Éric Piolle : « Rassembler l’arc humaniste autour de l’écologie politique »

Éric Piolle à Paris, le 6 septembre 2021. - © Mathieu Génon/Reporterre
Éric Piolle à Paris, le 6 septembre 2021. - © Mathieu Génon/Reporterre
Durée de lecture : 13 minutes
Présidentielle PolitiqueReporterre s’est entretenu avec chacun des candidats à la primaire écologiste pour l’élection présidentielle de 2022. Aujourd’hui, Éric Piolle, le maire de Grenoble.
Reporterre publie chaque jour de la semaine le portrait et l’interview de l’un des cinq candidats à la primaire des écologistes, dont le premier tour se déroule du 16 au 19 septembre et le second du 25 au 28 septembre, en vue de la présidentielle de 2022. L’ordre de passage a été tiré au sort.
Reporterre — Quelles sont les trois premières mesures qu’il faudrait adopter pour enrayer la crise climatique et la sixième extinction des espèces ?
Éric Piolle — Il faudra réduire notre consommation de viande. Par exemple en imposant une alternative végétarienne quotidienne dans toute la restauration collective. Sachant qu’un kilo de bœuf représente 25 kilos de CO2, c’est à la fois bon pour la santé et pour les émissions de gaz à effet de serre. Il faut également interdire l’agrandissement et la construction de nouveaux bâtiments pour l’élevage intensif.
De plus, je propose de créer 25 000 fermes de maraîchage agroécologique, ce qui représenterait 100 000 emplois. Car la moitié des agriculteurs vont partir à la retraite dans les prochaines années [1]. Il faut protéger les terres de la prédation des fonds de pension étrangers ou des fonds financiers.
Ensuite, nous voulons passer 10 % de nos aires marines sous protection forte. La forêt aussi est un espace qu’on doit protéger. Il faut interdire les coupes rases dans les forêts anciennes et limiter les coupes rases à un hectare dans les forêts plantées. Il faut également mettre en œuvre une stratégie de rachat des forêts avec l’Office national des forêts (ONF) comme outil de gestion de ce bien commun. Cela veut dire la création de 5 000 emplois. Il faut aussi transformer l’ONF en établissement public administratif. Aujourd’hui c’est un établissement public industriel et commercial, qui poussé par son modèle, surexploite la forêt.

Enfin, nous devons réduire nos émissions sur les transports. Pour cela, il faut un plan d’investissement de trois milliards d’euros par an dans le ferroviaire, avec notamment la relance des trains de nuit pour les liaisons supérieures à cinq heures. Il faut aussi supprimer l’exonération de taxe pour le kérosène pour les vols nationaux, interdire les vols nationaux pour les déplacements de moins de 4 h 30 et faciliter le report intermodal avec la création de 300 000 places de vélos dans les gares.
La transition énergétique ne se fera pas sans action sur les économies d’énergie, angle mort des politiques. Quelle mesure prendre pour la sobriété énergétique ?
Il y a presque cinq millions de passoires thermiques qu’on aimerait rénover d’ici 2050. Il faut donc avoir un rythme de 700 000 rénovations de logements par an et il y a un choix social majeur autour de l’accompagnement de cette politique de rénovation. Pour la moitié la moins aisée de la population, il n’y aura aucun reste à charge. Les communes doivent aussi être aidées afin qu’on puisse rénover la moitié de bâtiments publics. Ce qui permettra également de créer des emplois. On veut aussi obliger les propriétaire de plus de quatre logements à rénover. Nous voulons aussi rendre notre économie circulaire et non plus linéaire. À ce sujet, nous proposons la création de 10 000 ateliers de réparation des objets du quotidien. Je pense aussi à la lutte contre l’obsolescence programmée. Prenons par exemple les machines à laver qui ont perdu 30 % de leur espérance de vie dans les dix dernières années. Enfin, quelque chose qui me tient à cœur car j’ai travaillé dans ce monde, il faut que les data centers [les centres de données] soient obligatoirement connectés à des réseaux de chaleur urbain. Et donc construits sur les friches plutôt que des terres agricoles.
Vous avez participé à un débat sur le nucléaire organisé par Reporterre. À votre avis, comment sortir du nucléaire ?
Il y a un objectif de sortie résiduelle, au fur à mesure qu’on arrive à baisser nos consommations et à augmenter notre part des énergies renouvelables. Mais le nucléaire est trop lent, trop cher, trop risqué. Si nous ne construirons pas de nouveaux EPR, il faudra quand même faire tous les investissements jugés nécessaires par l’Autorité de sûreté nucléaire, puisque le risque de sécurité va grandir avec le temps. Il va falloir également investir dans le démantèlement puisqu’il y aura 500 réacteurs à démanteler dans le monde d’ici les trente prochaines années. Ceux qui sauront le faire auront accès à un marché pourvoyeur d’emplois.

