Climat : l’Europe reste aux abonnés hésitants

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La Commission européenne publie aujourd’hui le texte définissant sa politique climatique. Sous la pression des grandes entreprises et du gouvernement britannique, les engagements proposés sont très en-deça de ce qui serait nécessaire pour enrayer le changement climatique. Quant à la France, sa politique est très insuffisante, juge la Cour des comptes
Des objectifs à la baisse et des contraintes minimales : après la première pierre posée en 2008, sous présidence française, pour définir une politique climatique ambitieuse à l’échelle européenne, la Commission publie mercredi 22 janvier un texte pour poser les contours des politiques climatiques et énergétiques de l’Union européenne lors de la prochaine décennie. Il doit lancer la négociation officielle du prochain Paquet énergie-climat (PEC) de l’Union européenne. Selon les ONG (organisations non gouvernementales) qui suivent le dossier, ce texte manque cruellement d’ambition.
Le précédent PEC avait mis en place la règle des « Trois 20 » : baisser de 20% ses rejets de gaz à effet de serre par rapport à 1990, porter la part des renouvelables à 20 % de son mix énergétique et réduire sa consommation d’énergie de 20 %. Mais pour tenir les engagements pris à l’horizon 2050, il faut aller beaucoup plus loin. Problème, les autorités européennes doivent composer avec l’opposition des milieux entrepreneuriaux et de certains Etats membres.
Les industriels sont opposés à des solutions trop contraignantes. Selon le journal Les Echos, quatorze dirigeants de grands groupes européens très consommateurs d’énergie (Total Raffinage Chimie, Lafarge…) ont adressé une lettre à José Manuel Barroso, dans laquelle ils s’inquiètent pour la compétitivité de leurs entreprises. Les grands patrons souhaitent un objectif « réaliste » en matière de réduction des gaz à effet de serre, et veulent le coupler à la croissance industrielle. Ils refusent de supporter la transition énergétique et préconisent le développement des gaz de schiste. `
Des propositions à minima
Des doléances que semble avoir entendues la Commission, qui devrait présenter un texte à minima, selon le Réseau Action Climat (RAC). « Les industriels ont particulièrement influencé Gunther Oettinger et Antonio Tajani, respectivement commissaires à l’Energie et à l’Industrie, qui, au nom de la compétitivité industrielle, ont défendu un objectif de baisse de 35 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030, par rapport à 1990 », explique Célia Gautier, du Réseau Action Climat.
Ce manque d’ambition pourrait avoir des conséquences importantes en terme de changement climatique : « Ces propositions sont beaucoup trop faibles pour contenir le réchauffement en deçà de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle », estime Célia Gautier. D’autant que ces propositions sont largement inférieures à ce que l’UE devrait réaliser pour espérer réduire ses émissions de 80 à 95 % d’ici à 2050, un but pourtant officiellement fixé par les instances européennes. Un objectif qui est aussi celui de la France, posé par la loi sur l’énergie de 2005 et rappelé par le Président de la République en septembre dernier. De leur côté, les ONG défendent un objectif contraignant d’au moins 55 % de baisse des émissions d’ici à 2030.
Autre point de friction, la part réservée aux énergies renouvelables : la commission devrait proposer de porter la part des ENR dans le mix énergétique de l’UE à 24 ou 27 % sur la base du volontariat. « Cela devrait mettre un frein au développement de ces énergies en Europe. Il a été rapide ces dernières années grâce à l’objectif européen contraignant défini dans le paquet de 2008, qui a été décliné en obligations nationales. Mais aujourd’hui, on a une forte opposition britannique qui ne veut pas de contraintes sur les renouvelables, car le gouvernement anglais a choisi de miser sur le nucléaire et l’exploitation du gaz de schiste », regrette la chargée de mission Politiques européennes du RAC. Celui-ci milite pour l’adoption d’un objectif contraignant de 45 % du mix énergétique européen, à partir de sources d’énergie renouvelable.
Enfin, les économies d’énergie sont l’autre thème oublié par la Commission. Le RAC souhaiterait là aussi un objectif contraignant de réduction de la consommation d’énergie en Europe de 40 % par rapport à un scénario tendanciel. Mais cet objectif, qui figurait pourtant dans le Paquet de 2008 sous une forme non contraignante, ne serait pour l’instant pas à l’ordre du jour. Une question de calendrier serait à l’origine de cette omission : un examen des progrès réalisés vers l’atteinte de l’objectif 2020 est prévu à l’été 2014. A suivre donc.
Mais une chose est sûre, l’Europe est en ordre dispersé à moins de deux ans de la Conférence de Paris sur le climat, qui se tiendra fin 2015. Or, sans le leadership de l’Union, un accord climatique mondial ambitieux sera difficile à trouver.
La Cour des comptes très critique sur la lutte contre le changement climatique

Dans un rapport remis le 16 janvier à l’Assemblée Nationale, la Cour étrille la mise en œuvre par Paris du PEC. Les sages reprochent, entre autres, au gouvernement, d’avoir négligé les secteurs les plus polluants : les transports et l’agriculture, qui représentent respectivement 27,9 % et 21,2 % des émissions de gaz à effet de serre.
Pour l’institution, « il apparaît donc nécessaire de beaucoup plus organiser l’effort autour des usages de l’énergie, plutôt que de, paradoxalement, le focaliser à l’excès sur celui de sa seule production, d’ores et déjà, en France, peu carbonée. » Mais la critique ne s’arrête pas là. La Cour dénonce l’absence de commandement au plus haut niveau de l’Etat : « La mise en œuvre du PEC, par nature transversale et interministérielle, pose à l’État un problème d’organisation et de pilotage, qu’il n’est pas encore parvenu à entièrement relever. À cet égard, les modalités actuelles d’organisation de l’administration apparaissent notablement perfectibles. »
Quant aux investissements publics dans les énergies renouvelables, ils auraient été conduits en dépit du bon sens, aboutissant à « des situations de rente, voire de véritable ’bulles’ financières, [qui] ont parfois été créées, toujours financées par le consommateur ou le contribuable. L’exemple du mauvais ajustement initial des tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque est emblématique d’un tel risque. » D’autant que, selon le rapport, « le carbone émis en Chine pour la fabrication des panneaux de silicium n’est pas compensé par les réductions d’émission réalisées pendant toute la durée de fonctionnement de systèmes photovoltaïques positionnés en France métropolitaine ».
Si le Réseau Action Climat partage ce constat, il est en désaccord avec certaines préconisations de l’institution, comme l’abandon de l’objectif contraignant de déploiement des énergies renouvelables en Europe. Quant au coût important des investissements à réaliser dans le domaine de la transition énergétique, l’organisation rappelle que ces mêmes investissements permettront d’engendrer des économies considérables sur la facture énergétique de la France, qui s’élève aujourd’hui à 69 milliards d’euros.