Déchets toxiques au-dessus d’une nappe phréatique : à Stocamine, les opposants ne faiblissent pas

Devant le site des Mines de potasse d’Alsace, à Wittelsheim, le 23 septembre 2023. - © Adrien Labit / Reporterre
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Malgré l’annonce d’un enfouissement définitif des déchets toxiques, plus de 300 personnes ont manifesté à Wittelsheim, samedi 23 septembre, pour demander le déstockage de Stocamine.
Wittelsheim (Haut-Rhin), reportage
« Commune poubelle », « héritage empoisonné », « l’arsenic c’est fantastique ». Sur la tribune dressée près de la mairie à Wittelsheim, des slogans caustiques côtoient caricatures et têtes de mort couronnées de coiffes alsaciennes. Une foule dense et colorée se presse sur la place pour écouter les prises de parole, ce samedi midi.
Au milieu des membres d’Extinction Rebellion habillés en bleu, des élus parés de leur écharpe tricolore, des drapeaux d’Europe Écologie-Les Verts et des Gilets jaunes. « Il y a du monde », fait remarquer une dame âgée à son compagnon. « Des jeunes surtout, c’est très bien », répond ce dernier.

Dans cette commune de 10 000 habitants située en banlieue de Mulhouse, cela fait plus de trente ans que des militants se mobilisent contre le stockage de déchets hautement toxiques dans les galeries d’une ancienne mine de potasse.
Des éléments contenant de l’amiante, du cyanure ou encore de l’arsenic, entreposés à plus de 400 mètres de profondeur, sous la plus grande nappe phréatique d’Europe occidentale. Un risque de contamination majeure pour l’eau potable de plus de sept millions de personnes.

Mardi 19 septembre, le ministre de la Transition écologique Christophe Bechu a pourtant annoncé le confinement définitif des 42 000 tonnes de déchets de Stocamine. Faisant une nouvelle fois réagir les opposants au projet.
« Rien n’est terminé »
« Rien n’est terminé, juge Yann Flory, porte-parole du collectif d’associations écologistes et syndicats Destocamine. On va continuer à faire pression sur les décideurs pour obtenir le déstockage. Ils ont choisi d’enfouir ces déchets pour qu’on les oublie : nous ne permettrons pas que cela arrive. Nous serons la mémoire vivante de cette lutte. »

Sur ce « vieux dossier », les opposants historiques ont parfois eu du mal à mobiliser. « Nous sommes heureux que des organisations comme Extinction Rebellion et les Soulèvements de la Terre prennent la relève », dit Philippe Auchter, autre figure de l’opposition au projet.
« L’engagement des jeunes peut faire changer la donne, poursuit Yann Flory. Ils nous apportent de nouveaux modes d’emploi. Des modes d’actions qui nous ont peut-être manqué par le passé. »

« La manifestation classique, nous, on y croit plus trop, témoigne Carola [*], militant d’Extinction Rebellion venu de Strasbourg avec un large groupe. Ce que l’on envisage aujourd’hui, c’est de durcir la mobilisation pour montrer qu’on ne laissera pas passer la décision du gouvernement. »
Frange radicale
En matière de stratégie militante, il s’agit de faire émerger « une frange radicale ». « C’est une notion mise en avant par Camille Etienne, poursuit l’activiste. Cela consiste à créer un pôle d’action plus musclé, d’utiliser l’action directe et la désobéissance civile pour permettre aux autres organisations de redevenir audibles, de renouer le dialogue avec les décideurs. »

À la tribune, les prises de parole s’enchaînent. Député LFI de la deuxième circonscription du Bas-Rhin, Emmanuel Fernandes a fait le déplacement pour soutenir les opposants contre ce qu’il estime être « un écocide prémédité ».
L’élu vient de déposer une proposition de résolution pour demander une commission d’enquête parlementaire sur le dossier Stocamine. Pour lui, la suite de la lutte se joue sur plusieurs tableaux. « Soutenir le réseau d’associations mobilisées depuis de nombreuses années contre le projet » et « mobiliser l’opinion publique ». « Nous allons profiter de nos positions d’élus pour continuer à porter ce projet sur le devant de la scène », dit-il.

Pour la conseillère régionale écologiste Cécile Germain-Ecuer, autre opposante de longue date au projet, l’avenir de la lutte se joue à une large échelle. « La seule chose susceptible de faire fléchir le gouvernement, c’est le regard international. Il va falloir continuer à ne rien lâcher et essayer de mobiliser nos voisins allemands. »
Convergence au-delà des frontières
Ce samedi, ils sont d’ailleurs quelques-uns à avoir franchi le Rhin pour venir soutenir les militants français. Des militants de l’association écologiste Bund, aux côtés de Destocamine depuis plus de vingt ans, et de jeunes membres du parti de gauche radicale Die Linke. « Nous ne sommes pas ici au nom du parti, mais avons tenu à être présents », dit Adam, pour qui la défense d’un « droit à l’eau » (saine) est loin d’être sans importance.

« En Allemagne aussi, on parlait peu de Stocamine. Mais depuis deux à trois semaines, le sujet commence à émerger, se réjouit Julie. Les quatre militants notent que des ponts se créent entre les opposants au projet, de part et d’autre de la frontière.
À 14 h, la tribune indique la fin de la manifestation déclarée. Mais un appel à déambuler dans les rues de la commune est lancé. Un cortège bleu se forme sous une immense marionnette de vampire. Entre ses griffes, des bidons de déchets toxiques. Composé d’une centaine de personnes, le cortège parcourt une heure durant les quelques kilomètres séparant le centre de Wittelsheim du site de Stocamine.
Des habitants filment la scène en souriant. Avec, souvent, des encouragements. Après un arrêt devant les grilles, les militants se laissent tomber au sol sur le pont surplombant la voie de chemin de fer. Au moment de se relever pour rentrer, certains pensent déjà à la suite. « Il faudra sans doute revenir. »
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