Passer à la VIᵉ République est une priorité largement partagée. Mais quelle évolution de la Constitution vous semble prioritaire ?
Je crois aujourd’hui qu’il y a un problème de confiance dans les institutions et dans leur capacité à engager la transition. Dès mon arrivée, j’aimerais donc proposer un référendum en utilisant l’article 11 de la Constitution [qui définit la procédure de référendum législatif] et qui se tiendrait au moment des législatives. Il s’agira évidemment de garantir la préservation de l’environnement et du climat dans l’article 1er de la Constitution [2]. Cela servira de point d’appui pour la justice climatique. Une question sera aussi posée sur la fin de l’hyper personnalisation du pouvoir afin de renoncer à l’article 13 [qui précise que le président de la République signe les ordonnances et décrets. Il nomme aux emplois civils et militaires de l’État] ainsi qu’à l’article 16, qui dit que le président peut s’arroger les pleins pouvoirs. Ce qui représente un véritable risque dans les périodes de crises à venir. La troisième dimension, c’est l’instauration de la proportionnelle aux législatives.

J’aimerais aussi instaurer le référendum d’initiative citoyenne (RIC), une suite logique au mouvement des Gilets jaunes. Nous l’avions expérimenté à Grenoble, mais le dispositif a été attaqué au tribunal par le gouvernement et nous avons perdu car le référendum engageait les élus à suivre le résultat. Ce qui a été déclaré illégal.
Comment faire pour qu’au niveau mondial les émissions de gaz à effet de serre se réduisent fortement ?
On est aujourd’hui totalement inaudibles puisque, comme le rappelle le Haut Conseil pour le climat, la France va deux fois trop lentement dans ses baisses d’émissions gaz à effet de serre. Et surtout moins vite que les autres pays européens. Quand il y a une telle déconnexion entre les actes et la parole, votre crédibilité géopolitique se perd. Je pense qu’il faudrait qu’on monte notre Aide publique au développement à 1 % du PIB, contre à peine 0,5 % aujourd’hui. Que les grandes entreprises fassent des transferts de technologies. Il faudra aussi adapter la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne qui, pour l’instant, est limitée à six secteurs. Surtout faire attention à ce que cette taxe carbone ne pèse pas sur les ménages les plus modestes. Si on met en place aussi une stratégie nationale cohérente, nous pourrons retrouver une capacité d’influence sur les accords internationaux.
Le coût écologique des riches est démesuré. Quelle politique de justice redistributive envisagez-vous ?
Les 1 % plus riches émettent deux fois plus que les 50 % des moins fortunés. C’est ce qu’ont montré Notre affaire à tous ou Oxfam. Il faut financer la transition en pompant sur cette masse d’accumulation de profits qui ont été non seulement captés de façon indue mais qui manquent également au financement de la transition et des services publics. C’est pour ça qu’on propose l’ISF [|impôt de solidarité sur la fortune] climatique. Soit l’inverse de ce qui a été fait par Emmanuel Macron qui a protégé les riches en supprimant cet ISF. Ou en refusant les propositions de la Convention citoyenne climat sur les questions de taxation financière. Ou en faisant peser la transition sur les plus fragiles avec la taxe carbone [3]. Mais nous ne sommes pas anti-riches. Nous expliquons pourquoi cette accumulation est indue, par exemple avec les milliards de dividendes versées aux boites du CAC 40 en pleine crise. C’est plutôt une question de partage de la valeur ajoutée qui ne fonctionne plus. Ce qui est nuisible parce qu’aujourd’hui, ces masses financières sont en train de continuer de dérégler l’environnement.
Comment accueillir les personnes migrantes ?
Il faut retrouver une parole qui soit respectueuse de nos textes et de notre histoire. La suppression des centres de rétention administrative me semble plus que nécessaire. Les directives Dublin sont également à remettre en cause, puisqu’il faut aborder cela de façon plus solidaire à l’échelle européenne. Et va se poser la question de l’avenir des réfugiés climatiques. Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a émis un avis sur le fait que ces réfugiés climatiques devaient être protégés. Car un réchauffement à 2 °C peut mettre dans l’extrême pauvreté environ 130 millions de personnes supplémentaires. Je crois aussi qu’on peut compter sur la solidarité des Français. On l’a vu avec la crise afghane et ces villages qui se sont prononcés pour leur accueil. Une ville comme Grenoble a accompagné une centaine d’Afghans. Rapporté à l’échelle de la France, cela ferait quarante mille personnes à accueillir. C’est vraiment gérable. C’est une question d’humanité.
Il y a une question plus profonde que cela : quel regard pose-t-on sur l’avenir à partir du moment où l’étranger fait peur ? Nous avons un modèle néolibéral extrêmement violent pour l’humain et pour l’environnement, de plus en plus autoritaire parce qu’il fait de moins en moins de gagnants. Face à cela, les milieux réactionnaires et d’extrême droite nous conditionnent en disant que la façon de nous sortir de cette insécurité, c’est de construire des murs. Ce discours nauséabond a rompu avec le progrès. J’ai passé beaucoup de temps avec les résistants et les déportés qui expriment bien qu’au fond de nous, nous avons à la fois le pire et le meilleur. Tout dépend des options et des chemins qui s’offrent à nous. Je ne crois pas à une France qui serait par nature d’extrême droite. Elle réagit comme cela car les seules options sur la table jusqu’à présents sont toujours plus violentes. Oui, il existe une insécurité existentielle, sociale et climatique dans notre pays. Et ma réponse, c’est celle du progrès social et climatique.

