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Dans l’Aveyron, bataille entre la gestion privée des déchets et une réflexion collective de réduction

Dans l’Aveyron, les élus confient la gestion des déchets à une entreprise privée plutôt que réfléchir collectivement à leur réduction. Prévu sur d’anciennes terres industrielles en partie dépolluées, le projet de centre de tri et de stockage suscite la résistance des habitants.

  • Rodez (Aveyron), correspondance

« Le casse-tête des ordures ménagères dans l’Aveyron. » C’est devenu un marronnier de la presse locale, un sujet dont on parle depuis quinze ans sans trouver de solution. Le problème ? « L’acceptabilité sociale » et la « fronde des territoires » qui ont « tué dans l’œuf tous les projets initiés par le [Syndicat départemental des ordures ménagères] Sydom », explique ce dernier dans sa communication. En clair, personne n’a envie de sacrifier des terres agricoles pour y mettre des ordures.

En 2010 a fermé la dernière décharge à ciel ouvert du département. Dans l’urgence, une convention a été signée pour dix ans avec Tryfil, le syndicat départemental du Tarn, qui traite 60.000 tonnes de déchets aveyronnais par an. Mais que faire après 2020 ? C’est là que surgit face au vent malodorant ce que beaucoup d’élus voient comme LA meilleure solution : Solution environnement Aveyron, ou Solena, une société privée née de la rencontre entre une entreprise aveyronnaise de travaux publics, Sévigné TP, et un poids lourd de la gestion des déchets, Séché environnement. Son projet ? Un « pôle de valorisation et de production de ressources ».

Présentation du projet Solena.

Dans le détail, il s’agit de quatre usines sur un site unique : un centre de tri mécanobiologique pour les ordures ménagères résiduelles (poubelles noires), un méthaniseur pour les matières organiques, un gazéificateur et, en bout de chaîne, une décharge. Le tout pour un montant avoisinant les 40 millions d’euros et une vingtaine d’emplois.

« On veut bien faire les choses, parce qu’on vit sur le territoire » 

« L’objectif est de produire de l’énergie avec les poubelles en contrôlant les nuisances autour de l’usine », explique Stéphane Foury, responsable du projet chez Sévigné. « On veut bien faire les choses, parce qu’on vit sur le territoire. » « Écologique », « durable », « transition énergétique », les entrepreneurs assurent utiliser des solutions qui ont fait leurs preuves, prenant l’exemple de Steinfurt, en Allemagne. « Même devant l’entrée du site, il n’y avait pas d’odeur », s’enthousiasme Stéphane Foury. Avec un bémol toutefois puisque le compost issu du tri ne pourra pas être utilisé en agriculture, contrairement à ce qui se passe avec un méthaniseur agricole classique.

Projection du projet par l’entreprise.

Si l’entreprise se veut vertueuse, un journal indépendant aveyronnais, L’Empaillé, a recensé ce qu’il s’était passé dans les autres décharges gérées par Séché. Et le résultat n’est pas brillant : incendies, en Alsace notamment sur le site de déchets dangereux Stocamine, pollutions des eaux aux PCB dans le Rhône… Surtout, c’est le site choisi par l’entreprise qui pose problème : l’Igue-du-Mas, une ancienne décharge des résidus de production de zinc de l’entreprise Umicore.

Le dossier de « l’Empaillé » consacré au projet Solena.

Un nom qui renvoie au passé industriel de la petite ville de Viviez, 1.300 habitants. Implantée en 1837 sous le nom de Société des mines et fonderie de zinc de la Vieille-Montagne, Umicore était de ces entreprises paternalistes généreuses avec ses ouvriers, moins à l’égard de l’environnement.

La « montagne pelée ».

Umicore, c’est aussi Saint-Félix-de-Pallières (Gard), l’une des communes les plus polluées de France. Là-bas, on extrayait des mines le zinc qui était ensuite laminé dans l’usine de Viviez. Claude, ancien ouvrier d’Umicore à Viviez, se souvient : « Tu traversais le village, t’avais les yeux qui piquaient, entre les fumées, l’acidité de la pluie... » Au-dessus de l’usine de Viviez, la colline est pelée, toute végétation a disparu, décapée par l’addition des fumées de l’usine et de l’érosion.

Après trois ans de travaux, la dépollution est loin d’être complète 

Umicore, c’est aussi à Viviez un accident industriel majeur, en 1986, qui a provoqué des rejets massifs de métaux lourds qui ont pollué les eaux du Lot puis de la Garonne jusqu’au bassin d’Arcachon. Le scandale fut fatal à l’usine, qui en a fermé en 1987 avant d’être relancée et modernisée pour produire du zinc haut de gamme à destination du bâtiment. Mais, la terre, elle, reste lourdement polluée comme en témoigne ce « crassier », terril produit par 160 ans d’industrie.

