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Covid-19

Comment le quotidien de l’écologie a vécu le confinement

Alors que la France se déconfine progressivement, nous vous proposons, chères lectrices et lecteurs, de découvrir comment les membres de l’équipe se sont adapté(e)s pour continuer à vous informer chaque jour. Retour sur presque deux mois de stress et de fatigue, mais aussi d’excitation.

Partout en France, les travailleurs ont dû s’adapter pendant ce confinement de 55 jours. Notre équipe de Reporterre n’a pas fait exception. À partir du 17 mars, tous les membres de la rédaction et du pôle « Comado » — communication, administration, gestion du web — ont été placés en télétravail. « On avait déjà une forte culture du télétravail, dit Émilie Massemin, journaliste. La moitié de l’équipe le pratiquait occasionnellement ou systématiquement. »

Cette fois-ci, le dispositif a concerné chacun d’entre nous. Les membres de l’équipe vivant dans les Alpes-de-Haute-Provence, en Loire-Atlantique ou encore dans le Gard y sont restés. Les autres ont dû retourner précipitamment le 16 mars à La Ruche (l’espace de travail partagé où sont installés nos bureaux, à Paris) récupérer quelques documents importants, leur ordinateur, et parfois quitter la capitale dans l’urgence, pour fuir leur logement de 12 m².

La question « Comment peut-on continuer à travailler tous ensemble ? » s’est tout de suite posée. Pour ne pas exclure une partie des salariés, les « points de 11 h », conférences de rédaction quotidiennes où les journalistes discutent de l’actualité du jour, ont été ouverts à tous les autres membres de l’équipe, pour commencer par un échange collectif, prendre des nouvelles de chacune et chacun, savoir si tout le monde allait bien. « Pendant nos conférences de rédaction par téléphone, on écrit sur un chat interne sur lequel on utilise des signes pour demander la parole, dire si on est d’accord ou non, explique Lorène Lavocat, journaliste. Ce sont des petites choses qui nous ont vite permis de nous organiser et de faire des réunions fluides à douze participants. »

« On a pris soin les uns des autres autant que c’était possible à travers ces points », se réjouit Alexandre-Reza Kokabi, journaliste. En contrepartie, ces réunions quotidiennes ont souvent été longues. Très longues. »

Un marathon de l’information

Car les points de discussion n’ont pas manqué. « Au début, c’était le bouillonnement, dit en souriant Lorène Lavocat. On avait plein d’idées, plein d’envies, et très vite le pad [document partagé où chacun écrit des propositions de sujets] a compté plusieurs pages, il y avait trop de trucs à raconter. » « Toutes les frustrations que je pouvais avoir — comment on discute, comment on arrive à avancer sur un sujet — étaient atténuées par l’excitation de cette période et le besoin d’en fournir un récit journalistique », renchérit Gaspard d’Allens, journaliste.

Toute notre équipe s’est attachée à rendre compte de l’actualité liée à la crise sanitaire, à travers sa ligne éditoriale habituelle. « On a toujours cherché à conserver notre ADN, un cocktail dont la proportion des ingrédients varie au cours du temps, mais où chaque ingrédient reste bien présent : l’écologie, le social, les libertés publiques… » résume Hervé Kempf, le rédacteur en chef. Très rapidement, notre boîte de courriel s’est emplie de propositions de tribunes et de sujets d’articles. Un budget supplémentaire pour lancer davantage de piges — les articles écrits par des journalistes extérieurs à notre rédaction permanente — a été débloqué. Chaque jour, des brèves « développées » (petits articles) ont été publiées en plus des articles principaux de la page d’accueil, et plusieurs nouvelles rubriques ont émergé, comme Le virus vu d’ailleurs et Croquons le virus. Face à l’afflux de propositions de tribunes, il a aussi fallu faire un travail supplémentaire de lecture et de sélection.

Ce travail considérable a été particulièrement intense pour Elsa Bastien et Charles Dannaud, les secrétaires de rédaction, journalistes chargés de corriger et éditer tous les articles du site — celui que vous êtes actuellement en train de lire y compris. « Les premières semaines, je me suis épuisé et ça a été difficile physiquement, se souvient Charles Dannaud. J’avais l’impression d’avoir toujours le nez dans le guidon, de me débattre au milieu de feuillets. » « Quand on a compris que ça allait être un marathon, on s’est calmé, le confinement s’est routinisé, il y a eu un apaisement du rythme », ajoute Émilie Massemin.

