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Écologie et quartiers populaires

Déconfinés, les jardins familiaux peuvent enfin sourire au printemps

Pendant deux mois, les jardins familiaux d’Alès sont restés quasi déserts à cause du flou autour des mesures de confinement. Depuis le 11 mai, les jardiniers, beaucoup habitant le quartier populaire voisin, ont « retrouvé le moral » avec leur lopin de terre. Reportage dans un lieu solidaire et serein.

  • Alès (Gard), reportage

Les pousses tout juste mises en terre détachent leur vert clair sur le sol brun. Les tomates, à peine hautes de quelques feuilles dentelées, paraissent encore toutes petites au pied de leurs piquets. Les haricots ne dépassent que de quelques centimètres. Les fèves, plantées à la fin de l’hiver, dominent le carré, finissant de développer leurs grandes gousses.

« Avant les tomates, ici, il y avait les petits pois », explique Kaïssa, qui est jeune retraitée. « Ils étaient secs quand je les ai récoltés. C’est que, pendant le confinement, je ne suis pas venue pendant un mois et demi. Ce n’est pas grave, j’ai gardé les graines. On aurait pu faire mieux sans cette maladie. Mais on respecte les lois. » La saison s’annonce belle, la vigne a commencé, pour la première fois, à former une multitude de futures grappes de raisin. Sur le lopin de cinquante mètres carrés de Kaïssa, l’espace est soigneusement exploité, les légumes se succèdent au rythme des saisons. Avec l’arrivée des températures clémentes, les cultures peuvent enfin s’y déployer.

Hasard du calendrier, le déconfinement du 11 mai est survenu juste à temps pour les jardiniers : il est déconseillé de planter leurs jeunes tomates, courgettes et autres légumes d’été sensibles au gel avant la période des « saints de glace », du 11 au 13 mai.

Gérées par les services sociaux de la ville, les parcelles de jardin sont attribuées en priorité aux habitants des Prés-Saint-Jean, quartier populaire de l’ancienne cité minière d’Alès (Gard).

Rare espace vert entre les parkings, les ronds-points et les immeubles, trente parcelles sont ici louées pour quelques dizaines d’euros par an, eau incluse. Gérées par les services sociaux de la ville, elles sont attribuées en priorité aux habitants de ce quartier populaire de l’ancienne cité minière d’Alès (Gard), Les Prés-Saint-Jean. Beaucoup de jardiniers vivent dans les HLM voisins, dont les étages surplombent les palissades des jardins.

« Je me sens plus en sécurité ici que dans les magasins ou dans la rue »

À l’annonce du confinement, les jardins familiaux d’Alès (une centaine de parcelles dans la ville) ont dû fermer. « Je ne suis plus venue que pour régler les problèmes, remettre l’eau notamment », dit l’animatrice et responsable des jardins familiaux de la commune, Frédérique Wauquier. La cacophonie gouvernementale a rendu incertain ce qu’il fallait faire. Pouvait-on se rendre à son potager s’il n’était pas attenant à notre domicile ? Par peur de recevoir des amendes, les jardiniers ont majoritairement déserté leurs lopins. Puis, le gouvernement a indiqué qu’entretenir un jardin destiné à nourrir ses utilisateurs pouvait être assimilé à s’approvisionner en « produits de première nécessité ». D’une ville et d’un département à l’autre, les consignes ont alors varié, plus ou moins restrictives : droit de venir une heure ou plus, seul ou avec ses coconfinés.

Frédérique Wauquier est l’animatrice et responsable des jardins familiaux de la commune.

Devant les herbes folles qui ont envahi les parcelles communes, Frédérique Wauquier s’excuse : « C’est une année particulière, on n’a pas pu travailler pendant deux mois. » À Alès, les jardins ont pu rouvrir seulement deux semaines avant la fin du confinement. Les jardiniers pouvaient venir une heure, deux fois par semaine, pour limiter le nombre de personnes présentes en même temps. Puis, le déconfinement a permis aux plus assidus d’enfin retrouver leurs cultures. « La situation leur a au moins appris quelque chose, relativise Frédérique. C’est que l’on peut planter plus tard. Car d’habitude, quand il fait beau en avril, les jardiniers ont déjà envie de faire les plantations mais c’est trop tôt ! »

« Pendant le confinement, j’ai pleuré ! » raconte Khokha Boukhelifa, assise devant sa parcelle, un parterre d’œillets d’Inde à ses pieds. « C’était comme si je laissais mon enfant dehors ! Là, j’ai retrouvé le moral. » Depuis le déconfinement, elle n’a pas perdu son temps : les piquets de tomates sont installés, plusieurs rangées de piments et poivrons plantées, la terre préparée pour accueillir les cultures à venir. Comme mesures barrière, il a été conseillé aux jardiniers de parcelles voisines de ne pas venir les mêmes jours de la semaine. « Mais ma voisine est absente, alors je peux venir tous les jours ! » se réjouit Khokha, qui s’équipe : « J’ai du gel [hydroalcoolique], je me lave les mains au savon de Marseille, je mets mon masque. Je me sens plus en sécurité ici que dans les magasins ou dans la rue. » C’est que, cumulant les problèmes de santé, elle est une personne à risque. Son jardin est peut-être son meilleur médicament : « Je l’ai depuis plus de cinq ans maintenant. J’avais eu un cancer, le psychologue m’a dit qu’il fallait que je trouve quelque chose pour oublier mes maladies. J’ai eu cette parcelle, et j’ai oublié mes problèmes ! »

Le jardin de Khokha Boukhelifa est peut-être son meilleur médicament.

