La pénurie de paracétamol est due « à la dépendance à la Chine »

Le gouvernement a décidé de suspendre la vente de paracétamol sur internet en janvier 2023. - © Joao Luiz Bulcao / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Le gouvernement a décidé de suspendre la vente de paracétamol sur internet en janvier 2023. - © Joao Luiz Bulcao / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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Santé Économie Monde Covid-19Face à la flambée de Covid en Chine, le paracétamol manque dans nos pharmacies. Une pénurie de plus, selon l’observatoire OTMeds, qui critique l’inaction politique sur ce problème.
Jusqu’au 31 janvier 2023, il n’est en théorie plus possible d’acheter du paracétamol sur internet. Le gouvernement a décidé d’en suspendre la vente dans un arrêté publié le 4 janvier. En cause : la récente flambée épidémique de Covid en Chine. « Les incertitudes au cours des prochaines semaines liées à la situation sanitaire en Chine font peser un risque d’aggravation des tensions en approvisionnement des spécialités composées exclusivement de paracétamol », précise le ministre de la Santé.
Cette mesure risque d’avoir un effet très limité, l’achat de médicaments via internet restant marginal. D’autres dispositions ont déjà été prises ces dernières semaines par les autorités sanitaires. Ainsi, depuis octobre, les pharmaciens ne fournissent pas plus de deux boîtes aux patients qui en réclament sans ordonnance. Mais « pour efficaces qu’elles aient été, [ces mesures] n’ont pas permis, jusqu’à présent, de mettre fin [aux tensions] », reconnaît le ministre. Le paracétamol n’est pas le seul concerné. Actuellement, 300 médicaments font l’objet de difficultés d’approvisionnement.
Pourtant la situation était parfaitement prévisible, dénonce Jérôme Martin, cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds).
Reporterre — La vente de paracétamol sur internet est suspendue pour un mois. Que pensez-vous de cette décision ?
Jérôme Martin — Le gouvernement et les autorités sanitaires ne sont que dans la réaction et la gestion des pénuries, au lieu d’agir sur les causes structurelles de celles-ci. Il y a un réel refus de s’attaquer au problème de fond qui est lié à trois phénomènes : l’inscription des produits de santé dans une logique marchande d’offre et de demande ; la délocalisation de la production de la matière première ; l’ultraconcentration de la fabrication. Aujourd’hui, 80 % des principes actifs de nos médicaments sont produits en Chine et en Inde.
La crise sur le paracétamol n’est qu’une crise parmi de nombreuses autres depuis dix ans. Elle était parfaitement prévisible. Les ruptures ou tensions sur les médicaments ne cessent de se multiplier. Actuellement, 1,4 milliard de Chinois sont confrontés à une reprise du Covid. Ces personnes doivent être soignées, et il est compréhensible que la Chine décide de suspendre ses exportations de paracétamol.

Cette dépendance pharmaceutique à la Chine peut également devenir un enjeu diplomatique. Rien ne lui interdit de stopper toute exportation de médicaments vers l’Europe. C’est un risque à ne pas négliger dans le contexte actuel de tensions autour de Taïwan.
Pourquoi les industriels n’anticipent-ils pas mieux ces pénuries si elles sont prévisibles ?
Prenons l’exemple de l’amoxicilline, un antibiotique utilisé pour le traitement des infections bactériennes chez l’enfant, pour lequel nous faisons face à des ruptures de stock depuis novembre dernier. À partir de 2020 et pendant la crise du Covid, les maladies bactériennes ont fortement diminué, en raison des confinements et du port du masque. La demande d’amoxicilline a alors chuté. En conséquence, les industriels ont décidé de ralentir leur production, voire d’arrêter certaines lignes de fabrication. Mais quand les gens ont commencé à ôter leur masque et à moins respecter les gestes barrières, les infections bactériennes sont reparties à la hausse. Or, les usines pharmaceutiques qui travaillent en flux tendu ont attendu le dernier moment pour redémarrer la fabrication. Avant que la production ne reprenne à plein régime, la pénurie a eu le temps de s’installer.
« Il est indispensable de relocaliser la production des matières premières des médicaments »
Il faut bien comprendre que l’industrie pharmaceutique n’est ni dans une logique de santé ni dans une logique d’anticipation. Sa seule interrogation est : « Est-ce que nous allons suffisamment vendre ? » La crise de l’énergie actuelle et l’inflation mondiale ont aussi des conséquences. La hausse des prix est quasi immédiate pour les laboratoires. Et quand produire un médicament coûte plus cher, l’industriel peut décider de produire moins. C’est toujours la même logique commerciale qui prévaut.
Quelles sont les conséquences de ces pénuries ?
La pénurie de médicaments entraîne un effet domino. Face aux ruptures de stocks d’amoxicilline pour enfant, fin novembre, les autorités sanitaires ont recommandé aux médecins de prescrire la forme adulte de l’amoxicilline. Il revenait alors aux parents de procéder à un mélange : écraser un comprimé pour adulte, le dissoudre dans de l’eau et prélever avec une seringue la dose adaptée au poids de l’enfant. Cette manipulation n’est pas simple quand on n’est pas habitué à ces gestes et peut conduire à un mauvais dosage. De telles pratiques peuvent par ailleurs être considérées, selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé, comme des sous-standards.
Se pose aussi un problème environnemental : le reste du mélange non utilisé est jeté, généralement, dans l’évier. Ce qui aggrave le phénomène de l’antibiorésistance. Dans certains cas, les soignants peuvent aussi décider de prescrire des antibiotiques plus récents qui sont normalement réservés aux bactéries les plus résistantes. En étendant leur usage, on affaiblit alors l’efficacité de ces nouvelles molécules.
Quelles sont, selon vous, les solutions à mettre en place ?
Il est indispensable de relocaliser la production des matières premières des médicaments en France et en Europe, et ce dans le secteur public. Il y a trois ans, Emmanuel Macron insistait pour sortir les médicaments de ces logiques de dépendance. Depuis rien n’a changé ou presque. Une usine de fabrication de matières premières pour le paracétamol devrait ouvrir en 2025 en France. Mais ce n’est pas suffisant, il en faudrait au moins une équivalente ailleurs en Europe, pour pouvoir réagir si un problème survient dans cette usine. Le plan France 2030 santé prévoit de relocaliser la fabrication de seulement dix-huit médicaments, mais on ne sait pas comment ils ont été choisis. Il faut se poser les bonnes questions (quels sont les médicaments dont nous avons le plus besoin ?) et s’organiser à l’échelle européenne.
Le gouvernement a choisi de donner encore plus d’argent public aux industriels qui sont pourtant ceux qui ont choisi de délocaliser leur production pour profiter de normes sociales et environnementales moins fortes. Car, dans tout ça, il y aussi un enjeu d’équité écologique. La production des médicaments est une industrie très polluante que l’Europe exporte ailleurs. Il faut relocaliser avec des normes environnementales élevées. Malheureusement, l’opposition de gauche ne semble pas se mobiliser sur ce sujet. On peine notamment à voir les Verts sur ces questions écologiques.