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Agriculture urbaine

Cosmos, narcisses, dahlias... En Île-de-France, le renouveau écologique des fermes florales

Finies les fleurs produites à l’autre bout du monde, bourrées de pesticides... En Île-de-France, des horticulteurs relocalisent la culture et renouent avec la tradition des fermes florales.

  • Montreuil, Paris et l’Île-Saint-Denis, reportage

« Pour nous trouver, il faut prendre une petite ruelle, et après quelques mètres, il y a un parking et une porte grillagée blanche. Appelez-nous, on descendra vous ouvrir. » Les indications pour trouver la Ferme florale de Félix Romain et Tran-Phi Vu a des airs de jeu de piste. Rien ne laisse penser que des fleurs poussent ici, au pied de l’hôpital Robert-Debré, qui jouxte le périphérique nord. Construit dans les années 1980, le bâtiment avait pourtant été pensé pour être végétalisé, mais rien n’avait été mis en place. Jusqu’à aujourd’hui. « On nous a mis à disposition les terrasses pour expérimenter une microferme florale », dit à Reporterre le cofondateur Félix Romain. « Le projet n’a aucun lien avec l’hôpital, il s’agit de produire des fleurs, avec une démarche la plus vertueuse possible et avec les contraintes de l’agriculture urbaine. » Ainsi, 850 m2 de cosmos, narcisses, dahlia, calendula et autres tulipes sont cultivées sur les toits de l’hôpital parisien, dans le 19e arrondissement.

Comment les deux hommes, qui se sont rencontrés à l’école d’horticulture du Breuil, en sont-ils arrivés à se lancer dans la culture de fleurs coupées ? « Il y a tous ces débats autour de l’impact carbone des fleurs et de leur origine rarement française », dit Félix Romain. « On cherchait un projet en agriculture urbaine pour expérimenter les techniques d’agroécologie. Quand on a visité ce lieu pour Parisculteurs [un programme de la ville de Paris qui recense les espaces à végétaliser et propose leur exploitation], on a vu le potentiel et on s’est lancé. » En mai 2019, les deux horticulteurs ont ainsi commencé une production « radicalement écologique ». « On travaille avec une grande diversité de fleurs pour favoriser la biodiversité ainsi que la rotation des sols », détaille Félix Romain.

Mars 2020 : des tulipes sur l’hôpital Robert-Debré.

Renouer avec la tradition horticole de l’Île-de-France

En ce mois de mars, c’est surtout le temps des semis, réalisés sous une serre en forme de yourte — soit 6.000 plants pour les fleurs annuelles — même si quelques fleurs font déjà leur apparition. Les horticulteurs avaient également prévu l’organisation de visites et d’ateliers pédagogiques, mais la crise sanitaire ne l’a pas permis et a déstabilisé leur modèle économique. « Nos débouchés, ce sont les fleuristes ainsi que les particuliers, car la partie "bouquets" nous intéresse aussi beaucoup », dit Félix Romain. « C’est l’avantage de la ville, on est proche des consommateurs pour vendre en bouquets. » Du coup, ils ne peuvent pas satisfaire toute la demande. Il faut dire que la filière de la fleur locale est particulièrement restreinte. En France, seul 1 % des fleurs coupées est produit dans l’hexagone. La production est en très grande majorité néerlandaise ou étrangère, et les alternatives encore rares.

C’est l’heure des semis aux Murs à fleurs à Montreuil.

