La semaine de quatre jours, bonne pour l’emploi et le climat

Un gardien d'immeuble et une bénévole amène un sac de courses à une personne âgée qui ne sort plus de chez elle, durant le 1er confinement. Une baisse de la durée de travail permettrait ainsi de donner du temps et de la disponibilité à l'entraide. - © Nnoman Cadoret/Reporterre
Un gardien d'immeuble et une bénévole amène un sac de courses à une personne âgée qui ne sort plus de chez elle, durant le 1er confinement. Une baisse de la durée de travail permettrait ainsi de donner du temps et de la disponibilité à l'entraide. - © Nnoman Cadoret/Reporterre
Durée de lecture : 9 minutes
L’autre programme Quotidien Alternatives Emploi et travailLa semaine de quatre jours revient dans le débat public à la faveur d’expériences en France et à l’étranger. Entre réponse au chômage de masse, bien-être et avantages écologiques, les arguments en faveur de la réduction du temps de travail trouvent de plus en plus d’écho.
L’autre programme — Que pourrait faire un gouvernement pour engager la transformation de la société ? Travail, démocratie, fiscalité, agriculture, énergie… Reporterre vous propose d’explorer, par des reportages et des enquêtes, quelques mesures de rupture écologique et sociale.
Travailler moins, gagner autant, profiter plus. Ces derniers mois, la semaine de 32 heures sur 4 jours, sans perte de salaire, a fait les gros titres des journaux en raison des nombreuses expériences conduites à l’étranger.
En Nouvelle-Zélande, en Suède, en Islande et même au Japon, des filiales de grands groupes comme Unilever ou Microsoft ainsi que de plus petites entreprises se sont momentanément essayés, avec le soutien de leurs gouvernements, à la semaine de quatre jours. À partir de 2022 et pendant trois ans, ce sera au tour de 200 entreprises espagnoles de tenter l’aventure. Pour accompagner le passage aux 32 heures (contre 40 aujourd’hui), les volontaires bénéficieront d’une aide financière étatique.
À gauche, la fin d’un tabou ?
« En France, la réduction du temps de travail était un sujet tabou depuis les lois Aubry sur les 35 heures [votées en 1998 et en 2000] Aujourd’hui, il revient petit à petit dans le débat public », se réjouit Pierre Larrouturou, député européen, candidat à la Primaire populaire et militant de la première heure pour cette nouvelle organisation du travail. De la semaine de 28 heures revendiquée par le Nouveau parti anticapitaliste à la semaine de 32 heures défendue par la France Insoumise et EELV, la quasi-totalité des partis classés à gauche remettent la question du temps passé à travailler au centre du jeu politique.
Pour Pierre Larrouturou, il ne s’agit de rien de moins qu’un des « principaux leviers » permettant de répondre au chômage de masse. « Grâce à notre capital technologique et intellectuel, on sait produire plus avec moins de travail humain, affirme le député européen. Il ne faut pas s’en servir pour faire perdurer un modèle basé sur la croissance qui ne rime à rien mais mieux répartir le temps de travail. » Selon l’Insee, 4,4 millions de personnes sont actuellement sans emploi [1] en France.

Au regard des expériences déjà conduites, Pierre Larrouturou estime que le passage à la semaine de 32 heures permettrait de créer 1,6 million d’emplois [2]. Si le bilan des 35 heures reste l’objet d’un âpre conflit entre économistes, une étude de l’Inspection générale des affaires sociales dévoilée en 2016 concluait que le passage aux 35 heures avait entraîné la création de 350 000 emplois entre 1998 et 2002.
Malgré la méfiance historique du patronat envers la réduction du temps de travail — la baisse du chômage qui pourrait en découler redéfinirait le rapport de force entre employeurs et salariés en faveur de ces derniers —, la semaine de quatre jours a eu, un temps, son heure de gloire en France.
400 entreprises à 4 jours
La loi Robien, promulguée en 1996 sous une majorité de droite libérale, a créé un dispositif permettant aux entreprises, par le biais d’une convention collective, de réduire le temps de travail de leurs salariés en vue d’effectuer de nouvelles embauches. Si elle gonflait ses effectifs de plus de 10 %, l’entreprise se voyait exonérée de cotisations chômage.
En tout, près de 400 entreprises ont profité du dispositif pour passer aux 35 heures payées 39 sur quatre jours, et ce pendant plusieurs années. Ce fut le cas d’Yprema, PME de recyclage industriel qui compte une dizaine de sites en France.
Depuis 25 ans, les salariés y travaillent 8 h 45 pendant les quatre jours de leur choix. « C’est quelque chose d’inhérent à notre fonctionnement. On ne pense pas une seule seconde à reprendre l’ancien système », assure aujourd’hui Susana Mendes, secrétaire générale de la boite. C’est même tout l’inverse. En 2022, l’entreprise, en plein essor économique, franchira un nouveau cap en passant aux 32 heures, sans perte de salaire.

