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ReportageGrands projets inutiles

Au mépris de la justice, les promoteurs du centre commercial géant Val Tolosa veulent passer en force

Près de Toulouse, la commune de Plaisance-du-Touch entend construire son « centre de loisirs et de shopping » géant malgré un permis de construire annulé. Elle a lancé les travaux de la route d’accès au futur Val Tolosa. Depuis mercredi 5 octobre, vigiles et opposants se font face, les ouvriers au milieu.

-  Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne), reportage

Une sortie de Toulouse ordinaire. Au loin, des hangars, l’autoroute ; tout près, un lotissement résidentiel. Entre les deux, une prairie finit de sécher sous le soleil généreux de ce début d’automne. Des ouvriers installent de hauts grillages pour en interdire l’accès, sous la garde d’une quinzaine de vigiles envoyés par la société Guintoli (filiale du groupe NGE). Ces travaux sont les préalables à un projet de « centre de loisirs et de shopping » géant, Val Tolosa, situé sur la commune de Plaisance-du-Touch, à l’ouest de Toulouse : 114.000 m², dont 60.000 m2 de surface commerciale, 150 boutiques et un lac. À la manœuvre, le promoteur Unibail-Rodamco, coté au CAC 40.

Au premier plan, l’emprise de la route. Au-delà de la clôture, celle du projet de centre commercial.

Mais le centre commercial ne peut vivre sans ses milliers de voitures. Ce sera donc la D924, une quatre voies raccordée à la N124, la voie rapide vers Auch, deux kilomètres plus loin, derrière un bois qui doit être rasé pour laisser la place au bitume. Le département s’est défait de la construction de la nouvelle départementale en juin 2016, confiant la délégation de maîtrise d’ouvrage à la mairie. Ce sont ces travaux que les opposants du collectif Gardarem la Ménuda !, appuyés par le collectif ZAD 31, tentent, sinon de bloquer, du moins de ralentir depuis le début de la semaine dernière. Au moins jusqu’à la prochaine décision du tribunal administratif (TA) de Toulouse, saisi sur l’autorisation de destruction des espèces protégées présentes sur le site (grand capricorne, rose de France, renoncule à feuilles d’Ophioglosse, œdicnème criard, etc.).

« Nous, on a une famille à nourrir, donnez-nous du travail » 

Deux décisions défavorables au « centre de loisirs et de shopping » ont déjà été rendues par la justice : contre le premier permis de construire, par la cour administrative d’appel de Bordeaux, le 14 juin 2016, et contre l’arrêté préfectoral du 29 août 2013 qui autorisait la destruction d’une centaine d’espèces protégées présentes sur l’emprise du site, par le tribunal administratif de Toulouse, le 8 avril 2016. Mais rien n’y fait, Louis Escoula, le maire (Parti socialiste) de Plaisance-du-Touch veut absolument son centre commercial. Et ne veut pas attendre les prochaines décisions de la justice.

Évacuation par la force des militants par les vigiles.

Nombreux le matin, avant l’embauche, les militants ne sont plus qu’une dizaine face aux vigiles, peu après 14 heures, ce vendredi 7 octobre. Pas assez pour faire face aux gros bras. « Ce matin, on était nombreux, ils n’ont pas réussi à nous déloger, mais là, on ne fait que les ralentir », constate Tanguy, venu lui aussi prêter main-forte au collectif. Drôle de chantier, où les vigiles dépassent en nombre les opposants, et même les ouvriers qui s’activent à poser les grillages.

L’atmosphère s’est détendue. Les militants et sympathisants des collectifs Gardarem la Ménuda ! et ZAD31 discutent avec les vigiles.

La tension a baissé par rapport au matin. La discussion s’engage. Quelques reproches, aussi : « Comment est-ce que vous pouvez faire ce travail ? » « Nous, on a une famille à nourrir, donnez-nous du travail », répond un vigile. Des précaires appelés à la hâte, dont la plupart préféreraient visiblement être ailleurs. Côté opposants, on répond changement de mode de vie, récupération, on parle des enfants aussi. Le discours ne passe pas vraiment, pas le même monde. On se plaint aussi de la brutalité de certains vigiles. Un militant a dû être évacué par les pompiers la veille (une plainte devrait être déposée dans les prochains jours).

