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Numérique

Des jeux vidéo plus écolos, c’est possible

Jouer à « Cyberpunk 2077 » de manière plus écologique, c'est possible.

Consoles prêtées ou recyclées, jeux indépendants moins énergivores, logiciels libres... Des alternatives concrètes existent pour jouer à des jeux vidéo de façon plus écologique.

Coût écologique des composants exorbitant, course à la performance graphique, consommation énergétique débridée… L’industrie du jeu vidéo n’a rien d’écoresponsable. Elle rejetterait chaque année 37 millions de tonnes d’équivalent CO2, selon le chercheur Frédéric Bordage. « Ce qui engendre les impacts environnementaux, ce sont les renouvellements des équipements de gamer », explique le créateur du groupe de réflexion Green IT, comme les écrans géants pour des résolutions en 4K ou les nouvelles générations de console. Ce constat n’est pas une fatalité. Bien que de niche, le numérique responsable trace son chemin dans l’industrie du jeu vidéo.

Si les studios qui produisent les jeux classés « AAA » — les blockbusters du secteur —, n’ont « pas pris conscience de leur impact à quelques exceptions près », selon Frédéric Bordage, les réflexions fleurissent chez les acteurs indépendants. « Notre conscience environnementale s’est beaucoup développée ces dernières années, on s’en parle beaucoup entre développeurs indépendants », assure Geoffroy Vincens, cofondateur du studio bordelais Nova-box. Lui-même sortira dans quelques mois le jeu End of Lines, qui a pour toile de fond les conséquences du dérèglement climatique. « Les jeux vidéo peuvent participer à la sensibilisation du grand public au travers des thèmes qu’ils abordent, souligne-t-il. On avait envie de mettre notre voix au service de cette cause-là. »

Il n’est pas le seul à le penser. Avec d’autres développeurs, scénaristes et graphistes de jeux vidéo français, Nova-box a signé en septembre dernier une tribune en faveur de la réduction de leur empreinte carbone.

Le jeu « End of Lines » est sous la forme d’un roman graphique et parle des conséquences du dérèglement climatique. © Nova-box

Première étape pour réduire les effets sur l’environnement ? « Il faut travailler sur l’équipement », répond Frédéric Bordage. Moins on s’équipe pour jouer, plus on fait durer son matériel, meilleure sera la facture environnementale, observe le chercheur : « Si pour améliorer son ordinateur, on ne change qu’un seul composant, par exemple la carte graphique, cela va dans le bon sens. Pour une console de jeu vidéo, l’enjeu sera de la faire durer. Et si on la remplace, de lui donner une seconde vie. »

Faire durer, c’est ce que tente de faire Commown, par exemple. Membre du réseau des coopératives Licoornes, associées pour construire un modèle économique alternatif aux multinationales, Commown propose des locations à long terme de matériel informatique éthique. L’année dernière, la coopérative a jugé l’époque mûre pour développer une offre de gaming sous GNU/Linux avec des logiciels libres et drivers préinstallés (des logiciels qui reconnaissent les périphériques d’un ordinateur : carte graphique, imprimante, etc.), qui ne sont parfois pas installés directement sous Linux. « Cela a du sens de mettre sur le marché des appareils extrêmement puissants, on peut leur donner de nombreux cycles de vie. Si l’appareil est puissant dès le début, l’obsolescence est plus faible, soutient Élie Assémat, cofondateur de Commown. Quand l’ordinateur nous reviendra, on pourra le reconditionner pour de l’édition vidéo. Puis, au bout de huit à dix ans, pour de la bureautique. »

Des jeux moins énergivores et « low-tech »

Autre alternative : produire des jeux moins énergivores. Au sein des studios, les créateurs de contenus mènent des arbitrages techniques pour proposer à leur public une expérience plaisante et économe. « Le développeur peut choisir une solution moins performante en vitesse d’exécution, mais qui demandera moins de calculs. Cela nécessitera moins de puissance processeur ou graphique et moins d’énergie dépensée », explique Geoffroy Vincens, de Nova-box.

Les choix graphiques sont eux aussi matière à réflexion. « Il faut remettre en question nos usages : est-ce important de jouer à des jeux ultraréalistes ? », demande Élie Assémat. Ces derniers, tels Red Dead Redemption II — qui sensibilise aussi à la faune sauvage — ou The Last of Us II, nécessitent une puissance de calcul extrêmement forte pour retransmettre les détails du réel dans toute leur complexité. Plutôt que d’imiter le photoréalisme énergivore, les studios indépendants choisissent des procédés graphiques plus sobres qui ne diminuent pas la qualité des jeux : Disco Elysium, Hades, Outer Wild… Autant de jeux qui ont reçu un accueil chaleureux des critiques et de la communauté du jeu vidéo.

