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Présidentielle

Éric Piolle, le maire qui voudrait devenir président

Éric Piolle à Paris, le 6 septembre 2021.

Il est l’un des seuls candidats à la primaire écologiste à exercer un mandat local. Si Éric Piolle, maire de Grenoble, part dans la course avec un bilan critiqué par une partie du milieu associatif grenoblois, l’homme reste toutefois « focalisé sur cette victoire ».

Reporterre publie chaque jour de la semaine le portrait et l’interview de l’un des cinq candidats à la primaire des écologistes, dont le premier tour se déroule du 16 au 19 septembre et le second du 25 au 28 septembre, en vue de la présidentielle de 2022. L’ordre de passage a été tiré au sort.



Paris (12e)

Depuis quelques semaines, Éric Piolle ne dort jamais deux soirs de suite dans le même lit. Depuis le début de la campagne pour la primaire écologiste, le maire de Grenoble a fait plusieurs fois le tour de la France, de Marseille à Briançon, en passant par Arcueil, Bagnolet et Paris la semaine dernière. Puis Cannes, Paris, Nantes, Angers et Tours cette semaine. « C’est une campagne ouverte avec un petit nombre d’électeurs. La stratégie, c’est d’aller parler partout et de toucher ce corps électoral directement, dit Éric Piolle. On ne peut pas être candidat à la présidence sans sentir la France, sentir ce qui motive les gens, ce qui les inquiète. Cette phase permet de partager nos propositions, de les tester, de les enrichir. »

Un rythme effréné qui ne semble pas l’indisposer. Pas la moindre trace de fatigue sur son visage. « Je suis physiquement résistant », explique-t-il simplement. Aucune lassitude ne transparaît lorsqu’on lui fait répéter, certainement pour la centième fois, certains éléments clés de son programme. Ce dernier a été préparé par une vaste équipe de bénévoles au sein de la structure Une Certaine idée pour demain, une plateforme qui a réuni des centaines de militants qui ont réfléchi et construit un programme électoral. Parmi les propositions phares, la création de 1,5 million d’emplois grâce à la transition écologique ainsi que l’instauration d’un ISF climatique. Au final, une trentaine de mesures emblématiques pour atteindre une neutralité climatique dès 2045.

Précis et rigoureux, il consulte à peine les notes prises sur son téléphone. « Éric est quelqu’un de très volontariste », explique à Reporterre Maryvonne Boileau, ancienne élue Europe Écologie—Les Verts (EELV) et ex-conseillère régionale et municipale à ses côtés. C’est elle qui l’a « découvert » lorsqu’il était conseiller régional EELV en Isère en 2010. « Nous étions plusieurs à nous dire qu’il pourrait être un bon candidat pour la ville de Grenoble. Un ancien ingénieur qui a eu une vie professionnelle et qui n’est pas le pur politicien sorti de Sciences Po. »

Éric Piolle à Paris, le 6 septembre 2021. © Mathieu Génon/Reporterre

S’il n’a pas suivi le cursus des élites parisiennes, Éric Piolle vient tout de même d’un milieu socioculturel favorisé. Un père chercheur au CNRS. Une mère sociologue. Une enfance à Pau. Une école d’ingénieur à Grenoble. Un poste de haut cadre chez le groupe informatique Hewlett-Packard (HP). Une famille de quatre enfants. Un engagement associatif (Amnesty International, Acat, RESF). Puis la rupture, en 2011 : il refusait de mettre en place un plan de délocalisation dans son entreprise et s’est fait licencier. « Cette expérience a achevé de me faire comprendre de façon très concrète la nature du système auquel nous sommes confrontés », écrit-il dans son dernier livre, De l’Espoir ! (ed. Les Liens qui libèrent).

Sa prise de conscience du problème écologique remonterait bien plus tôt, au début des années 2000, lorsqu’il a lu The Carbon War : Global Warming and the End of the Oil Era (La guerre du carbone) de Jeremy K. Leggett. Dix ans plus tard, il a envoyé une lettre de motivation au parti des Verts pour intégrer ses listes en vue des élections régionales. Ce n’était pas sa première campagne. En 1997, à 24 ans, il s’était présenté aux législatives en Isère sous l’étiquette divers gauche. Même chose en 2002, sous l’étiquette de Nouvelle Donne, le parti de son cousin, Pierre Larrouturou. En mars 2010, il a été élu conseiller régional Europe Écologie en 9e position sur la liste d’Union de la gauche en Isère. Puis il est devenu maire en 2014, en réussissant à rassembler autour de lui une vaste coalition, du parti de gauche en passant par les mouvements citoyens.

Un mandat critiqué

Éric Piolle n’est donc pas un novice en politique. Mais du fauteuil de maire à celui de président, il y a un long parcours semé d’embûches. « Cela ne m’a pas surprise qu’il se lance dans cette aventure, je pense que c’était une réflexion qu’il avait depuis longtemps, dit Maryvonne Boileau. Car il a réalisé que l’échelon local n’était pas suffisant pour changer le modèle de société et conduire des politiques volontaristes sur les questions environnementales. » Pour autant, l’Isérois n’a pas encore le sentiment d’avoir fait le tour de son mandat : « On s’est fixé un cap pour 2030 à Grenoble, avec des défis sur douze thématiques concernant la lutte contre le réchauffement climatique et l’adaptation des villes. Nous avons encore plein de choses à faire », insiste-t-il.