« C’est pas Alep » 

Un actionnaire (selon ses dires) de la discrète SAS. PCE, filiale d’Unibail créée spécialement pour le projet, observe la scène à distance raisonnable. Lui refuse de donner son nom, s’agace de nos questions, et finit par partir précipitamment dans un luxueux 4x4 Porsche.

Un opposant « promène » son vigile, qui ne veut pas le lâcher.

Deux gendarmes passent. L’officier est bien renseigné : couleurs des voitures, identité des protagonistes, recours déposés le matin même (trois recours gracieux contre le nouveau permis de construire, déposés auprès de la mairie par le collectif et des commerçants)… Il s’inquiète aussi de la possible venue de renforts de Notre-Dame-des-Landes, et minimise les incidents de la veille : « C’est pas Alep », tempère-t-il. Il se justifie, aussi : « J’ai demandé au tracteur de s’arrêter l’autre jour. »

Une mante religieuse tente de survivre aux bottes des vigiles

Fin de journée, une partie de l’équipe de vigiles repart. Mal lui en prend. Aussitôt, les opposants se dirigent vers le fond du champ, où les ouvriers de la société Sogecer, sous-traitante de Guintoli pour cette phase des travaux, terminent un segment de la clôture. On s’accroche aux poteaux, impossible de continuer à travailler. Les ouvriers s’agacent, ils veulent terminer pour pouvoir rentrer chez eux. Les vigiles reviennent. Les gendarmes, qui allaient partir, s’approchent aussi. Les ouvriers tentent d’accrocher quand même le grillage, à l’aide d’une sorte de grosse agrafeuse. Cela se passe à quelques dizaines de centimètres de la tête des jeunes et des vigiles : cette fois-ci, la situation est dangereuse, mais les gendarmes observent sans intervenir.

Une partie de l’équipe de vigiles s’étant éclipsée, le blocage reprend.

Finalement, les militants sont arrachés aux poteaux, sans méchanceté, mais sans ménagement non plus, souvent traînés au sol sur plusieurs mètres. Un vigile se blesse sur les aspérités du grillage. Des manifestants partent lui chercher un mouchoir. Au milieu de la mêlée, une mante religieuse tente de survivre aux bottes des vigiles (elle finira à moitié écrasée).

Évacuation par la force des militants par les vigiles.

Le « jeu » se termine à quelques mètres de la route actuelle, où le public s’est élargi : le chef de la sécurité de Guintoli, qui s’inquiète « pour la sécurité de [ses] gars » et « non, pas pour celle des autres » ; Marc Fischer, le responsable de la communication de la mairie, qui « regrette que l’on soit obligés d’en arriver là pour assurer la sécurité du chantier, de ceux qui y travaillent et des manifestants qui se mettent en danger » ; et Philippe Guyot, président de l’association Oui à Val Tolosa… et adjoint au maire à la démocratie participative et à la communication. Ce dernier déclare à qui veut l’entendre « être pour les emplois » : selon le promoteur, 3.000 emplois (cumulés) devraient être créés par la construction du centre commercial, et 2.000 une fois ouvert. Les effets des zones commerciales périphériques sur l’emploi sont pourtant connus depuis des décennies : création d’emplois précaires dans les centres commerciaux contre fermetures massives des petits commerces en centre-ville. Le bilan à long terme est donc loin d’être garanti. « Ce ne sont pas les mêmes types de commerce », balaie Marc Fischer. La périphérie de Toulouse regorge pourtant de centres commerciaux, et au niveau national, la tendance générale est à la baisse de leur fréquentation depuis plusieurs années.

L’un des opposants transforme la lancée d’un vigile qui le repousse en pas de danse.

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