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Climat

Avec El Niño, la température pourrait bondir en 2023

Le retour du phénomène climatique El Niño est prévu par les scientifiques pour 2023 ou 2024. Il pourrait mener à une augmentation significative de la température mondiale, avec de nombreux effets sur les écosystèmes.

El Niño pourrait être de retour pour nous jouer de mauvais tours. Plusieurs centres de prévision anticipent l’arrivée prochaine de ce phénomène climatique récurrent, connu pour générer des pics de température planétaire. Sous l’effet conjoint d’El Niño et du réchauffement climatique, la hausse de la température globale pourrait selon certains scientifiques être supérieure d’1,5 °C à la période pré-industrielle en 2023 ou 2024 — El Niño peut en effet augmenter la température globale annuelle jusqu’à 0,3 °C. Sécheresses, mort du plancton... Le retour de ce phénomène climatique pourrait avoir des répercussions sociales et environnementales importantes.

© Louise Allain / Reporterre

D’une durée comprise entre huit mois et un an, El Niño réapparaît dans le Pacifique tous les trois à sept ans. « C’est une anomalie par rapport à la situation normale », explique à Reporterre le climatologue et océanographe Éric Guilyardi. De manière générale, poursuit le chercheur, les eaux de surface de l’ouest du Pacifique sont plus chaudes que celles situées à l’est : elles peuvent atteindre 30 °C aux abords de l’Indonésie, contre 24 °C le long des côtes latino-américaines. Cette différence de température génère une différence de pression dans l’atmosphère, ce qui contribue à la formation des alizés. Ces vents intertropicaux favorisent en retour les remontées d’eau froide le long des côtes péruviennes, contribuant ainsi à l’écart de température entre les parties est et ouest du bassin. « Le système s’auto-entretient », synthétise le directeur de recherche au CNRS.

© Louise Allain / Reporterre

Certaines années, l’équilibre se rompt : à la suite d’un coup de vent, ou par « effet de glissement des alizés », les eaux chaudes s’aventurent jusqu’au centre du Pacifique. Les vents intertropicaux s’affaiblissent en conséquence, « et la machine s’enraye ». Au large du Pérou, les remontées d’eau froide s’interrompent. Or, ces dernières jouent le rôle de « climatiseur de la planète Terre », explique à Reporterre le climatologue Jérôme Vialard, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Conséquence de leur disparition : « L’atmosphère se réchauffe, localement et à l’échelle de la planète. » Voilà « El Niño ».

El Niño en 2015. Il réapparaît dans le Pacifique tous les trois à sept ans. NOAA ESRL / CC BY 2.0 / Flickr

« Ces variations naturelles se superposent au réchauffement climatique »

Les années au cours desquelles ont lieu ce phénomène sont, en moyenne, plus chaudes. Celles marquées par sa phase opposée, « La Niña », sont quant à elles plus froides, l’océan absorbant davantage de chaleur que d’ordinaire. Ces variations naturelles se superposent à une tendance de plus long terme, celle du réchauffement climatique. « En 2015-2016, nous avons eu un fort El Niño, se rappelle Jérôme Vialard. Cela a correspondu à un pic de température planétaire en 2016, la plus haute jamais observée. »

Le Pacifique se trouve, depuis trois ans, dans une phase « La Niña » inhabituellement longue. Selon les prévisions du service national britannique de météorologie et de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, ce cycle devrait se terminer au printemps, pour être remplacé, dans un délai plus ou moins court, par « El Niño ». « Les prévisions actuelles nous disent qu’il y a entre 53 et 57 % de chances qu’il se déclenche au début de l’été 2023 », signale Éric Guilyardi. Le phénomène pourrait s’amplifier à l’automne, pour atteindre son pic entre décembre et février. Le chercheur invite cependant à « rester prudent » : « On sait qu’il va y en avoir un dans les prochaines années, ça, c’est sûr. Maintenant, est-ce que ce sera en 2023-2024, ou en 2024-2025 ? On ne sait pas anticiper aussi longtemps à l’avance. »

« Même un El Niño riquiqui pourrait entraîner un record de température globale »

Qu’il arrive cette année, ou la suivante, certains climatologues anticipent une augmentation marquée du thermomètre planétaire. En cas d’« El Niño » intense, il est « très probable » que la hausse de la température mondiale excèdera les 1,5 °C, selon Adam Scaife, prévisionniste au sein du service national britannique de météorologie, interrogé par le Guardian. Dans le contexte du réchauffement climatique, « même un El Niño riquiqui (…) devrait être suffisant pour atteindre un record de température globale » en 2024, écrivaient en septembre dernier les climatologues James Hansen, Makiko Sato et Reto Ruedy, de l’université Columbia.

En cas de fort {« El Niño »}, les récifs coralliens situés à l’est du Pacifique peuvent blanchir. Institut australien des sciences marines

Les conséquences sociales et environnementales pourraient être importantes. Durant cette phase, les sécheresses ont tendance à être plus importantes au nord de l’Australie et du Brésil, en Afrique australe, en Inde, aux Philippines et en Indonésie. « La récolte de riz peut être jusqu’à moitié moindre dans ces régions », indique Éric Guilyardi. À l’inverse, la Californie, l’Afrique de l’est et l’Amérique du sud peuvent être sujettes à de très fortes pluies. Les conséquences sur les populations les plus vulnérables sont parfois désastreuses, comme ce fut le cas en 2016. Une étude, publiée en 2015 dans la revue de l’Académie des sciences des États-Unis (Pnas), fait également état d’une corrélation entre les épidémies de dengue en Asie du Sud-Est et l’augmentation des températures due à ce phénomène.

Les écosystèmes sont eux aussi bouleversés. En cas de fort « El Niño », les récifs coralliens situés à l’est du Pacifique peuvent blanchir. Sans apport d’eaux froides riches en nutriments, le plancton vivant au large des côtes péruviennes est quant à lui susceptible de mourir, entraînant dans sa chute les petits poissons qui en dépendent. Les gros poissons, eux, migrent vers des zones plus favorables, « avec des impacts très forts sur les pêcheries », signale Jérôme Vialard.

Les effets dépendront des coups de vent d’ouest

Tout comme sa date précise d’arrivée, l’ampleur du prochain « El Niño » reste cependant difficile à déterminer pour le moment, tempère le chercheur. L’intensité du phénomène dépend en effet de la force des « coups de vent d’ouest », impossible à prévoir dès à présent. « S’il n’y en a que quelques-uns, on aura une situation neutre ou légèrement chaude, avec moins d’impacts sur la température globale et les écosystèmes. »

À plus long terme, en revanche, la communauté scientifique commence à penser que le réchauffement climatique pourrait amplifier certains effets du phénomène. « Les modèles s’accordent à dire que les anomalies de pluie liées à El Niño pourraient être beaucoup plus importantes et fréquentes dans le Pacifique Est, indique Jérôme Vialard. Certains scientifiques estiment aussi que les El Niño intenses, comme ceux observés en 1997-1998 ou en 2015-2016, vont devenir plus fréquents. » Cette hypothèse fait cependant encore l’objet de débats, précise le chercheur. « On connaît El Niño de mieux en mieux, dit Éric Guilyardi. Mais ses interactions avec un climat qui change demandent encore de la recherche. »

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