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TribuneÉconomie

« Contre les banques, épargnons citoyen ! »

L'organisation Terre de liens facilite les installations agricoles.

En plaçant notre argent ailleurs que dans des banques, nous pourrions devenir, selon l’auteur de cette tribune, des acteurs essentiels de la transition sociale et écologique.

Mathieu Labonne est président et directeur de la Coopérative Oasis, qui accompagne celles et ceux désirant vivre dans des écolieux collectifs.



D’urgence il nous faut développer la finance citoyenne (la partie la moins institutionnelle et la plus militante de ce qu’on appelle la « finance solidaire »). C’est une nécessité pour mieux soutenir la transformation écologique de nos modes de vie et une société plus juste et solidaire.

Aujourd’hui, nous laissons à l’État et aux banques le monopole de la gestion de notre épargne. Ils façonnent donc notre modèle de société par leurs investissements, et malheureusement pas pour le meilleur… En 2018, une étude d’Oxfam France et des Amis de la Terre démontrait que 70 % des financements énergétiques des banques françaises restaient orientés vers les énergies fossiles, contre seulement 20 % vers les énergies renouvelables. En 2022, leur empreinte carbone représentait encore « près de huit fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière ».

L’État français n’est pas en reste : taclé en juin par le Haut Conseil pour le climat pour la pauvreté de son action publique, il ne dépasse toujours pas le stade des mesurettes avec sa nouvelle planification écologique.

« Les banques utilisent leur monopole pour tuer dans l’œuf des projets alternatifs »

Parallèlement, notre époque fourmille d’initiatives qui transforment de l’intérieur la société et son rapport au vivant. Les écolieux, par exemple, démontrent qu’un mode de vie plus sobre est possible : leurs habitants parviennent à diviser par deux leurs émissions de gaz à effet de serre en développant des stratégies de mutualisation et en permettant le développement d’activités utiles au territoire (production agricole biologique, écoconstruction, lieux de rencontre, etc.).

Ils permettent aussi de renforcer, voire de recréer le lien social et favorisent l’épanouissement des personnes. Les coopératives citoyennes d’énergie renouvelable permettent, elles, de contribuer au développement des énergies alternatives, de soutenir l’économie locale et d’autres formes de gouvernance.

Mais, avec des taux bancaires à plus de 4 % sur vingt ans et, plus grave encore, le refus de plus en plus systématique des demandes de prêts, les banques utilisent leur monopole comme un outil politique qui tue dans l’œuf des projets de fermes collectives, d’habitats participatifs, d’écoles alternatives… Et notre épargne contribue à cette situation.

Sans finance, pas de projets alternatifs

Il nous faut comprendre que l’argent est le carburant principal des transformations dont nous avons besoin. Nous faisons une confiance aveugle aux banques en y plaçant nos économies, car elles nous apportent un sentiment de sécurité. Mais n’est-il pas schizophrène de vouloir un monde différent, plus écologique, et de placer son argent entre les mains de multinationales qui choisissent ce qui vaut d’être financé ?

Du fait de notre éloignement des affaires publiques, nous avons de l’argent une perception négative : il est synonyme d’exploitation, de profit à courte vue. Mais l’argent est aussi ce qu’on en fait : sans finance, pas de projets alternatifs.

Ce monde plus solidaire et écologique émergerait plus rapidement. Pexels/CC0/Zen Chung

Imaginez ne serait-ce que 10 milliards d’euros supplémentaires, sur les 6 000 que représente notre épargne collective, selon la Banque de France en 2022, mis au service de projets « vertueux » ? Il suffirait pour cela qu’un million de citoyens sensibles à l’écologie placent en moyenne 10 000 euros chacun. Ce monde plus solidaire et plus écologique que nous désirons n’émergerait-il pas plus rapidement ?

L’emprise destructrice du capitalisme

Des structures existent qui permettent d’investir son argent autrement pour favoriser cet autre monde. Tout citoyen peut le placer dans des organisations de finance dite solidaire, comme Terre de liens, qui facilite les installations agricoles, Énergie partagée, qui favorise les projets locaux d’énergies renouvelables, la Coopérative Oasis, le développement des écolieux, et bien d’autres.

Chacune a ses spécificités, mais toutes proposent des solutions d’épargne sécurisées en soutenant des projets, et non en utilisant les fonds pour leur propre développement. Ces structures rémunèrent parfois en direct, ou par une réduction d’impôts de 25 % (via l’agrément Entreprise solidaire d’utilité sociale, Esus).

Énergie partagée est déjà soutenue par plus de 7 000 investisseurs solidaires ; Terre de liens par plus de 15 000 ; en 2022, 200 clubs Cigales (Club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire) ont collecté 600 000 euros, investis dans 150 projets permettant de créer ou consolider plus de 300 emplois. Mais malheureusement, beaucoup de projets ne peuvent pas voir le jour, par manque d’accès au financement — la Coopérative Oasis reçoit plus de dix demandes de financement par mois, mais ne peut s’engager favorablement que pour un ou deux.

La finance citoyenne est une des issues face à l’emprise destructrice du capitalisme. Elle nous permet, citoyens et citoyennes que nous sommes, de remodeler la société selon nos convictions. Utilisons-la.

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