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Climat

Le Conseil d’État donne neuf mois au gouvernement pour respecter ses engagements climatiques

Le Conseil d’État, à Paris.

La plus haute juridiction administrative française a estimé le 1er juillet que les politiques climatiques menées jusqu’ici n’étaient pas compatibles avec un objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Le gouvernement a jusqu’au 31 mars 2022 pour prendre des mesures supplémentaires, sous peine de se voir condamner à une lourde astreinte.

« Le compte n’y est pas. » Le Conseil d’État a estimé ce jeudi 1er juillet que les mesures climatiques prises jusqu’ici par le gouvernement n’étaient pas suffisantes pour respecter l’objectif national de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 [1]. La plus haute juridiction administrative française enjoint donc au Premier ministre de prendre « toutes mesures utiles pour atteindre l’objectif issu de l’Accord de Paris ». Avec une échéance : le 31 mars 2022.

Ce dossier s’est ouvert en novembre 2018, lorsque Damien Carême, à l’époque maire de Grande-Synthe (Nord), commune particulièrement exposée aux effets du changement climatique, avait adressé un recours gracieux au gouvernement pour lui demander de respecter ses engagements. « Le rapport du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] disait que le Nord connaîtrait les premiers épisodes de submersion marine et d’inondations continentales dès 2100, a rappelé l’édile lors d’une conférence de presse, le 1er juillet. Les réactualisations montrent aujourd’hui que cela pourrait arriver dès 2030. » Face à l’absence de réponse gouvernementale, Damien Carême avait saisi le Conseil d’État en janvier 2019, rejoint par quatre ONG de la campagne judiciaire l’Affaire du siècle [2] et avec le soutien des villes de Paris et Grenoble.

Lors d’une première audience en novembre 2020, le Conseil d’État avait relevé que la France dépassait régulièrement les plafonds d’émissions de GES qu’elle s’était fixés. Il lui avait donné trois mois pour fournir les preuves que les politiques conduites jusqu’ici étaient compatibles avec les objectifs fixés pour 2030. Mais les éléments apportés n’ont pas été convaincants.

Les émissions de GES ne diminuent pas assez vite

D’abord, les émissions de GES n’ont pas suffisamment diminué. « Le Conseil d’État observe que le niveau d’émissions mesuré en 2019 respecte l’objectif annuel fixé pour la période 2019-2023. Toutefois, la baisse des émissions observée, de 0,9 %, apparaît limitée par rapport aux objectifs de réduction visés pour la précédente période (2015-2018), qui étaient de 1,9 % par an et par rapport aux objectifs fixés pour la période suivante (2024-2028), qui sont de 3 % par an », a indiqué la juridiction dans un communiqué de presse. Même si les données provisoires de 2020 montrent aussi une baisse des émissions, celle-ci s’inscrit dans un contexte particulier de crise sanitaire et n’est pas représentative.

En outre, en avril 2020, le gouvernement a pris un décret reportant à après 2023 l’essentiel de l’effort de réduction des émissions devant être réalisé (12 % pour la période 2024-2028, contre seulement 6 % entre 2019 et 2023). « C’est une trajectoire extrêmement exigeante par rapport aux performances qui ont été les nôtres dans les années précédentes », a déclaré le Conseil d’État lors d’une conférence de presse le 1er juillet. Et de citer les avis de différentes instances (Haut Conseil pour le climat ; Conseil économique, social et environnemental ; Conseil général de l’environnement et du développement durable) jugeant que cette réduction de 12 % ne pourrait pas être atteinte sans l’adoption rapide de nouvelles mesures.

« Nous avons estimé qu’il ressortait de l’instruction supplémentaire que les mesures actuelles n’étaient pas suffisantes pour atteindre les objectifs de réduction de 40 % des émissions de GES d’ici à 2030 et pour être compatibles avec la trajectoire définie par le décret », a conclu le Conseil d’État devant la presse. La haute juridiction donne donc neuf mois au gouvernement pour conduire les politiques nécessaires à l’atteinte de ses objectifs. Surtout que des discussions sont actuellement en cours à l’échelle européenne pour relever l’objectif de réduction nette de baisse des émissions à 55 % d’ici à 2030. « Déjà qu’on ne respecte pas la trajectoire de diminution de 40 %, on voit bien la difficulté qu’aura ce gouvernement à atteindre cet objectif européen, a commenté aux médias l’eurodéputé Damien Carême. Et pourtant, nous n’avons pas le choix. »

Une échéance à moins d’un mois de la présidentielle

« Ce n’est pas à nous de dire à l’État quelles mesures il doit prendre, c’est le rôle du politique », a précisé le Conseil d’État. Un rehaussement des ambitions de la loi Climat et résilience pourrait être envisagé par le gouvernement et les parlementaires, mais ne suffirait pas à lui seul à atteindre les objectifs nationaux. Le 31 mars 2022 (moins d’un mois avant l’élection présidentielle), la plus haute juridiction administrative française devra décider si les mesures prises d’ici là sont suffisantes. Dans le cas contraire, elle pourrait prononcer une astreinte contre l’État — comme cela a été le cas en juillet 2020 dans le recours sur la pollution de l’air, déposé par l’ONG les Amis de la Terre. « L’étau se resserre autour du gouvernement », a réagi Celia Gautier, porte-parole de l’Affaire du siècle lors d’une conférence de presse.

En avril 2021, la Cour constitutionnelle allemande avait elle aussi estimé que les mesures nationales étaient « insuffisantes » pour baisser les émissions de GES. La chancelière Angela Merkel avait réagi en annonçant son intention de rehausser ses objectifs de réduction des émissions (65 % d’ici 2030, contre 55 % auparavant). « J’attends du gouvernement français et du président de la République qu’ils fassent la même chose, a commenté Me Corinne Lepage, l’avocate de la commune de Grande-Synthe et de Damien Carême. Aujourd’hui est une journée historique. Cette décision est extrêmement importante, ce n’est pas du droit virtuel ou une victoire symbolique : c’est extrêmement concret. »

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