Déchets en prison : « On les jette par la fenêtre pour éviter les rats »

La maison d'arrêt de Nanterre, le 5 octobre 2022. - © Cory Le Guen / Reporterre
La maison d'arrêt de Nanterre, le 5 octobre 2022. - © Cory Le Guen / Reporterre
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Déchets LibertésLe tri des déchets n’est pas encore devenu une évidence dans les prisons françaises. Malgré quelques exceptions et des volontés de détenus, la pratique est loin d’être généralisée dans l’administration pénitentiaire.
Nanterre (Hauts-de-Seine) et Foix (Ariège), reportage
« Bonjour, je suis Ségolène Amiot, députée de la Loire-Atlantique et je viens visiter votre établissement. » Il est 20 h 30 mercredi 5 octobre dernier lorsque l’élue LFI-Nupes fait usage de son droit de contrôle « à tout moment » des lieux de privation de liberté, au centre pénitentiaire de Nanterre (Hauts-de-Seine) comme la loi le lui autorise.
L’objectif pour cette parlementaire qui maîtrise l’exercice, en plus de constater les conditions de détention des détenus et de travail des agents, est de comprendre comment la gestion des déchets s’opère dans l’un des établissements les plus surpeuplés d’Île-de-France.

La direction de Nanterre a mis en place depuis 2019 le tri des déchets en détention, avec la collaboration de l’association Nature’Espace. Un pari qui n’était pas gagné puisque l’établissement est en régime dit « portes fermées », comme toute maison d’arrêt [1]. De fait, les détenus ne sont pas libres de se déplacer comme ils le souhaitent et sont généralement en cellule plus de vingt heures par jour.
« Nous faisons, au moment du déjeuner [vers 11 h 30], passer un chariot sur lequel se trouvent deux bacs, un vert pour les bouteilles en plastique et un jaune pour les canettes, c’est porteur [comme sujet] », déclare Cécile Martrenchar, la directrice adjointe de l’établissement.
Surpopulation, rats et jets d’ordures
C’est aussi à ce moment-là que les poubelles sont collectées. Ce qui n’empêche pas les détenus de jeter par les fenêtres plusieurs sortes de détritus. La surpopulation importante dans cette prison (148 % de densité carcérale au 1ᵉʳ septembre 2022), l’impossibilité de vider la poubelle de la cellule ou encore les odeurs résultant des déchets incitent les prisonniers à envisager le jet d’ordures par les fenêtres, occasionnant la venue de rats bien que des détenus soient dévolus au ramassage des ordures retrouvées au pied du bâtiment.
Aux ateliers de la prison, le carton et le plastique étaient bien séparés alors que pendant la visite des étages de détention, d’énormes poubelles présentes sur les paliers laissaient penser que passé l’heure du passage du tri, l’objectif de tri partait lui aussi « à la poubelle ».

À la maison d’arrêt de Foix (Ariège), pas de tri pour les détenus, mais uniquement en cuisine, ce qui est désormais une obligation d’hygiène à partir d’un certain volume. Le but est d’éviter que l’alimentaire ne croise les déchets. Le papier/carton dans une benne, le plastique dans une autre et les restes alimentaires se retrouvent dans une poubelle marron.
À la question de la députée LFI-Nupes du département, Bénédicte Taurine, qui contrôlait l’établissement récemment, le directeur, Thierry Deliessche, a répondu qu’il était compliqué de mettre en place le tri pour les détenus. La prison de Foix, en dépit de son énorme surpeuplement (plus de 200 % de densité carcérale), est pourtant l’un des plus petits établissements pénitentiaires de France (65 places).
« La gestion des déchets, c’est pas une priorité de la direction »
Benoît [*], détenu contacté via les réseaux sociaux, est emprisonné à Bonneville (Haute-Savoie). Il explique : « Il y a cinq ou six mois, on a proposé de séparer les canettes pour que ça soit récupéré et ensuite vendu à un ferrailleur afin de récolter des fonds pour les détenus indigents, mais cela a été impossible de mettre cette action en place. » Si la plupart des directions d’établissement semblent ne pas avoir le souci des conséquences écologiques de leurs déchets, c’est souvent une demande des personnes incarcérées.
Au centre de détention de Roanne [2], Abdel [*] nous affirme être obligé de jeter les déchets par la fenêtre pour « éviter de faire monter les rats voire les cafards en cellule ». Un témoignage similaire pour Jason [*], détenu du centre de détention d’Eysses (Lot-et-Garonne) « Déjà, pour récupérer de grands sacs poubelle pour les cuisines et les parties communes, c’est une galère. La gestion des déchets, c’est pas une priorité de la direction », dit-il Dans la très grande majorité des prisons du pays, la collecte se fait le matin lors de l’appel à 7 h.
Il n’y a pas de ligne directrice claire de la part de l’administration pénitentiaire à l’échelle nationale. Cependant, comme Nanterre, la maison d’arrêt de Strasbourg (Bas-Rhin) a mis en place un dispositif précurseur dès 2014 en signant la charte « Tous unis pour plus de biodiversité » de la communauté urbaine de la ville. Cette charte encadre l’utilisation des produits phytosanitaires et favorise les comportements écologiques en détention.

Le directeur de l’époque, Alain Reymond, expliquait dans un entretien sur le site du ministère de la Justice que l’objectif était de « réduire [les] déchets pour faire des économies ». Ils sont passés de 45 bennes à ordures à 20 grâce à l’aide de quatre stagiaires du master écoconseiller de l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Strasbourg. Une autre stagiaire de l’Insa a aidé la direction à mettre en place le tri en détention.
Plastiques, papiers et cartons sont recyclés, le pain et les repas « refusés par les détenu(e)s sont récupérés par une société qui les transforme en méthane » afin d’être « utilisé pour le chauffage ». Un dispositif unique pour une prison, toujours en place en 2022. Mais qui reste unique en France, indice s’il en est qu’un tel enjeu de société est encore loin d’être une priorité dans les lieux de privation de liberté.