Avec la députée Delphine Batho, il est le seul candidat de la primaire exerçant un mandat local. Et donc critiquable. Une partie du milieu associatif et militant de la cuvette, le surnom de Grenoble, n’a d’ailleurs pas attendu la primaire écologiste pour l’épingler. Du port du burkini dans les piscines, au conflit avec l’association Droit au logement (DAL) après la coupure des fluides dans un immeuble squatté, en passant par la fermeture de bibliothèques dans les quartiers ou l’annulation des subventions au « mois décolonial ».

Sans oublier son implication dans une start-up d’optimisation fiscale. Son péché originel selon Le Postillon, journal satirique local qui a publié un livre ultra-caustique sur le bilan du maire. « Dans notre espace politique, il y a toute une frange qui ne veut pas du pouvoir et qui me considère comme un social-traître. Elle est donc extrêmement virulente », constate Éric Piolle, sans toutefois sembler s’émouvoir vraiment des conséquences que cela pourrait avoir sur les votes.

Éric Piolle discutant dans une rue de Grenoble avec une habitante, en février 2020. © Moran Kerinec/Reporterre

Critiques encore de la part d’Alain Carignon (Les Républicains, LR), ancien maire de Grenoble condamné à quatre ans de prison ferme, suivis de cinq ans d’inéligibilité pour corruption. Devenu aujourd’hui conseiller municipal d’opposition, il ne rate pas la moindre occasion de conspuer son rival dans la presse, appelant même à voter pour Yannick Jadot lors de la primaire.

Du côté des Socialistes, l’ambiance n’est pas meilleure. Olivier Noblecourt (ex-PS et ancien secrétaire général de la délégation de lutte contre la pauvreté du gouvernement Macron), conseiller municipal d’opposition, assure qu’Éric Piolle se désintéresse du social et des quartiers populaires.

« Ceux qui tiennent ces discours sont les anciens socialistes qui sont restés dans une conception patriarcale des quartiers populaires. Ils sont heurtés de voir que l’on ne pratique plus leurs politiques clientélistes », remarque Éric Piolle. Pourtant, même la fidèle Maryvonne Boileau — qui peine à lui trouver des défauts — estime qu’à ses débuts, l’homme n’était peut-être pas suffisamment préoccupé par les questions sociales. « Mais il a beaucoup évolué là-dessus, il fait désormais attention aux plus faibles », assure-t-elle. Une préoccupation inscrite dès la première page de son livre De l’Espoir ! : « Nous sommes blessés par les inégalités de plus en plus criantes, des conditions de vie qui deviennent plus rudes pour beaucoup, la peur désormais tenace du déclassement, la perte d’un système juste et protecteur auquel nous tenons. »

Éric Piolle à Paris, le 6 septembre 2021. © Mathieu Génon/Reporterre

Rassembler les politiques de gauche

Des promesses cependant insuffisantes pour convaincre les quartiers populaires de se rendre aux urnes lors des dernières municipales. « C’est le cas partout en France. Or, il faut regarder ce qu’on a fait dans ces quartiers, avec l’aménagement d’espaces verts, avec le plan de rénovation urbaine de 447 millions d’euros. Mais aussi les 2 500 enfants qui mangent des repas végétariens bio et locaux, et qui vivent souvent dans les quartiers populaires », égrène Éric Piolle.

Olivier Bertrand, élu écologiste au département de l’Isère depuis 2004, membre du conseil municipal et du bureau exécutif d’EELV, ne s’étonne pas de toutes ces critiques. « Grenoble est une ville frondeuse avec une riche vie citoyenne et associative. Dans tous ces milieux, il y a un mouvement anarchiste ou libertaire fort. Ils sont légitimes dans leurs critiques, mais ne portent jamais aucune alternative. »

« Je travaille pour gagner et je suis focalisé sur cette victoire. »

Car bien entendu, Éric Piolle et son équipe n’ont pas chômé ces dernières années. Sans quoi ils n’auraient pas été réélus. De la baisse des indemnités des élus à la tarification sociale de l’eau, en passant par la multiplication des pistes cyclables, à la construction d’écoles, de crèches et d’Ehpad. A-t-il des regrets ? « On a des frustrations parce qu’on aimerait toujours en faire beaucoup plus. Mais on a fait le maximum, même si on pourrait faire énormément plus si on avait les moyens », allusion à l’état désastreux des finances de la ville lorsqu’il est arrivé au pouvoir.

Autre force : sa capacité à rassembler les politiques de gauche. Au printemps dernier, François Ruffin (La France insoumise, LFI), Audrey Pulvar (PS) et Clémentine Autain (Ensemble ! et LFI) se sont réunis sur un terrain de foot pour soutenir sa candidature aux municipales. « J’ai rarement vu quelqu’un qui a une telle énergie et une telle capacité à porter un projet et une équipe, dit Olivier Bertrand. C’est une force que je n’ai pas rencontrée auprès d’autres personnes dans mon parcours politique. On l’a vu dans le premier mandat à Grenoble, car on avait un groupe unique dans la majorité et c’est toujours le cas, alors qu’on a des gens qui viennent d’horizons politiques différents, de LFI au PS, aux mouvements citoyens. »

Une expérience locale réelle, une capacité à réunir des personnalités de gauche : ces atouts seront-ils suffisants pour remporter la primaire ? Éric Piolle n’envisage pas un instant la défaite. « Je travaille pour gagner et je suis focalisé sur cette victoire. »

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