantes, partout où notre regard se pose, on aperçoit des bryophytes de toutes sortes, tapissant le sol, recouvrant les pieds des arbres, colonisant des bois en décomposition.

Camille Cassimans croit identifier une mousse de type Pleurozium. © Robin Van der Heijden / Reporterre

Friandes d’humidité, ces plantes se développent surtout dans des zones ombragées et sur de multiples supports, même artificiels. « Ici, on trouve des espèces spécifiques aux milieux calcaires, comme Bryum argenteum (une mousse à l’aspect argenté) ou Tortula muralis (“Barbule des murs”, aux feuilles pointues à l’apparence de poils) », indique Camille, pointant du doigt de petites touffes vertes sur un mur en béton.

Des organismes pionniers

« Chaque espèce s’installe là où elle trouve ce qu’il y a de mieux à son bon développement », explique celui-ci. Sur un tas de troncs de saule gisant près de vieilles meules de pierres, des lichens et des mousses semblent se livrer bataille pour occuper le plus d’espace. « On dirait bien que les premiers supplantent peu à peu les deuxièmes », commente Camille, qui croit reconnaître des Pleuroziums, sans grande certitude. « La meilleure façon de reconnaître une espèce sur le terrain est de se munir d’une petite loupe et d’une clé de détermination [1] », confie notre guide.

Un collembole dans des bryophytes. © Thomas Bourgeois

Apparues sur terre plus de 400 millions d’années en arrière, les bryophytes font partie des organismes pionniers. Leur rôle écosystémique est majeur. « Dès qu’un terrain est défriché pour une raison ou une autre, les premières plantes à coloniser l’espace sont, selon le taux d’humidité, les mousses puis les lichens, qui favorisent alors l’apparition des plantes supérieures [2] », relate notre guide.

En plus de la protection offerte au support sur lequel elles se fixent, les touffes de bryophytes abritent une myriade de micro-organismes : acariens, collemboles ou encore pseudo-scorpions. « Il y a toute une faune invisible à nos yeux qui vit là-dedans », s’émerveille Camille.

Mousses et lichens cohabitent tant bien que mal. © Robin Van der Heijden / Reporterre

Si certaines bryophytes, dont les épiphytes, qui poussent sur les arbres, agissent comme des bio-indicateurs par leur capacité à cumuler sur leur paroi les polluants atmosphériques, c’est avant tout leur diversité qui est un gage de qualité de l’environnement. « Lorsque l’air est trop pollué, certaines espèces deviennent moins résistantes et disparaissent », atteste notre guide.

Des espèces menacées par l’agriculture industrielle

Selon le dernier relevé datant de 2009, parmi les quelque 800 espèces de bryophytes répertoriées en Belgique, 3 % ont disparu de la Région wallonne, et 5 % sont en danger d’extinction [3]. Quelles raisons expliquent ce phénomène ? « Tout le développement économique de l’humain a bouleversé plein de choses », résume Camille, illustrant son propos avec l’anthocéros agrestis, typique des champs agricoles : « C’est une espèce qui poussait surtout dans les éteules [4]. Depuis l’arrivée des pesticides et des méthodes culturales intensives, elle n’a plus le temps de se développer. Quand on en voit une, c’est carnaval », ironise ce dernier.

À l’instar de ce Physcomitrium pyriforme, les mousses existent dans une grande variété de formes. © Marc Sotiaux

Les mousses, employées dans l’industrie florale, font quant à elles l’objet de véritables razzias. « En Ardennes, des stations entières de Leucobryum (une mousse formant de petits coussinets bleutés) se font piller, aux côtés d’autres espèces, par des fleuristes peu respectueux qui viennent chercher des cageots par série », déplore Camille Cassimans.

En Wallonie, les bryophytes sont pourtant protégées par la loi de Conservation de la nature, qui interdit leur prélèvement (au-delà d’un certain seuil de tolérance) leur transport et leur commercialisation.

Chaque échantillon est soigneusement empaqueté, étiqueté et rangé. © Robin Van der Heijden / Reporterre

Enfin, les bryophytes sont particulièrement sensibles aux variations climatiques. Dépourvues de racines, leur survie dépend fortement du niveau d’humidité de leur environnement dont elles absorbent les nutriments via leur épiderme. Si, en période de forte sécheresse, certaines d’entre elles stoppent leur croissance pour reprendre vie dès le retour des pluies, cette faculté, nommée « reviviscence », comporte ses limites. « S’il fait trop sec, la plante ne s’en remettra pas totalement », relève Camille. Avec, à la clé, des conséquences parfois dramatiques sur certains biotopes.

C’est notamment le cas des tourbières, véritables éponges à eau qui, grâce aux sphaignes qui les composent, représentent « 1/3 des réserves fossiles de carbone à l’échelle mondiale [5] ». Une tourbière qui s’assèche équivaut donc à la perte d’un réservoir d’eau naturel.


Notre reportage en images :


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