En Île-de-France en revanche, les projets se multiplient, et renouent avec la tradition horticole de la région. C’est d’ailleurs au pied des murs à pêches de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, que Sophie Jakowski a installé sa ferme florale à quelques arrêts de bus du centre-ville. Aux Murs à fleurs, c’est aussi l’heure des semis. Sous une grande serre, on s’active à disposer les graines de lupins, statices et autres immortelles qui iront bientôt rejoindre un petit coin des 7.000 m2 de cette ancienne friche industrielle. « Là, il y avait un immense monticule de déchets au milieu d’une jungle de ronces », montre Sophie Jakowski en parcourant la parcelle. « La terre n’avait pas été cultivée depuis des années, les sols étaient complètement pollués. »

Ici aussi, l’enjeu est de cultiver des fleurs locales, les plus écologiques possibles. « Je cultive des fleurs fraiches uniquement quand elles sont censées pousser », dit Sophie Jakowski. « J’arrête la production en novembre, car les fleurs ne poussent pas en hiver. Ce n’est pas simple : les autres fleuristes continuent à proposer des fleurs fraiches. Mais c’est une question de cohérence. » Aux Murs à fleurs, l’enjeu est de vendre en circuit court. « J’ai un kiosque à fleurs place de la République ouvert pendant la saison », indique Sophie. « Cela me plait de dire que de la cueillette à la vente, il n’y a que huit kilomètres que je fais en vélo. C’est important d’aller jusqu’au bouquet, c’est une source de plaisir, et je peux les imaginer en choisissant les fleurs que je fais pousser. »

Les serres des Fleurs d’Halage.

Elle propose aussi des graines à la vente, pour celles et ceux qui souhaitent faire pousser eux-mêmes leurs fleurs — elle a été formée à la récolte de graines lors de son premier projet d’agriculture urbaine sur les toits du centre de tri de la Poste à la Porte de la Chapelle. « Il n’y a pas plus bel apprentissage que de se mettre au diapason de la nature », dit l’agricultrice urbaine.

Les gens ont oublié comment on cultive les fleurs. Avoir une ferme florale à côté de chez eux leur permet de venir voir, de comprendre et de se reconnecter avec la nature. »

Relocaliser la production, c’est également créer des emplois et valoriser une filière horticole qui décline face à la concurrence internationale. C’est l’un des enjeux des Fleurs d’Halage : développer une filière de la fleur française en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Grâce à des chantiers d’espaces verts, l’association, créée il y a vingt-cinq ans par des habitants de l’Île-Saint-Denis afin de nettoyer les berges de Seine et de lutter contre le chômage, forme à l’horticulture des salariés en insertion. L’un de leurs chantiers, lancé en 2018, se situe sur un ancien site industriel de l’Île-Saint-Denis. Une immense serre accueille les premiers semis et plantations de la saison, entre une usine Veolia et les tours de béton de l’autre côté de la rive.

« Les sols étaient complètement pollués », explique Nicolas Fescourt, chargé de projet Fleurs d’Halage. « La filière de la fleur est une aberration à cause des pesticides et des émissions de carbone qu’elle implique. Ici, c’est une production écologique. Le compost et la diversification des espaces redonnent vie au sol. » Le projet d’horticulture permet aussi de valoriser les savoirs et compétences des salariés en insertion. « C’est Rustam, un salarié en insertion d’origine arménienne, qui nous a réellement lancé dans la production de fleurs », précise Nicolas Fescourt. « Il a réussi à faire pousser des plants de tomates dans une rainure de béton à la Porte de la Chapelle ! » L’association lui a donc confié un jardin à côté de l’église de l’Île-Saint-Denis. Et a appris — sans grande surprise — qu’il avait été horticulteur pendant vingt ans en Arménie. « Quand ils arrivent dans nos grandes villes, ces savoirs ne servent pas sur le marché du travail, qui les a oubliés. Notre enjeu est aussi celui-là : créer un nouveau métier, une sorte d’horticulteur urbain. » Cette année, les Fleurs d’Halage prévoient de faire pousser 150.000 fleurs, qu’ils vendront à une quarantaine de fleuristes, sur les marchés et dans des Amap.

Si la filière de fleurs locales est encore discrète en Île-de-France, l’idée germe un peu partout, jusqu’au triangle de Gonesse. À la suite de l’abandon du projet du complexe Europacity, le groupement associatif Carma souhaite réimplanter un projet horticole, là où des champs de tulipes s’étendaient il y a quelques années encore.

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