Le crassier.

En 2003, une étude a mis à jour « l’impact sanitaire et environnemental des activités historiques » d’Umicore. Un plan de réhabilitation a été programmé pour dépolluer trois sites de stockage, notamment l’Igue-du-Mas. Séché environnement a obtenu le contrat. Au total, 1,3 million de mètres cubes ont été stabilisés puis stockés dans une alvéole étanche. Il ne reste plus qu’à revégétaliser l’ensemble.

L’Igue-du-Mas dépollué.

Mais, même après trois ans de travaux, la dépollution est loin d’être complète. Le crassier où se situera la nouvelle usine est toujours là et toujours aussi pollué. Dans toute la commune, on évite de consommer les produits du jardin ou l’eau naturelle. En 2008, l’Institut de veille sanitaire (INVS) a lancé une étude, toujours en cours, de la population pour connaître son imprégnation aux métaux lourds et les maladies qui y seraient liées.

En contrepartie des travaux, Séché acquiert les terrains. Christophe Calvez, responsable de l’opération dans l’entreprise de dépollution y voit l’occasion de « faire vivre ce terrain au lieu de le laisser à l’abandon comme tant de friches industrielles ».

La rencontre de Séché environnement avec Sévigné TP a donc scellé la naissance du projet Solena. Ce n’est que fin 2016 que les premiers éléments du projet ont été présentés dans la presse locale. Aussitôt, une opposition a surgi. « Comment peuvent-ils construire une nouvelle usine alors que les dégâts de l’ancienne n’ont pas été complètement traités, s’indigne Jean-Louis Calmettes, élu EELV à la mairie de Decazeville. Il ne s’agit pas simplement de dire que nous sommes contre cela ici, mais de poser la problématique générale de la production et la gestion des déchets ménagers. » Depuis six mois, la mobilisation prend forme avec l’association Adeba (Association de défense environnementale du bassin et des alentours). Elle compte aujourd’hui deux cents adhérents et une pétition en ligne a recueilli près de 5.000 signatures. Le 22 avril dernier, une première manifestation rassemblait plus de 500 personnes « contre le projet Solena, pour des alternatives ».

Manifestation des opposants au projet Solena le 22 avril, à Viviez.

Car d’autres solutions existent. Le 20 mai, l’association a invité en réunion publique Thibault Turchet, de l’association Zero Waste France. Selon ce juriste, Solena n’est pas une solution : « Pour gérer les déchets, le tri doit se faire à l’origine. Solena propose de trier des poubelles ménagères déjà mélangées et de stocker encore la moitié de ce qui arrive. La solution est de réduire d’abord le volume global de déchets entrants et diminuer ainsi les besoins en stockage. » L’Aveyron, avec 270 kg de déchets ménagers par habitant par an, est dans la moyenne nationale, mais des outils permettent de réduire drastiquement la production de déchets. Tarification incitative ou réseau communal de compostage… « C’est une question de volonté politique », ajoute M. Turchet.

La réunion publique en présence de Thibault Turchet, de Zero Waste France, le 20 mai 2017.

Le projet Solena, lui, va dans le sens inverse : une gestion complètement privée, où la collectivité signe un contrat et n’a plus à s’occuper de la question qui l’embarrasse depuis vingt ans. Contrairement aux promoteurs, les politiques se montrent peu loquaces, le maire de Viviez se refusant à tout commentaire, tandis que les élus de la communauté de communes ou du Sydom n’ont pas répondu aux appels de Reporterre. Nous aurions pourtant aimé savoir pourquoi ils ont voté contre une solution commune avec le Tarn en mars 2016.

Agnès Langevine, vice-présidente EELV chargée de l’environnement à la région Occitanie, fournit un élément de réponse : depuis le 1er janvier 2017, la compétence en matière de planification de la gestion des déchets est passée à l’échelon régional. Et déjà apparaît une surcapacité régionale en matière d’équipements de traitement, même s’ils sont inégalement répartis. « On vise à élaborer un plan de prévention régional pour 2018-2019. » En attendant, la solution votée par le département en 2016 continue de s’appliquer. Une manière pour des élus aveyronnais de garder la main sur le dossier. Pour l’heure, Solena s’apprête à déposer durant l’été sa demande d’exploitation à la préfecture, avant d’envisager le démarrage d’une enquête publique « au minimum dans un an ». D’ici là, les citoyens du bassin n’entendent pas enfouir la contestation.

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