Yprema compte parmi les rares entreprises qui continuent à appliquer les « accords Robien ». La plupart des sociétés en ayant bénéficié ont rebroussé chemin quelques années plus tard, du fait de la non-reconduction des accords, la loi qui les encadrait ayant été abrogée par la première loi Aubry, en 1998.
Pourtant, à en croire Claude Prigent, le directeur et cofondateur d’Yprema, les avantages d’une telle organisation du travail sont multiples. Le salarié, avec un jour de repos supplémentaire, en est le premier gagnant mais l’entreprise y trouve aussi son compte. « Nos salariés travaillent 4 jours sur 5 mais on travaille 13 mois sur 12, explique-t-il. Ils travaillent individuellement moins mais les machines tournent, en valeur absolue, plus longtemps [8 heures 45 par jour au lieu de 8 heures, et ce 5 jours par semaine]. Cela nous a permis d’augmenter nos capacités de production de 12 % sur l’année. »
Doublement du personnel
En outre, le cadre de travail se trouve amélioré par la diversification des tâches. Tous les salariés sont formés à au moins deux activités différentes et travaillent en binôme, afin que l’un remplace l’autre le cinquième jour. À en croire ses cadres, la nouvelle organisation du travail explique en partie le doublement du personnel de la PME. Elle comptait 42 salariés en 1997 contre 90 aujourd’hui.
Ces échos positifs, on les retrouve aussi dans la bouche de Laurent de la Clergerie, chef d’entreprise qui a donné son nom à LDLC, société de commerce en ligne basée à Lyon comptant 800 salariés. « Depuis qu’on a fait le choix des quatre jours en janvier dernier, la tension est totalement descendue. Je ne peux pas affirmer que tout le monde soit content de venir au travail, mais maintenant, je vois des sourires à la fin de la semaine », dit-il.
Un constat confirmé par ses employés. « Ça nous change la vie. On peut vraiment profiter de nos week-ends en priorisant les jours off pour nos rendez-vous. On a le temps de faire de nouvelles activités associatives ou sportives et on est gagnants sur le plan financier. Pourant, franchement, quand on nous a proposé ce fonctionnement, on est tombé des nues », se souvient Sandrine Legay, élue CGT au CSE de l’entreprise.
À l’image des études conduites à l’étranger, les expériences françaises ne sont pas unanimes sur l’impact sur l’emploi. Si Yprema se targue d’avoir embauché, le président de LDLC assure « n’avoir eu besoin d’aucune main d’œuvre supplémentaire ». En revanche, la grande majorité des retours d’expériences attestent de l’impact nul voire positif sur les gains de productivité et de la diminution du stress ainsi que des risques d’épuisement professionnel.
Moins travailler, une pratique écolo
Plus récemment, l’argument écologique est venu renforcer les convictions des défenseurs de la réduction du temps de travail. En août dernier, l’association britannique Platform a publié une étude indiquant que le passage à la semaine de quatre jours sans perte de salaire permettrait de « diminuer l’empreinte carbone du Royaume-Uni de 127 millions de tonnes par an d’ici 2025 », soit une diminution de 21,3 %.
En cause, les « économies d’énergie » liées à l’absence du personnel dans les bureaux, la « réduction des déplacements » mais aussi l’utilisation de ce temps libre à des fins moins émettrices comme « la vie en famille », la « cuisine à la maison », le « jardinage », ou encore le « volontariat local ».
Pour en arriver à ces données, l’association a croisé les nombreuses études universitaires et sondages déjà réalisés sur ces questions. En 2012, déjà, des chercheurs de l’Université de Massachusetts Amherst étaient arrivés à la conclusion qu’une réduction moyenne de 10 % des heures de travail d’un ménage réduisait son empreinte carbone de 8,6 %. Rien qu’à l’échelle de son entreprise, Laurent de la Clergerie observe déjà depuis un an une « économie d’énergie de l’ordre de 5 à 10 % ».
Une proposition évoquée à la Convention citoyenne pour le climat
L’argument écologique en faveur de la réduction du temps de travail est même sorti des rangs universitaires pour émerger au sein de la Convention citoyenne pour le climat. « Je voyais cette proposition comme la suite logique de celles qu’on mettait sur la table, se souvient Rémy Dufour, membre de la Convention ayant porté l’idée. Ce n’était pas tout de proposer des mesures comme la gratuité des transports, il fallait aussi libérer du temps aux gens pour qu’ils puissent les prendre. C’était avant tout une question de justice sociale. »

L’idée, qui a fait l’objet de vifs débats a néanmoins été refusée par deux tiers des votants. « Certains craignaient que ça ne bouleverse trop nos modes de vie, d’autres que ce ne soit pas une mesure écologiste en se disant que les gens profiteraient de leurs week-ends de trois jours pour partir en voyage en avion et consommer plus », se rappelle Rémy Dufour.
Pour Erwan Dagorne, médiateur à la Convention citoyenne, c’est surtout le parcours de cette idée au sein de la Convention qui est parlant : « La proposition n’était pas portée par des intervenants extérieurs. Elle a vraiment émané d’une poignée de citoyens. Elle a été très vite mise de côté pour revenir sur la table quelques séances plus tard et être, au final, très discutée. Les membres de la Convention étaient majoritairement sceptiques mais ont reconnu l’intérêt d’en faire un sujet de débat. »