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Climat

Climat : un pas de plus vers une condamnation de l’État

L’Affaire du siècle, le recours juridique contre l’inaction climatique du gouvernement, poursuit son chemin. Au tribunal administratif de Paris, la rapporteuse publique a conseillé aux juges d’ordonner au Premier ministre de « prendre toutes les mesures utiles » pour réparer ce préjudice écologique. Le tribunal doit rendre son jugement à la mi-octobre.

« Il y a trois ans, personne n’aurait imaginé cela. » Les quatre organisations de l’Affaire du siècle – La Fondation pour la nature et l’Homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France – avaient le sourire en sortant du tribunal administratif de Paris, jeudi 30 septembre. La cause de cette bonne humeur ? Les conclusions de la rapporteuse publique, énoncées quelques minutes plus tôt.

Après une première victoire en février dernier, lorsque le tribunal avait reconnu que l’État avait commis une « faute » en émettant trop de gaz à effet de serre (GES) sur la période 2015-2018, une seconde réussite semble désormais à portée de main. Lors de cette deuxième audience, il s’agissait de s’intéresser à la façon de « réparer » cette faute, et d’empêcher une aggravation des dommages.

En se fondant sur des mémoires fournis par les organisations requérantes et le gouvernement, la rapporteuse publique a conseillé aux juges d’ordonner au Premier ministre de « prendre toutes les mesures utiles » pour réparer le « préjudice écologique constaté », et cela avant le 31 décembre 2022. Sans plus de détails sur les mesures à mettre en œuvre. « Ce n’est pas le rôle du tribunal de dicter au gouvernement sa politique climatique, a justifié la rapporteuse publique. Mais il peut rappeler à l’État que les engagements pris devant les Français doivent être respectés. » Pour rappel, la France a promis de réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Au niveau européen, la baisse doit atteindre 55 %.

Un but qui semble difficilement atteignable lorsqu’on observe que de 2015 à 2018, l’Hexagone a dépassé son « budget carbone » [1] de 61 millions de tonnes équivalent CO2. Depuis, les objectifs ont été respectés… parce que le budget carbone a été relevé en 2019, et parce que l’année 2020 a été marquée par la pandémie de Covid-19. Dans son dernier rapport, le Haut Conseil pour le climat a souligné que le pays n’était « pas encore dans les clous pour l’objectif de réduction de 40 % des émissions en 2030, et encore moins pour la neutralité carbone en 2050 », en raison du retard accumulé.

Les organisations espèrent une contrainte financière de l’État

Pour pallier ce retard, la rapporteuse publique a donc préconisé la mise en place de « toutes les mesures utiles » avant la fin de l’année 2022. « Nous devons tous faire beaucoup plus et beaucoup plus vite », a-t-elle ajouté. Un brin de déception pour les organisations requérantes, qui espéraient qu’elle précise comment compenser le surplus d’émissions. Impossible, a-t-elle rétorqué, mettant en avant le « caractère diffus et généralisé » des GES, qui pourraient être réduits par une multitude d’actions. En outre, la magistrate a considéré durant l’audience qu’une réparation « partielle » du préjudice écologique avait déjà eu lieu, compte tenu des baisses des émissions de GES induites par la crise sanitaire.

Les quatre organisations désiraient également une contrainte financière pour l’État. Dans leurs mémoires, elles avaient demandé une astreinte de plus de 78 millions d’euros par semestre de retard. Une somme qui, selon leurs calculs, représenterait 10 % du coût social provoqué par le préjudice écologique.

Même si la rapporteuse publique n’est pas totalement allée dans leur sens, les associations se sont félicitées de ces conclusions. « La responsabilité de l’État pour carence fautive est consacrée, le préjudice écologique que nous avons demandé est consacré en son principe, il n’y a que sur les modalités que nous avons un débat », a affirmé Me Emmanuel Daoud, représentant de Notre affaire à tous. C’est désormais aux juges du tribunal administratif de décider s’ils suivent (ou non) les recommandations de la rapporteuse publique. Leur jugement sera rendu à la mi-octobre.

La pétition avait recueilli plus de deux millions de signatures

Au mois de juillet 2021, le Conseil d’État avait aussi estimé que les mesures climatiques prises par le gouvernement n’étaient pas suffisantes pour respecter l’objectif national de réduction de 40 % des émissions de GES. La plus haute juridiction administrative française avait donc enjoint au Premier ministre de prendre « toutes mesures utiles pour atteindre l’objectif issu de l’Accord de Paris ». Avec une échéance : le 31 mars 2022.

Les deux juridictions ont un rôle complémentaire : le Conseil d’État doit contrôler la trajectoire de réduction des émissions de GES de la France, tandis que le tribunal administratif est censé veiller à la réparation du préjudice écologique.

« L’Affaire du siècle » avait commencé en décembre 2018, lorsque les quatre organisations requérantes avaient envoyé une demande préalable indemnitaire au gouvernement, puis lancé une pétition en ligne. En moins de trois semaines, elle avait dépassé la barre des deux millions de signatures.

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