Elle fait tous ses semis elle-même, d’abord chez elle, sur le balcon, avant de les sortir au jardin dès que la température le permet. Si ses 50 mètres carrés peuvent paraître étriqués, elle y cultive pourtant une grande variété de légumes : salades, courges, tomates, haricots, oignons, piments, coriandre, basilic, fèves, petits pois… « Pendant le confinement, je n’ai mangé que mes pommes de terre », se félicite-t-elle. « Avec mes récoltes, je mange bio, je peux même faire un peu de conserves. Le potager m’aide, sinon je mangerais comme avant : des légumes de fin de marché, pas chers, dont je jette la moitié car elle est pourrie. » Au fond du jardin, elle nous montre son carré « spécial tisanes ». S’y trouvent notamment trois figuiers nains. Leurs feuilles, en infusion, permettent de soigner nombre de maux, explique-t-elle.

Le carré « spécial tisanes » de Khokha Boukhelifa.

 « Les autres jardiniers viennent spontanément les aider, cela crée de la solidarité »

Dans une autre allée du jardin, Patrick vient de poser la houe qui lui a servi à finir de préparer sa terre pour les plantations. « Pendant le confinement, j’ai juste eu le temps de faire les semis », précise-t-il. Il nous montre ses choux, d’à peine deux feuilles tout juste sorties de la graine, ses tomates et ses courgettes déjà bien grandes. « Je venais très peu, un quart d’heure, quand je craquais. J’habite seul avec mon chat dans les immeubles en face. Je n’ai rien à faire à part regarder la télé. Alors qu’ici, vous avez tout : des légumes bios, des arbres fruitiers, le contact avec les gens… » Il a aménagé dans sa parcelle un petit escalier et un bac en pierres apparentes rempli de coquelicots en fleur. « J’étais maçon, explique-t-il. Et puis quand j’ai commencé à cultiver ici en 2011, il y avait énormément de cailloux dans la terre, je m’en suis servi. » Posé sous l’ombre de son auvent, il observe les oiseaux qui picorent la terre fraîchement retournée. « Ce sont des rouges-queues, ils viennent picorer les larves de hannetons. »

« Pendant le confinement, j’ai juste eu le temps de faire les semis », explique Patrick.

Il est demandé aux jardiniers de cultiver sans produit chimique, mais mis à part cette contrainte, « chacun peut travailler à sa manière », dit Frédérique, qui connaît précisément chaque jardin, souvent un reflet de son locataire. « Il y a plusieurs types de jardiniers, s’amuse l’animatrice. Ceux qui vont nourrir leur famille avec leur potager — il est tiré au cordeau et ils y font rentrer cinquante pieds de tomates. Ceux qui vont plutôt offrir leurs légumes — certains donnent aux Restos du cœur. Ceux qui viennent ici pour s’aérer l’esprit, sortir de leur appartement et de leur isolement, rencontrer les amis jardiniers, ceux qui expérimentent… » Certaines parcelles débordent de fleurs et de déco de bric et de broc dans un joyeux fouillis, d’autres n’acceptent pas la moindre herbe indésirable. Frédérique joue les médiatrices pour faire coexister tout cela. Des associations, notamment d’aide aux handicapés ou aux enfants malades ont aussi des parcelles. « Les autres jardiniers viennent spontanément les aider, cela crée de la solidarité », se félicite-t-elle.

Pour renforcer la communauté, un espace de détente commun a été aménagé. Frédérique assure aussi avec son équipe l’entretien des parcelles communes : celle des aromatiques, pour préparer des potions permettant de soigner les plantes, celle des enfants pour accueillir les scolaires, celle des porte-graines pour distribuer des semences de plantes nouvelles à tous. Le choix a aussi été fait de ne pas exiger de ceux qui demandent une parcelle de savoir déjà jardiner. Frédérique organise des ateliers d’initiation, qu’elle espère pouvoir reprendre dès que la situation sanitaire le permettra.

Pour renforcer la communauté, un espace de détente commun a été aménagé.

Avant de fermer les lieux pour l’heure de la pause déjeuner, l’animatrice fait un dernier tour. Certains lopins ont l’air à l’abandon. Mais ils ne sont pas abandonnés, assure-t-elle, c’est plutôt que les locataires ont des impératifs familiaux ou de santé qui les ont empêchés de venir. « Quand ils reviendront, on s’y mettra à plusieurs pour nettoyer la parcelle. Il est encore temps de planter », rassure-t-elle.

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