EELV, la défaite totale

Julien Bayou, Yannick Jadot et Eric Piolle descendent de la scène après le discours du leader d’EELV. - © Anna Kurth / Reporterre
Julien Bayou, Yannick Jadot et Eric Piolle descendent de la scène après le discours du leader d’EELV. - © Anna Kurth / Reporterre
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PrésidentielleLes résultats du premier tour de la présidentielle sont tombés comme un coup de massue sur les partisans de Yannick Jadot. Avec moins de 5 % des voix, il a immédiatement appelé à voter Macron au second tour et à des dons pour couvrir le non-remboursement de leurs frais de campagne.
Paris 20ᵉ, reportage
« Macron-Le Pen. Fuck. Et Yannick ? » trépigne un écologiste. Le couperet tombe une seconde plus tard : 4,3 % [1]. « C’est pas possible. » Après l’annonce des résultats, à 20 h pétantes, les mines sont déconfites au QG des écologistes, au centre culturel La Bellevilloise, dans le 20ᵉ arrondissement de Paris. Des militantes et militants regardent, l’air hagards, le direct de TF1. Une jeune femme pleure à chaudes larmes, réconfortée par ses camarades. « La gauche fait à peine 30 % des suffrages, Le Pen en récolte un quart… C’est la merde ! » réagit Mathilde Hériaud, coordinatrice des Jeunes Génération⋅s 92, abattue.
Yannick Jadot s’exprime peu de temps après l’annonce des résultats, qui l’ont placé en sixième position. Il est ovationné. Après avoir remercié les militants pour leur investissement, il se réjouit d’« avoir porté avec force un projet qui fait face et répond aux grands enjeux du climat, de la justice sociale et de la démocratie ». Et regrette que « ces enjeux vitaux » aient été « largement ignorés dans cette campagne confisquée ».

« Ça ne s’est pas passé comme on l’aurait rêvé, acquiesce Auriane Dupuy, une jeune militante. La dynamique enclenchée lors des [élections] européennes, et qui s’était poursuivie aux municipales, avait suscité beaucoup d’espoir. Mais les enjeux écologistes ont été absents de cette campagne, et on n’a pas pu défendre notre programme. C’est une énorme déception. »
Le désarroi est d’autant plus grand que, même s’ils sentaient que leur candidat peinait à susciter l’intérêt des électeurs, les militants écologistes pensaient au moins pouvoir dépasser la barre des 5 %. Un chiffre symbolique, permettant d’égaler le record détenu par Noël Mamère, en 2002, avec 5,25 %. Mais aussi parce qu’il fallait obtenir au moins 5 % des suffrages pour être remboursés à 47,5 % du plafond de financement (soit jusqu’à 8 004 225€). Une manne pour Europe Écologie-Les Verts (EELV), qui a emprunté près de 6 millions d’euros pour sa campagne. Devant les caméras, Yannick Jadot a lancé un appel au soutien financier pour permettre aux écologistes d’assurer leur avenir.

« Vu les résultats, je regrette presque de ne pas avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon, dit — pas trop fort — une militante. Entre ce deuxième tour Macron-Le Pen et nos 4,3 %, la gauche a tout perdu. » « On ne peut pas s’effacer à chaque fois », lui rétorque une camarade, en référence au désistement de Yannick Jadot, en 2017, au profit du candidat PS Benoît Hamon. Cette année, le principal candidat de gauche, Jean-Luc Mélenchon, n’a échoué à atteindre le second tour qu’à 1,46 % des votes par rapport à Marine Le Pen.
Cette soirée restera comme le triste épilogue d’une campagne atone pour Yannick Jadot, qui se rêvait en « président du climat ». Hormis quelques soubresauts, comme son offensive contre Macron au Parlement européen le 19 janvier — il avait lancé au candidat-président « Vous resterez dans l’histoire le président de l’inaction climatique » — ou un meeting rassemblant quatre mille personnes, le 27 mars, au Zénith de Paris, la campagne de l’eurodéputé a été sans commune mesure avec celle de Jean-Luc Mélenchon, qui a tenu plusieurs meetings massifs et a été nettement plus suivi lors de ses passages à la télévision [2], ou encore sur ses propres réseaux sociaux.

