Récit pittoresque d’un an de campagne à gauche

Des affiches électorales en février 2022 à Le Relecq-Kerhuon (Finistère). - © Fred TANNEAU / AFP
Des affiches électorales en février 2022 à Le Relecq-Kerhuon (Finistère). - © Fred TANNEAU / AFP
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La gauche en troisième position à l’élection présidentielle ? Un résultat presqu’inespéré voici un an. Comment en est-on arrivé là ? Retour sur un an de campagne et des difficiles essais de rassemblement des forces du camp progressiste.
Il est 20 heures, dimanche 10 avril. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle viennent de tomber, emportant avec eux le brin d’espoir qui demeurait dans le cœur des partisans de gauche. Pour la deuxième fois, le président sortant, Emmanuel Macron affrontera la candidate d’extrême droite Marine Le Pen, lors du second tour. Pour la deuxième fois aussi, Jean-Luc Mélenchon, désormais seule force vive à gauche de l’échiquier politique, doit se contenter de la troisième marche du podium.
L’orage à peine passé, vient le temps des mathématiques. Il ne manquait au tribun insoumis que 421 420 voix pour couper l’herbe sous le pied à la candidate du Rassemblement national… Autrement dit, 1,1 % des suffrages exprimés. Naturellement, les regards se tournent alors vers les 1,7 % d’Anne Hidalgo (Parti socialiste), les 2,3 % de Fabien Roussel (Parti communiste) ou encore les 4,6 % de Yannick Jadot (Europe Écologie-Les Verts). Un gâchis diront ceux qui militaient pour une grande union. Derrière les visages marqués par la lassitude trotte désormais une seule question : comment en est-on arrivé là… encore ?
Le non-rassemblement du printemps 2021
Un an avant ce funeste dimanche d’avril 2022, des signes semblaient indiquer que les élites politiques de gauche avaient tiré des leçons de 2017. Autour d’une grande table ovale, dans un hôtel parisien bordant le canal de l’Ourcq, socialistes, communistes, insoumis et écologistes avaient débattu trois heures durant, laissant espérer une alliance. « Aujourd’hui est le début d’un travail en commun, pas une fin », avait glissé aux journalistes le député EELV, Matthieu Orphelin, à la fin de la réunion.
Un pacte de « respect mutuel » conclu, la vingtaine de responsables présents s’était finalement donné rendez-vous au mois de mai, pour de plus amples concertations. En vain, elles n’ont rien donné : le 4 septembre 2021, Arnaud Montebourg présenta sa candidature à l’élection présidentielle, suivi huit jours plus tard par la maire de Paris, Anne Hidalgo. Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel maintinrent les leurs, annoncées de longs mois auparavant. De son côté, Europe Écologie-Les Verts organisa sa primaire…
Pragmatisme ou radicalité, la primaire écologiste tranche
Cinq candidats étaient en lice dans cet épisode électoral automnal. Sandrine Rousseau, l’écoféministe qui dérange. Éric Piolle, maire de Grenoble au rêve présidentiel. Delphine Batho, candidate de la décroissance. Yannick Jadot et son écologie de gouvernement. Et enfin, Jean-Marc Governatori, l’écologiste pas de gauche. À l’issue d’un premier tour serré, Sandrine Rousseau (25,14 %) créa la surprise en décrochant son ticket pour le second tour face à l’eurodéputé grand favori (27,70 %).

Deux visions de l’écologie s’opposaient. L’une se voulait radicale. L’autre se voulait pragmatique. Au soir du 28 septembre 2021, Yannick Jadot, sourire aux lèvres, remporta la primaire d’un cheveu, avec 51,03 % des suffrages. Il tenta alors de s’imposer comme rassembleur, mais les urnes venaient de cristalliser une division idéologique au sein du parti. Dès lors allaient apparaître des tensions dans le clan des Verts. Quelques mois plus tard, le 3 mars 2022, la finaliste malheureuse allait être éjectée de l’équipe de campagne.
La Primaire populaire et son invitée de dernière minute
Le 8 décembre 2021, dans la voiture 17 du TGV reliant Paris à La Rochelle, est venue une idée à Anne Hidalgo. Bousculant son programme, l’édile candidate à la présidentielle est descendue de son train à Poitiers et a fait demi-tour vers la capitale. Le soir même, au journal télévisé de TF1, elle lançait la proposition d’une primaire rassemblant tous les candidats déclarés de la gauche. Encore raté. Sans tergiverser, communistes, insoumis et écologistes déclinèrent son offre, qui tomba aussitôt à l’eau.
Dans un même temps, la Primaire populaire entretenait le maigre espoir de porter une unique candidature à gauche. Résultat ? Les organisateurs ont été accusés de partialité et ce vote d’investiture initié dès juin 2021 par des citoyens s’essouffla rapidement lorsque Yannick Jadot, Anne Hidalgo et Jean-Luc Mélenchon exprimèrent tout trois leur refus explicite d’être associés à l’initiative. Finalement, le 30 janvier 2022, le scrutin censé rassembler aboutit à une huitième candidature à gauche : celle de Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux sous François Hollande.
Jean-Luc Mélenchon, seul leader à gauche
En février 2022, le décollage commençait pour l’Union populaire, portée par le chef de file de La France insoumise. Galvanisé par son meeting sensoriel de Nantes, Jean-Luc Mélenchon laissa ses camarades de gauche sur place dans les sondages et commença à titiller Valérie Pécresse et Éric Zemmour. En manque de dynamique, Yannick Jadot se heurta à la barre des 5 %, tandis que chez les socialistes, le bateau coulait. Anne Hidalgo sombra dans les bas-fonds du classement autour de 2 %. Arnaud Montebourg et Christiane Taubira, eux, abandonnèrent le navire devant l’échec programmé.
Dans ce climat défavorable, seuls les communistes sont parvenus à retrouver des couleurs, aidés par l’émergence d’un Fabien Roussel franchouillard. Finis les rabats-joie moralisateurs, il préférait parler de bon vin et de bonne viande et promit une France des jours heureux. Pour la première fois depuis 2007, le PCF refusa même à plusieurs reprises les mains tendues de Jean-Luc Mélenchon.
L’écologie, éclipsée des débats
L’omniprésence d’Éric Zemmour sur les plateaux télévisés cet automne, pour la soi-disant promotion de son livre, a donné le ton à cette campagne. Portés par une extrême droite grandissante, insécurité et immigration ont été les maîtres mots des mois durant. La question centrale de l’urgence climatique n’aurait finalement occupé que 5 % du temps des débats animés par les grands médias audiovisuels, estime L’Affaire du siècle. Une absence confirmée lors du débat d’entre-deux tours, où Emmanuel Macron et Marine Le Pen n’ont consacré à l’écologie que 18 minutes sur les 3 heures dont ils disposaient.
Et après ?

Le remake d’un duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen pourrait susciter chez certains l’électrochoc nécessaire pour mieux se relever. S’il est insuffisant, le pourcentage obtenu par Jean-Luc Mélenchon au soir du 10 avril offre d’ailleurs des perspectives positives. L’Union populaire a déjà le regard tourné vers les législatives et son mentor se surprend à revendiquer le poste de Premier ministre. Le Parti communiste comme Europe Écologie-Les Verts devront choisir de faire cavalier seul ou de mettre leurs dissensions de côté pour ériger une entité commune à gauche, avec l’Union populaire. Ainsi, pourrait apparaître dans le paysage antisocial et ultralibéral actuel un autre programme, celui qu’a esquissé Reporterre : où la semaine durerait quatre jours, où les riches seraient taxés, où l’on économiserait vraiment l’énergie, et la police disparaîtrait…