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Présidentielle

Débat Macron-Le Pen : un « vide abyssal » sur l’écologie

Emmanuel Macron et Marine Le Pen lors du débat de l'entre-deux-tours le 20 avril 2022.

Seules 18 minutes des 3 heures du débat d’entre-deux-tours ont été consacrées à l’écologie. Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont rappelé les grandes lignes de leurs programmes énergétiques, en ignorant les autres enjeux écologiques.

Il aura fallu attendre 22 h 23 avant que les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) soient évoqués. Emmanuel Macron (La République en marche) et Marine Le Pen (Rassemblement national) étaient invités, mercredi 20 avril à 21 heures, à présenter leurs programmes au cours du débat télévisé de l’entre-deux-tours. C’est après 1 h 30 d’échanges animés sur la guerre contre l’Ukraine, la situation de l’hôpital français et les retraites que les prétendants à l’Élysée ont défendu leurs mesures en matière d’environnement. « Plus qu’un thème, une angoisse pour les jeunes », selon les présentateurs.

Le président candidat et la femme politique d’extrême droite ont déroulé pendant dix-huit minutes les mesures phares de leurs programmes énergétiques, sans grandes surprises. L’effondrement de la biodiversité, la transition agroécologique ou encore l’adaptation au changement climatique sont en revanche passés à la trappe.

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Marine Le Pen, invitée à s’exprimer en première sur « l’avenir de planète », a déclaré vouloir arrêter « l’hypocrisie » consistant à « refuser de voir que c’est le modèle économique fondé sur le libre-échange qui est responsable d’une grande partie de l’émission des gaz à effet de serre ». La candidate d’extrême droite a présenté comme seules solutions à la catastrophe écologique le « patriotisme économique » et le localisme, sans évoquer la manière dont elle souhaitait améliorer le caractère environnemental de la production française.

Elle a également fait part de son souhait de ralentir la transition écologique : « Il faut qu’elle soit dans le temps, beaucoup moins rapide que ce que l’on impose aux Français. » Une position à rebours du consensus scientifique : selon le Giec, les émissions de gaz à effet de serre doivent plafonner « avant 2025 au plus tard » pour contenir le réchauffement climatique sous le seuil des 1,5 °C.

Lire aussi : Marine Le Pen, à l’extrême opposé de l’écologie

Emmanuel Macron, lui, a fustigé un programme « sans queue ni tête ». « Vous êtes climatosceptique », a-t-il lancé à la candidate du Rassemblement national. Dans une probable tentative de séduction des électeurs déçus des scores de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et Yannick Jadot (Europe Écologie-Les Verts), le président candidat a déclaré avoir été « très frappé » par les derniers rapports du Giec, et vouloir aller « beaucoup plus vite » que durant son quinquennat, au cours duquel la France a été condamnée pour inaction climatique.

Emmanuel Macron a également réaffirmé son souhait de nommer un Premier ministre chargé de la planification écologique. Pendant un (très) court instant, le candidat a fait les louanges de la sobriété et de la rénovation énergétique, « formidables sources d’économies d’énergie et d’emplois ». La conversation a cependant très rapidement bifurqué sur le mix énergétique, éclipsant totalement les autres champs de l’écologie.

Le nucléaire à fond

« L’enjeu des transports, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre, n’a pas été traité, a déploré sur Twitter Anne Bringault, du Réseau Action Climat (RAC). Quel rythme de transformation de l’industrie auto, quels investissements pour le ferroviaire, quelle évolution du trafic aérien ? Nous ne saurons pas. »

L’industrie, le logement et l’agriculture n’ont pas suscité davantage d’intérêt. Silence également sur la diplomatie climatique, la raréfaction des ressources, le déclin massif de la vie sauvage, l’artificialisation des sols ou encore la pollution chimique. L’écologie a été abordée non comme un modèle de société à inventer, mais comme un simple problème technique.

Dans leurs costumes de présidentiables, une photo du palais de l’Élysée en arrière-plan, les candidats se sont contentés de débattre de la place à accorder au nucléaire et aux énergies renouvelables. Côté extrême droite, on prône la mise à l’arrêt des projets photovoltaïques et éoliens, ainsi que le démantèlement des éoliennes déjà en place. Et tant pis si l’ensemble des scénarios énergétiques, de l’association Négawatt au Réseau de transport d’électricité (RTE), jugent impossible d’atteindre la neutralité carbone sans elles. La candidate a également évoqué son souhait de lancer vingt nouveaux EPR, au mépris de toute « rationalité technique », selon le spécialiste de l’énergie Nicolas Goldberg.

Côté LREM, on prône un développement conjoint du nucléaire et des renouvelables, notamment de l’éolien offshore, du solaire domestique et de l’agrivoltaïsme. « Il n’y a pas de stratégie de sortie des énergies fossiles qui passe par le tout nucléaire », a dit M. Macron, qui souhaite tout de même construire six nouveaux réacteurs. Selon le Réseau Action Climat, ces derniers ne pourront entrer en service qu’en 2037 au plus tôt.

Un « vide abyssal, irresponsable »

Avant cet échange, les enjeux énergétiques avaient déjà été brièvement évoqués via la question du pouvoir d’achat. Pour aider les Françaises et Français à faire face à la hausse des prix de l’énergie, Marine Le Pen propose de baisser la TVA sur le gaz et les produits pétroliers de 20 à 5,5 %. Elle a également affirmé être contre le blocage des importations de gaz et de pétrole russe, qui contribuent à financer le régime de Vladimir Poutine. Le chef de l’État sortant a quant à lui déclaré vouloir « dépenser l’argent public pour aider les ménages à rénover leur logement ou à changer de véhicule ». Sans donner de pistes concrètes pour le faire.

« Ce débat confirme (s’il le fallait) qu’aucun des deux candidats finalistes de cette élection n’a la volonté de prendre les mesures structurantes qui s’imposent pour faire face à l’urgence climatique », a réagi Greenpeace France sur Twitter. « Rien de neuf pour Emmanuel Macron, alors que son programme est insuffisant pour respecter l’Accord de Paris. Marine Le Pen a confirmé ses propositions néfastes pour le climat », a regretté Anne Bringault, du RAC. Le climatologue Christophe Cassou s’est quant à lui ému du « vide abyssal, irresponsable » de ces échanges, qui ont fait l’impasse sur les « transformations sociales et systémiques traversant tous les secteurs ».

La légèreté avec laquelle les enjeux écologiques ont été traités au cours des près de trois heures de ce débat présidentiel n’est pas sans rappeler le peu de temps accordé à l’environnement au cours des derniers mois. Selon L’Affaire du siècle, le climat n’a en moyenne occupé que 5 % du temps d’antenne durant la campagne.

En fin d’émission, après s’être étendue sur « l’ensauvagement de la France » et « l’immigration anarchique et massive », Marine Le Pen a jugé « un peu courte » la séquence dédiée à l’insécurité. Le laps de temps accordé à ce qui constitue la « menace la plus grave pour notre planète » n’a en revanche choqué aucun des deux candidats.

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