Au moment de s’engager dans la présidentielle, des figures du mouvement climat, comme Alma Dufour, des Amis de la Terre, ou encore Claire Lejeune, ont préféré rejoindre le candidat de La France insoumise (LFI). « Les gens adhèrent à notre programme, ils l’ont montré lors des précédents scrutins, mais l’élection présidentielle est malheureusement l’avènement d’hommes et de femmes providentielles », analyse l’eurodéputé Damien Carême. « Contrairement à Jean-Luc Mélenchon, ça n’a pas imprimé pour nous. »
Les signes avant-coureurs ne datent pas d’hier. Dès la primaire écologiste de septembre 2021, Yannick Jadot avait peiné à convaincre les militants. Il n’avait remporté l’investiture que d’une courte tête, avec 51,03 % des voix. Le scrutin a été bousculé par sa rivale Sandrine Rousseau, qui défendait une ligne plus radicale et mettait l’écoféminisme au cœur de son action. Réticente à se rallier immédiatement à Yannick Jadot, Sandrine Rousseau a longtemps oscillé entre soutien et réprobation à l’égard de son candidat. Plusieurs cadres du parti, à l’instar de David Cormand et Julien Bayou, se sont montrés agacés par ces atermoiements.

Le 3 mars, le directeur de campagne, Mounir Satouri, a mis un terme à l’association tumultueuse en annonçant dans un communiqué que Sandrine Rousseau n’aurait « plus de responsabilités au sein de la campagne écologiste ». Il lui reprochait le contenu d’un article du Parisien paru quelques heures plus tôt, dans lequel la militante torpillait — en off — ses camarades. « Ils se plantent sur tout… C’est un gâchis », déclarait-elle. Sandrine Rousseau est cependant restée aux côtés des écologistes jusqu’au bout, et était présente au meeting au Zénith de Paris.
La campagne des écologistes a également été freinée par la Primaire populaire, un vote d’investiture initié par des militants indépendants pour désigner un candidat commun de gauche à l’élection présidentielle. Ce processus a été rejeté catégoriquement par Yannick Jadot, qui a plusieurs fois regretté d’avoir été inscrit sans son « consentement » dans le processus. « C’était un feuilleton interminable, qui a carrément tourné à la fumisterie quand la gagnante du scrutin, Christiane Taubira, s’est désistée, et que la Primaire s’est tournée vers Jean-Luc Mélenchon, qui avait terminé derrière Yannick Jadot », dit Damien Carême. « Que de temps perdu ! déplore Auriane Dupuy. Pendant des mois, Yannick Jadot n’a cessé d’être interrogé sur l’union de la gauche et la Primaire populaire, autant de temps qu’il n’a pu passer à dérouler son programme. »

Le parti s’est par ailleurs employé à décourager les militants Verts qui souhaitaient s’inscrire à la primaire, faisant pression sur les unionistes comme Alain Coulombel, désinvesti de son rôle de porte-parole du parti, ou encore l’ex-candidate des Verts de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Fabienne Grébert. Une enquête de Mediapart a aussi révélé que Mounir Satouri, directeur de campagne de Yannick Jadot, avait évoqué une somme de 150 000 euros si les organisateurs de la Primaire populaire acceptaient d’arrêter le processus.
D’autres affaires ont émaillé la campagne. Proche de Nicolas Hulot, le député Matthieu Orphelin a été mis « en retrait » de la campagne de Yannick Jadot à la suite de la diffusion télévisée d’une enquête sur l’ex-ministre de la Transition écologique, accusé de violences sexuelles par plusieurs femmes.

Après la débâcle, reste le second tour de la présidentielle. Yannick Jadot a donné des consignes sans détour, en appelant les votants écologistes « à déposer dans l’urne un bulletin Emmanuel Macron », « pour faire barrage à l’extrême droite ». « Notre vote ne vaut pas caution », a-t-il néanmoins précisé, tançant le bilan d’Emmanuel Macron. « Il vaut encore moins soutien au projet qu’il a esquissé pendant la campagne », a-t-il poursuivi. Mathilde Hériaud acquiesce : « Macron, c’est la casse des services publics, beaucoup ont souffert, mais on ira voter pour ne pas laisser le pouvoir à l’extrême droite. »
Quant aux législatives, le score réalisé par les écologistes promet les plus grandes difficultés à obtenir des sièges de députés, les 12 et 19 juin prochain. « L’élection législative est différente, locale, et les gens auront envie d’envoyer des députés écologistes à l’Assemblée, veut croire Camille Hachez, cosecrétaire des Jeunes écologistes. On ne peut pas repartir pour cinq ans d’indifférence aux enjeux écologiques. »
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