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ReportageClimat et COP 24

Dans le « triangle noir », le charbon polonais a encore de beaux jours devant lui

Aux confins de la Pologne, de la République tchèque et de l’Allemagne, la centrale électrique et la mine de charbon de Turów affectent la qualité de l’air et les nappes phréatiques. Mais pas question de remettre en cause le charbon, qui fournit 80 % de l’électricité du pays. Plongée photographique au cœur de cette région minière sinistrée.

  • Bogatynia (Pologne), reportage

« Loin des yeux, loin du cœur. » Pour les Polonais, la mine de Turów est très lointaine. « Ce n’est plus la Pologne. » Et pourtant, cette langue de terre coincée entre la République tchèque et l’Allemagne fournit près de 8 % de l’électricité du pays, qui provient à 80 % du charbon. Au cœur du « triangle noir », une région dévastée par l’extractivisme au sortir de la Guerre froide, la mine de Turów est un cas d’école : pollution de l’air, épuisement des nappes phréatiques, déplacement de population.

La centrale électrique de Turów.

Tandis que la région panse lentement ses blessures depuis la chute du bloc soviétique, un programme d’extension industrielle inquiète les voisins tchèques. Un nouveau générateur est en construction, faisant passer la puissance de la centrale thermique de Turów de 1.500 à 2.000 MW. Une extension de la mine en largeur et en profondeur est prévue pour exploiter le filon jusqu’au bout. L’effet sur les nappes phréatiques, déjà important, sera aggravé. Il faut pomper 7 à 10 tonnes d’eau pour extraire 1 tonne de charbon. Avec 7,5 millions de tonnes extraites en 2015 à Turów, les conséquences sont bien réelles sur les nappes phréatiques. L’eau pompée en profondeur est rejetée dans une rivière, et à une dizaine de kilomètres à la ronde, des cours d’eau disparaissent et le niveau des lacs baisse. Dans les puits, il faut maintenant aller chercher de l’eau une vingtaine de mètres plus bas qu’il y a 40 ans.

Des milliers d’emplois sont concernés par la centrale et la mine de charbon

Les 40.000 Tchèques souffrant du déficit d’eau dû à cette exploitation sont démunis et des tensions diplomatiques émergent entre les deux pays. De nouveaux sondages ont été commandés par le gouvernement tchèque, pour avoir une vision plus fine des conséquences hydrologiques de la mine. À moyen terme, la solution retenue est la construction de stations d’épuration et de pipelines d’une quarantaine de kilomètres de long pour importer l’eau potable depuis un lac de retenue situé dans une zone naturelle. Le tout serait financé par PGE, la compagnie exploitant la mine polonaise. Encore faut-il qu’elle reconnaisse sa responsabilité, aussi bien sur les nappes phréatiques que sur la pollution de l’air.

Le lignite extrait arrive directement, par tapis roulant, dans la centrale thermique voisine de la mine, qui rejette annuellement 7 millions de tonnes de CO2 après combustion, ainsi que les particules fines associées. Les mesures menées entre 2015 et 2017 à Bogatynia, la localité sur laquelle la mine et la centrale sont implantées, font apparaître qu’il y a entre 68 et 172 jours de dépassement des valeurs tolérées pour les particules fines. L’énergéticien PGE conteste les chiffres, et accuse le chauffage des ménages ou la circulation routière alors même que la moitié des jours de dépassement se produisent dans des périodes où les foyers ne sont pas chauffés. 206 morts prématurées seraient directement concernées par la combustion liée à la centrale de Turów, selon les calculs du collectif d’ONG Europe Beyond Coal (« L’Europe au-delà du charbon »). Au niveau national, la pollution liée à l’exploitation charbonnière serait à l’origine de 2.600 décès prématurés.

Canalisations destinées à l’alimentation en eau de la mine.

Les ministres de l’Environnement polonais et tchèque se sont rencontrés pour évoquer le problème. Mais les milliers d’emplois concernés par la mine et la centrale à charbon pèsent très lourd. Et PGE est lui-même un poids lourd de l’économie polonaise. À cela s’ajoute le fait que les trois pays concernés par les effets (Allemagne, République tchèque et Pologne) sont les trois plus importants producteurs de charbon en Europe. Dès lors, il est difficile de reprocher au voisin ce que l’on pratique dans son propre pays, et la pression exercée par la mine de Turów sur son environnement proche semble vouée à augmenter. La concession arrivant à échéance en 2020 sera très probablement renouvelée jusqu’en 2044, date programmée d’arrêt de l’exploitation, lorsque les 340 millions de tonnes de lignite en réserve seront extraits. Il faudra alors agrandir la mine pour atteindre toutes les ressources disponibles.

Des mineurs ont remplacé les familles aristocrates et bourgeoises 

La mine s’étendra en direction de la frontière tchèque, jusqu’à quelques centaines de mètres de celle-ci. Et le village d’Opolno-Zdroj disparaitra comme tant d’autres dans le cratère de la mine. La grandeur passée de ce village anciennement thermal se discerne à travers les vestiges des grandes villas des familles aristocrates et bourgeoises qui fréquentaient l’endroit au XIXe siècle. Le contraste est marqué avec la situation actuelle, où les classes populaires vivant de la mine occupent maintenant ces anciens lieux de villégiature.

L’ancien village thermal d’Opolno-Zdroj est condamné. L’électricien polonais PGE y achètent progressivement les maisons avant leur destruction.

À la sortie du village, les routes conduisant à la mine sont fermées par des barrières ou des arbres abattus. Des monticules de terre encombrent la chaussée pour empêcher l’accès aux abords de la mine. Des panneaux rappellent la propriété privée de l’exploitant. Des agents de sécurité patrouillent à bord de 4x4, prêts à intercepter toute personne non autorisée s’aventurant sur les terres de PGE ou s’attardant à leur abord. Les maisons rachetées progressivement par la compagnie sont murées. Le mur invisible dressé aux marges de la mine semble pousser imperceptiblement les habitants à l’extérieur de la route qui matérialise les limites de la future exploitation.


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