Les reportages ont été beaucoup plus rares pendant ces 55 jours de confinement, que ce soit par les rédacteurs permanents ou par les pigistes, rédacteurs et photographes. En raison de contre-indication médicale, par précaution pour ne pas risquer de contaminer les personnes rencontrées, ou parce que les interlocuteurs possibles étaient eux-mêmes confinés. Mais nous avons pu aller sur le terrain à la rencontre des travailleurs, des migrants, des sans-abris… Quand, confinement oblige, il n’était pas possible d’être ensemble, journalistes et photographes ont réussi à travailler main dans la main, à l’image d’Alexandre-Reza Kokabi et du photographe NnoMan. « Il est allé photographier les maraudes solidaires d’une association, raconte Alexandre-Reza. Je lui ai demandé d’être mes yeux. Il m’a raconté l’ambiance par téléphone, il a pris sur le terrain les numéros des gens qu’il rencontrait, et je les ai appelés ensuite. »

Pour compenser ce manque de terrain, tous les rédacteurs de Reporterre ont modifié leur façon de travailler. « Tu as besoin de plus de sources différentes pour être sûre de toi, de ce que tu racontes, explique Marie Astier, journaliste. Tu demandes plus de détails aux gens, ça demande plus de travail, d’une certaine manière, pour aboutir à un résultat un peu vivant. » Les associations et institutions ont également dû s’adapter, notamment en proposant des conférences de presse à distance. « Cette semaine, j’en ai suivi trois, ils s’y sont tous mis ! » s’amuse Lorène Lavocat.

Parmi l’équipe Comado, certains ont eu encore plus de travail qu’à l’accoutumée. « Un mois normal pour Reporterre, c’est entre 1 million et 1,3 million de visites, dit Renan Guichard, webmarketeur. En mars 2020, on a eu 2,4 millions de visites sur le site, et près de 3 millions en avril. J’ai travaillé, entre autres, sur cette montée de charge pour faire en sorte que le site tienne. »

Enfants qui chahutent, compagnon qui joue aux jeux vidéo et maux de dos persistants

Du côté de la communication et de l’administration, les tâches ont pu être réalisées normalement. « Pour moi, c’est pareil, mais c’est au niveau des relations avec les autres que ça change, dit Marion Susini, chargée de communication. Même avec les réunions, c’est parfois compliqué de savoir exactement ce qu’il se passe, où en sont les autres. » « Je continue à recevoir des documents par courriel ou à échanger par téléphone. La seule différence, c’est que je bois plus de café et je fume en travaillant, chose que je ne faisais pas à la Ruche », poursuit en riant Mercedes Conde, responsable de l’administration.

En revanche, les missions de Mariane Fers, chargée des rencontres et des partenariats, ont forcément diminué. « J’ai mis en suspens la partie sur l’organisation des rencontres publiques, c’est tout un volet de mon poste qui a été gelé, dit-elle. Donc, j’ai profité de ces deux mois pour mettre en ordre mes dossiers et filer des coups de main à mes collègues. »

Enfants qui chahutent autour du bureau improvisé, compagnon qui joue aux jeux vidéo juste à côté, torticolis, maux de dos persistants à cause d’une position assise permanente (la solution trouvée par l’un de nos journalistes : travailler sur un ballon de gym !), et même contamination au Covid-19 pour l’une d’entre nous… Durant presque deux mois, toute notre équipe a tenté de faire fi de ses problèmes physiques et personnels pour continuer à travailler.

Depuis le 11 mai, quatre membres de l’équipe sont revenus dans les bureaux de la Ruche, en éclaireurs. Les autres vont rester en télétravail jusqu’à la fin du mois. Dans les semaines suivantes, un roulement sera mis en place pour éviter la proximité physique — précisons que nos locaux sont très petits. « Je n’appréhende pas ce retour, mais il faudra prendre des précautions, c’est vrai que ça ajoute un stress, reconnaît Mercedes Conde. La situation va évoluer, on ne peut pas prévoir. »

Une seule chose est sûre : le travail d’information va continuer. Tous les journalistes ont hâte de reprendre le chemin des reportages. « Jusqu’ici, j’ai un peu l’impression d’avoir fait du journalisme de bocal, dit Lorène Lavocat. Le fait de pouvoir sortir un peu, de ne plus être dans cette bulle, ça va faire du bien. »

Et la venue de nouveaux lecteurs, leurs gentils messages, sont une vraie dose de motivation pour chacun d’entre nous. « On a toujours essayé de bien travailler, mais aujourd’hui l’augmentation du nombre de visiteurs crée une nouvelle exigence, une tension mais une tension très positive », dit Hervé Kempf. Le déconfinement est une période chargées d’incertitudes mais, comme le dit Charles Dannaud, « dans la grande bataille d’idées politiques qui va avoir lieu, je n’imagine pas que Reporterre ne soit pas là ».

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