Marine Le Pen, à l’extrême opposé de l’écologie

Marine Le Pen lors de sa présentation d'un «contre-projet de référendum» sur l'écologie, en mars 2021. - © Alain Jocard / AFP
Marine Le Pen lors de sa présentation d'un «contre-projet de référendum» sur l'écologie, en mars 2021. - © Alain Jocard / AFP
Durée de lecture : 8 minutes
La candidate d’extrême-droite, chantre d’une écologie « enracinée », tente de verdir son programme nationaliste. Mais les prises de positions des élus du parti et les mesures productivistes qu’elle défend trahissent son opportunisme teinté de déni sur les enjeux environnementaux.
Écolo, Marine Le Pen ? La candidate d’extrême droite aimerait le faire croire. Sur son site, entre les dizaines de pages consacrées à la sécurité et à l’immigration, son équipe de campagne a glissé un livret sur l’environnement. La candidate y vante une écologie « positive », placée « au cœur du projet de renouveau national » et permettant à chacun de profiter d’une nature « belle, vivante et protégée ». De la poudre aux yeux, selon chercheurs et associatifs. Derrière son apologie d’une écologie « enracinée », la candidate défend un programme destructeur pour le vivant.
Le rapport à l’écologie de Marine Le Pen est « quasi inexistant », affirme à Reporterre le spécialiste de l’extrême droite Stéphane François, professeur de science politique à l’université de Mons. Ses quelques prises de position relèvent selon lui davantage d’un « habillage vert » à visée électoraliste que d’une position réfléchie. « Au sein de ce parti, il y a peu de personnes intéressées ou compétentes dans ce domaine », observe-t-il, avant de rappeler que le libéralisme économique est encore « un marqueur important » du Rassemblement national. « En outre, il existe un fort rejet de l’écologie chez certains militants d’extrême droite, qui ne voient que des "pastèques" dans les activistes écologistes — vert à l’extérieur, rouge [communiste] à l’intérieur —, adeptes du "mondialisme". »
Une « forme de déni » des enjeux climatiques
Comme d’autres figures de son parti, la candidate d’extrême droite flirte avec le climatoscepticisme. En 2012, dans un entretien pour le magazine Terra Eco, Marine Le Pen doutait du fait que l’activité humaine soit « l’origine principale » du changement climatique. « Ce ne sont pas les travaux du Giec qui peuvent établir avec certitude que l’homme est la cause du changement climatique », assurait-elle. Cinq ans plus tard, elle jugeait « utiles » les débats sur le changement climatique, qui n’est selon elle « pas une religion ». La candidate semble aujourd’hui revenue (du moins publiquement) de ce genre de positions. « Elle a compris que ce débat était d’arrière-garde, analyse Bruno Villalba, auteur de L’écologie politique en France (éd. La Découverte). Elle va par contre réduire la dimension internationale de ces questions, et la nécessité d’une régulation transnationale. C’est une forme de déni. » Le 13 avril, lors d’une conférence de presse, la candidate avait d’ailleurs reconnu qu’elle ne comptait pas faire de la question environnementale internationale « l’alpha et l’oméga de [s]a politique étrangère », au risque de miner la lutte contre le changement climatique.
Selon le professeur de sciences politiques, Marine Le Pen procède à une « appropriation sélective » des enjeux écologiques. Ces derniers ne sont évoqués que lorsqu’ils peuvent servir sa vision idéologique. « Son objectif est la défense de l’identité nationale. Elle développe une manière de percevoir la question environnementale à travers ce schéma logique », observe-t-il. L’écologie est ainsi réduite, dans son discours, à la défense des paysages et des terroirs français contre les éoliennes. Nulle mention des limites planétaires, des réfugiés climatiques ou d’un quelconque changement de modèle. « Elle considère l’environnement comme on le faisait au début des années 1970 : une succession de problèmes auxquels on pourrait répondre grâce à des solutions techniques qui vont permettre de perpétuer le système. »
Énergie : la grande régression
Le « négationnisme écologique » de Marine Le Pen se traduit de manière concrète dans son programme. « Il ne s’agit pas d’une forme de statu quo, comme c’est le cas pour Emmanuel Macron, mais plutôt d’une régression environnementale », alerte Neil Makaroff, du Réseau Action Climat (RAC). Sur le volet énergétique, d’abord : la candidate d’extrême droite prévoit de mettre en place un moratoire sur l’éolien et le solaire photovoltaïque, et de démanteler les éoliennes déjà en place. Ces propositions vont à l’encontre des recommandations du Réseau de transport d’électricité (RTE). Dans son dernier rapport, le gestionnaire de réseau montre que la France ne pourra pas atteindre la neutralité carbone sans développer massivement les renouvelables. Le projet de la candidate risque donc de « conduire à la réouverture de centrales fossiles », selon Neil Makaroff.