Comment mettre fin aux violences policières ?
C’est important pour moi de séparer ce qui relève de la doctrine de l’État et ce qui relève de la violence de certains policiers. Ce sont des comportements auxquels il faut remédier, notamment via des formations. On voit bien que les dimensions de prévention et de réinsertion devraient être au cœur d’une stratégie de lutte contre la délinquance. Il faut une chaîne coordonnée entre la prévention, la police et la justice en insistant sur la police de proximité. C’est ainsi que l’on pourra restaurer la confiance. Afin que lorsque les gens voient des policiers, ils se sentent en sécurité et non pas en difficulté parce qu’ils ne sont pas au bon endroit ou sont directement menacés.
Comment rendre, concrètement, la société moins sexiste ?
C’est un objectif en soi, mais aussi un moyen nécessaire de transformation de la société. Il faut rappeler les inégalités sociales dont sont victimes les femmes, les inégalités de salaires, les inégalités dans la répartition des tâches ménagères et les violences sexistes et sexuelles. Je propose de mettre un milliard d’euros pour lutter contre ces violences, notamment avec l’accompagnement et l’hébergement pour la protection et la mise en sécurité. Je propose la création de 20 000 emplois communs dans les associations féministes. Il faut mettre en place une conditionnalité des aides pour les entreprises sur l’égalité salariale femmes-hommes. Et puis, nous souhaitons revaloriser de 10 % les bas salaires, ce qui profitera en premier lieu aux femmes. Enfin, une dimension qui est extrêmement importante, c’est la formation de l’ensemble des fonctionnaires à l’accueil des victimes, mais aussi à l’égalité femmes-hommes. On le fait pour nos policiers municipaux, mais cela doit être vrai pour tous les professionnels de justice, pour tous les enseignants. Je suis frappé de voir à quel point les formations qu’on prodigue à Grenoble transforment les regards. La candidature écologiste sera une candidature alliée du féminisme et qui mettra ce sujet sur le devant de la scène. Là où Emmanuel Macron a été plus que décevant.
Imaginons qu’Anne Hidalgo (PS) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) vous proposent chacun une alliance. Avec qui irez-vous ?
Je me suis engagé au moment de la création d’Europe Écologie — Les Verts parce que je suis convaincu que c’est autour de l’écologie politique qu’on peut aujourd’hui rassembler l’arc humaniste. Tous ceux qui ont une histoire militante, politique, associative ou écologiste et qui sont de plus en plus nombreux à vouloir sortir de l’impasse du modèle néolibéral, qui se tournent vers une vie plus en adéquation avec leurs valeurs. L’objectif, c’est de rassembler tous ceux qui ont pu croire à la nouveauté d’Emmanuel Macron mais qui ont rompu avec lui face à son inaction climatique et tous ceux qui ont espéré en Jean-Luc Mélenchon en 2017, mais qui voient bien que ce n’est pas là que ça va gagner en 2022. De plus, en faisant le tour du pays, je ne vois pas le désir de socialisme. Donc, je pense qu’il n’y a qu’autour de l’écologie politique aujourd’hui qu’on peut rassembler. Choisir de voter pour moi, c’est être convaincu qu’il y aura un bulletin Éric Piolle en avril prochain.