Reportage — Pédagogie Éducation
Contre les canicules, les cours d’écoles « oasis »

Sous les arbres et avec moins de béton, les cours d'écoles sont beaucoup plus respirables lorsqu'il fait chaud. - © NnoMan / Reporterre
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À Paris, comme dans d’autres villes, les cours « Oasis » se multiplient. Leur but : végétaliser des espaces autrefois bétonnés pour transformer ces lieux en îlots de fraîcheur.
Paris 19ᵉ, reportage
Une cour « Oasis » à l’école. Le concept fait rêver. On s’imagine un jardin d’éden, avec des palmiers, du sable et une foule de plantes vertes recouvrant le bitume gris. On visualise un espace où les élèves pourrait échapper à la canicule de la rentrée et aux épisodes de chaleur intense qu’ils subiront à l’avenir.
Hélas, comme de nombreux rêves, celui-ci vient se heurter au principe de réalité. Difficile de concilier le besoin d’herbe fraîche avec le piétinement de centaines d’enfants, comme le montrent les écoles élémentaires Compans et Général Brunet qui partagent leur cour dans le 19ᵉ arrondissement de Paris.

Cette cour d’environ 1 000 mètres carrés, foulée par 338 écoliers - a été l’une des premières à avoir été végétalisée. Le chantier a débuté en 2020 par une concertation entre tous les usagers : enseignants, élèves, parents, agents de service ainsi que les animateurs du temps périscolaire.
« On organisait des ateliers avec les enfants où on leur parlait de perméabilité des sols et de réchauffement climatique, raconte Bénédicte Momeux, responsable éducative de la ville, qui s’occupe des temps périscolaires dans ces deux écoles. Les parents avaient envie d’avoir les Buttes Chaumont [1] à l’intérieur de l’école. Mais ce n’était pas possible. On ne peut pas mettre du gazon où des centaines d’enfants vont marcher toute la journée ».

Une fois la concertation terminée, place aux travaux. Les pelleteuses ont retiré trente à quarante centimètres de béton avant d’installer un revêtement en plastique mou sur une bonne moitié de la cour. Cette matière amortit les chutes mais n’est plus vraiment utilisée aujourd’hui.
« On en met de moins en moins car ce plastique ne laisse pas s’infiltrer l’eau. On privilégie désormais les copeaux de bois », indique Joséphine Bussière, designeuse de services en architecture éducative et inclusive pour la ville de Paris.

Des copeaux de bois recouvrent justement la seconde partie de la cour de l’école. Un tapis moelleux et naturel qui fait la joie des enfants. « Ils s’enterrent dedans comme s’ils étaient à la plage », sourit Bénédicte Momeux.
La couche est moins épaisse que durant les premiers mois d’installation : les copeaux disparaissent peu à peu, cachés dans les poches des petits ou éparpillés dans les couloirs de l’établissement. « Ma mère en a marre que j’en rapporte plein à la maison coincés dans mes baskets », raconte Manelle, une élève.

Autres aménagements : un mur d’escalade, qui fait le bonheur des apprentis grimpeurs, ainsi que des robinets extérieurs pour se désaltérer sans entrer dans les sanitaires. « C’est plus pratique que dans les toilettes qui sont parfois sales », dit Mannelle.
« La cour est beaucoup plus colorée qu’avant »
Dans la maternelle voisine, les tous petits jouent dans des huttes en osier, autant d’endroits où se cacher pour se raconter des secrets. Un nouveau mobilier a également été installé, avec des bancs colorés, une table avec des damiers, des jeux au sol : des peintures avec des marelles ou des lettres.
« La cour est beaucoup plus colorée qu’avant. Elle ressemble plus à un parc de jeu qu’à une école », se réjouit Mathieu Eugène, coordinateur des écoles du 19ᵉ arrondissement de Paris.

Au-delà de leur aspect visuel, les cours végétalisées sont parées de multiples vertus. Elles limitent les îlots de chaleur urbaine et laissent s’infiltrer l’eau de pluie. Elles favorisent également la mixité entre les filles et les garçons.
Créer des espaces égalitaires
Une étude de l’Unicef démontre la prédominance des garçons sur l’espace central principalement dédié au foot, rejetant les filles sur les côtés ou dans les toilettes. Redéfinir les espaces permettrait de casser cette ségrégation. Dans le 19ᵉ, des mini-buttes ont été installées au milieu de la cour, pour le plus grand bonheur des filles comme des garçons qui s’amusent ensemble à les escalader.
Ce concept permettrait également de limiter les bagarres, comme le montre une étude scientifique réalisée au Canada. Un bienfait que n’a pas constaté Bénédicte Momeux : « Ici, on est dans une école avec une bonne ambiance, il n’y a pas trop de bagarres ».

On compte aujourd’hui 130 cours végétalisées sur les 638 écoles publiques de Paris. Le projet a débuté en 2017, dans le cadre de la stratégie de résilience qui vise à adapter la capitale aux « grands défis climatiques et sociaux du XXIᵉ siècle ».
Et pour lutter contre les îlots de chaleur, les 70 hectares des écoles et collèges de Paris constituent un excellent terrain d’expérimentation. Pour cela, la mairie n’hésite pas à mettre les moyens : une cour Oasis coûte entre 300 000 et 600 000 euros. L’objectif est d’en réaliser de trente à quarante par an.

En cet après-midi caniculaire, les élèves jouent au cerceau dans les copeaux, ou lancent un karaoké sur un nouvel ampli flambant neuf. Sur les côtés, dans les jardinières colorées, quelques herbes folles côtoient des brins de menthe et de sauge un peu chétifs.
Bénédicte Momeux promet, que cette année, ils vont mieux s’en occuper. Tout comme les plantations de fraises qui ont été dévorées avant qu’elles ne soient mûres. « Ce sont des petits Parisiens, il faut leur apprendre à jardiner », justifie Bénédicte Momeux. « Tout cela permet de faire de l’éducation à la nature, d’apprendre à respecter les espaces végétalisés. Les enfants se rendent aussi compte de l’impact des saisons » , renchérit Joséphine Bussière.

Malgré les nombreux bénéfices de ce type d’espace, les équipes de la ville de Paris rencontrent certaines réticences. « La surveillance n’est pas la même. Dans les cours classiques, tout est visible, les surveillants n’ont pas besoin de bouger, observe Joséphine Bussière. Dans les Oasis, il y a des recoins et des espaces moins visibles. Certains nous disent que cela peut être dangereux. Mais on défend l’apprentissage par le risque. Les enfants doivent apprendre à tester leurs limites ».