Le jeu « Disco Elysium » (PC, PS4, PS5, Switch...) a notamment été écrit par une équipe composée de huit écrivains. Il a obtenu de nombreux prix, dont celui de la meilleure narration. © ZA/UM

Les Bordelais de Nova-box ont eux aussi pris le parti de la sophistication des récits et d’une esthétique léchée, rappelant la bande dessinée. Des jeux que Geoffroy Vincens qualifie de « low-tech ». Une position en partie imposée par les débuts modestes du studio, où les moyens financiers et techniques étaient plus rares. « Cela nous a fait rester dans cette dimension de projet plutôt que de partir vers des ambitions plus énergivores. On a pris cette conscience environnementale en chemin. »

Cette direction esthétique permet à leurs jeux de perdurer bien au-delà de leur sortie, estime le concepteur : « Un jeu réaliste sera vite daté. Des jeux comme les nôtres ont tendance à vieillir plus gracieusement. » Elle permet aussi de ne pas inciter les joueurs à changer de matériel. Une sobriété vitale dans un monde aux ressources finies, dit Frédéric Bordage : « Les métaux à partir desquels est fabriquée la tech sont limités sur Terre. Dans quelques années on les aura épuisés. C’est autant de ressources que nous n’aurons pas demain pour construire l’IRM d’un hôpital, par exemple. »

Ultrapimé, « The Last of Us II » fait partie des jeux nécessitant une puissance de calcul extrêmement forte, donc plus d’énergie. © Naughty Dog

Une autre solution aujourd’hui appliquée est celle du « cloud gaming » : la puissance informatique et les coûts énergétiques sont externalisés auprès de serveurs dans un data center et les joueurs stream les images de leur jeu sur leur écran. C’est le cas de Cyberpunk 2077 ou bien d’autres jeux comme Assassin’s Creed : Valhalla.

Cette technologie a ses propres écueils, note Frédérick Bordage : le stream allège la note carbone, mais passer par des centres de données entraîne davantage de consommation de bande passante. Une alternative serait de jouer sur le poids des fichiers afin d’alléger la note environnementale. « Un de nos jeux va faire entre 1 à 2 Go, comparé à un jeu AAA qui va peser 80 Go, et impose aux plateformes de téléchargement une grosse différence de consommation de bande passante et par les serveurs », dit Geoffroy Vincens.

La mutualisation des consoles serait aussi une piste intéressante pour Frédéric Bordage, qui rêve d’un retour aux salles d’arcades : « L’idéal serait une pièce partagée dans les immeubles ou une salle équipée dans le pâté de maisons. Ça permettrait de devenir ami avec des voisins et de remettre du commun dans le quotidien. Ce monde est à inventer, mais il ne paraît pas farfelu quand on regarde les aspirations profondes des gens à retrouver de vraies relations. »

Jouer à des jeux en « stream », comme « Cyberpunk 2077 », permet de jouer connecté à internet sans avoir besoin de télécharger le titre sur son ordinateur. © CD Projekt

Linux, « l’avenir du jeu vidéo » ?

Une piste complémentaire consisterait à passer sa machine sous GNU/Linux. Contrairement à Windows et à macOS, qui se fondent sur l’obsolescence, ce système d’exploitation open source est maintenu et constamment amélioré par la communauté du logiciel libre. Cela allonge la durée de vie des équipements. Mais jouer sur Linux a longtemps relevé du parcours d’obstacles… Jusqu’à ce que Valve entre dans la danse avec Steam.

Ce studio étasunien a rendu la bibliothèque de sa plateforme de jeux vidéo Steam accessible aux personnes sous Linux. Pour y parvenir, Valve développe depuis 2018 le logiciel libre Proton, qui permet d’exécuter sur Linux des jeux originalement conçus pour Windows (Elden Ring, The Witcher 3, Dying Light 2, etc.). « Proton a permis à des dizaines de milliers de jeux d’être prêts à jouer sur Linux », constate Liam Dawe, le créateur du site spécialisé GamingOnLinux. Pour savoir si le jeu qu’ils désirent fonctionne sous Linux, les joueurs peuvent se tourner vers la base de données participative ProtonDB, qui recense tous les jeux testés et évalue leur jouabilité.

Pour être plus sobres, les joueurs peuvent également passer sous Linux. Avec le logiciel open source Proton, aucun problème pour jouer à des jeux conçus pour Windows comme « Elden Ring ». © FromSoftware

« Linux est l’avenir du jeu vidéo », croit de longue date Gabe Newell, fondateur et PDG de Valve. Au point de mettre les employés de Valve à contribution de l’écosystème Linux pour en améliorer les paquets logiciels. « Valve compte de nombreuses personnes travaillant sur des pilotes graphiques, Proton, SDL, Gamescope et d’autres projets, énumère Liam Dawe. Ils améliorent la jouabilité sur Linux pour tout le monde, et pas seulement pour Steam Deck », la PC-console de Steam basée sur le noyau Linux et commercialisée en 2022.

Selon les données collectées par GamingOnLinux, la part des linuxiens sur Steam est passée de 0.8 % en 2018 à 1,38 % en 2022, loin derrière Windows qui agrège plus de 96 % des joueurs. Malgré ce déséquilibre, Liam Dawe dit observer « une tendance claire » : « Plus de gens utilisent Linux pour les jeux, et ils sont de plus en plus nombreux à apprécer l’efficacité de ce système d’exploitation. » En décembre dernier, GamingOnLinux estimait à 1 821 600 les utilisateurs mensuels actifs sur Steam via une distribution Linux.

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