Selon le spécialiste de l’énergie Nicolas Goldberg, sa promesse de construire 20 réacteurs nucléaires de troisième génération (EPR) d’ici 2036 échappe à toute rationalité technique. « Décider aujourd’hui d’une relance du nucléaire ferait qu’au mieux une première paire d’EPR pourrait être disponible entre 2035 et 2037 […] Il faut également rappeler que la filière industrielle a elle-même émis quelques doutes sur sa capacité à produire plus de 14 EPR d’ici 2050 », écrit-il dans une tribune publiée sur le site de Terra Nova.
« Son programme est une catastrophe pour le climat et le portefeuille des Français »
Marine Le Pen ne propose par ailleurs aucune mesure pour accélérer la rénovation énergétique et lutter contre la précarité énergétique, qui affecte pourtant 12 millions de Français. La mise au ban des chaudières à fioul ? « Une hérésie », selon la candidate, également opposée à l’interdiction progressive des passoires thermiques. « Marine Le Pen souhaite maintenir les gens dans une dépendance aux produits fossiles qui leur coûtera cher sur le moyen terme, dit Neil Makaroff, du RAC. Son programme est une catastrophe pour le climat et le portefeuille des Français. »
Dans les faits, Marine Le Pen est selon lui bien loin d’être la candidate du pouvoir d’achat. Plutôt que d’aider la population à sortir de sa dépendance aux véhicules thermiques, la candidate propose de baisser la TVA sur les produits pétroliers et gaziers de 20 à 5,5 %. Une mesure « fondamentalement injuste d’un point de vue social » : « Une baisse généralisée bénéficie davantage aux plus aisés, qui ont des SUV et utilisent beaucoup de carburant, qu’à ceux qui ont des petites voitures. Cela creuse les inégalités. »
En ce qui concerne l’agriculture et l’industrie, la candidate se contente de prôner le localisme, un concept prisé des écologistes. Mais « dans le cas du Rassemblement National, il s’agit principalement d’un discours nationaliste : le produit est fabriqué "ici" et non "ailleurs", sous-entendu à l’étranger », note Stéphane François. « En aucun cas elle ne parle d’améliorer le caractère environnemental de la production française, complète Neil Makaroff. Elle porte un modèle intensif productiviste que l’on connaît déjà. » La candidate va jusqu’à vouloir amoindrir certaines normes environnementales, notamment la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette ». « C’est la candidate du chaos climatique. Elle ne cherche pas à effectuer une transition écologique, mais à faire marche arrière sur bon nombre de sujets. »
Des élus systématiquement anti-écolos
Le bilan du Rassemblement National aux parlements français et européen achève d’en convaincre. Entre 2009 et 2014, les eurodéputés du parti ont voté contre chacune des réformes climatiques débattues à Strasbourg, rappelle Basta. En 2016, lors de l’adoption de l’Accord de Paris par le Parlement européen, ses représentants s’étaient abstenus de voter. Autres faits d’armes : en décembre 2020, les députés rattachés au Rassemblement national ont voté pour la réautorisation des néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles » en France. En juillet et en octobre 2020, lors des débats relatifs aux aides apportées par l’État aux grandes entreprises dans le cadre de la pandémie de Covid-19, ils se sont également exprimés contre la mise en place de conditionnalités écologiques.
L’activisme écologique n’a pas non plus les faveurs du RN. En février, en réponse à une jeune femme qui l’interrogeait sur le recours juridique lancé par l’Affaire du siècle contre l’inaction climatique de l’État français, la candidate d’extrême droite assurait ne pas vouloir rentrer dans la « flagellation permanente de notre pays ». Les écolos ? Des « idéologues anti-tout », affirmait-elle en 2021. Les zadistes de Notre-Dame-des-Landes ? Des « crasseux » marginaux. Un langage dans la droite ligne de la vision de la société « sclérosée, intolérante et discriminante » de la candidate décriée par Greenpeace dans une analyse de son programme. Sous la couche de peinture verte, préviennent-ils, transparaît le fond brun.