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EnquêtePrésidentielle

Zemmour, ennemi de l’écologie

Éric Zemmour à Villepinte le 5 décembre 2021.

Le programme écologique d’Éric Zemmour brille par son inexistence, et son point de vue est climatosceptique. Inapte à lutter contre le changement climatique, son idéologie nationaliste, nucléariste et productiviste aggraverait la destruction de l’environnement.

C’était le 5 décembre dernier, à Villepinte. Pendant 78 minutes, le candidat à la présidentielle Éric Zemmour a détaillé devant ses partisans son projet pour « reconquérir la France », « le pays du Concorde et des centrales nucléaires ». 78 minutes à vanter les mérites de la réduction des normes, de l’immigration zéro et de la simplification administrative tandis que, dans le fond de la salle, journalistes et militants antiracistes se faisaient molester. 78 minutes passées sans que la catastrophe climatique et l’effondrement de la biodiversité ne soient évoqués une seule fois.

Au cours des derniers mois, le polémiste d’extrême-droite a multiplié les prises de parole dans les médias, distillant des éléments de son programme et de sa pensée. Reporterre a visionné plusieurs heures de ses interventions à la télévision, à la radio et sur Youtube afin de mieux comprendre son rapport à l’écologie. Il en ressort une vision lacunaire des enjeux écologiques. Muet sur la sixième extinction des espèces, Éric Zemmour remet fréquemment en question la gravité du changement climatique, qu’il ne mentionne que pour justifier la relance de l’industrie nucléaire.

« Sur la pollution, sur la protection des milieux fragiles, il n’y a rien »

« Le point le plus important à retenir de son discours sur l’écologie, c’est l’absence de discours », analyse l’historien Stéphane François, auteur d’un livre à paraître sur l’écologie de l’extrême droite. Éric Zemmour reste selon lui enfermé dans une conception « archaïque » de la nation, obsédée par la grandeur et la puissance. « Sur le bien-être des gens, sur la pollution, sur la protection des milieux fragiles, il n’y a rien. L’écologie ne l’intéresse pas. » Certes, il lui arrive de se faire l’apôtre de la protection des paysages, notamment lorsqu’il s’agit de critiquer les éoliennes. « Mais cela relève davantage de la nostalgie pour une nature éternelle que d’un réel intérêt pour la biodiversité ».

Ce constat est partagé par Simon Persico, enseignant-chercheur spécialiste de l’écologie politique : « L’écologie est pour lui quelque chose de complètement sous-réfléchi, secondaire. Il n’en parle jamais, sauf quand on l’interroge sur la question, et il se montre alors réticent. » En octobre, dans l’une de ses émissions, le présentateur de la chaîne YouTube Thinkerview lui a posé quelques questions sur l’écologie. La chose semblait inhabituelle pour le polémiste, accoutumé à ce qu’on l’interroge sur ses obsessions que sont la sécurité, l’immigration et « l’idéologie woke ». L’orateur chevronné s’est montré plus hésitant que d’ordinaire. Trébuchant sur les mots, il a semblé presque soulagé lorsque la discussion s’est achevée.

Des déclarations climatosceptiques

Selon Simon Persico, certaines prises de position du polémiste s’apparentent au climatoscepticisme. À plusieurs reprises, il s’est interrogé dans les médias sur la réalité du changement climatique. Le 24 septembre 2021, sur le plateau de BFMTV, il affirmait par exemple qu’il y « [avait] des débats » au sein de la communauté scientifique. Une fausse nouvelle parmi d’autres : le polémiste partage fréquemment des mensonges sur le climat et l’énergie, comme nous l’expliquons dans cet autre article. Dans Le Figaro, en 2019, il comparait le réchauffement climatique à une « nouvelle religion ». Les climatosceptiques, déplorait-il un an plus tard, seraient « excommuniés comme jadis les libertins athées » et « toute contestation rationnelle bannie » sous l’effet d’une « machine de propagande bien huilée ».

« Éric Zemmour met souvent en confrontation dans ses discours ce qu’il appelle le "camp du grand réchauffement" et celui du "grand remplacement", relève Simon Persico. Il place ces deux concepts sur le même registre, comme si nous disposions du même niveau de preuve. Or, s’il y a un consensus absolu des scientifiques sur le changement climatique, ce n’est absolument pas le cas pour le grand remplacement. » Parler du « grand réchauffement » comme l’on parlerait du grand méchant loup flirte également avec le complotisme, selon le chercheur : « Le terme d’usage, c’est le changement climatique, pas le grand réchauffement. Ce terme instille un doute, et suggère que son existence pourrait être inventée. »

Conspirationnisme islamophobe

En juin 2020, le polémiste d’extrême droite avait déjà avancé une hypothèse conspirationniste pour expliquer le succès des écolos aux municipales. « Le vert des Verts correspond comme par hasard au vert de l’Islam. Il y a une alliance composite entre tous ces gens qui est derrière le vote vert », avait-il affirmé, témoignant de son incapacité à concevoir les enjeux écologiques en-dehors de son cadre de pensée islamophobe.

Quand il ne remet pas en question la réalité scientifique du changement climatique, le candidat condamné pour provocation à la discrimination raciale en relativise la gravité. En septembre, sur BFMTV, il confessait que la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’était pas sa « priorité des priorités ». En toute logique, les actions engagées pour limiter le changement climatique, comme l’interdiction des terrasses chauffantes et la réduction du trafic routier dans les centres-villes, lui paraissent superflues, juste bonnes à « emmerder » les Français.

Le polémiste s’est opposé au projet de référendum sur l’inscription de la protection du climat dans la Constitution promis par le gouvernement en 2020. « Le seul sujet qui mérite un référendum, c’est l’immigration, estimait-il. La pérennité du peuple français mérite d’être protégée. Autant que le climat si ce n’est plus. »

Lire aussi : Le rôle de l’extrême droite : faire oublier la crise écologique

Éric Zemmour partage son climatoscepticisme avec plusieurs membres de son entourage. Il peut ainsi compter sur le soutien du sulfureux Loïk Le Floch-Prigent, ancien grand patron, condamné dans le scandale Elf pour « abus de biens sociaux et de crédits » et « abus de pouvoir ». L’homme de 78 ans assume de rencontrer régulièrement le polémiste d’extrême droite. « S’il arrive au pinacle, ce serait magnifique, mais s’il est dans la merde, j’y serai avec lui comme tout ami », dit-il, joint par Reporterre.

Loïk Le Floch-Prigent assure « ne jouer aucun rôle dans la campagne », mais « simplement » faire de la pédagogie auprès de lui, au sujet « de la souveraineté industrielle de la France ». « J’ai de l’amitié et de l’affection pour Eric Zemmour, que je côtoie depuis une quinzaine d’années. Vous avez des amis ? Est-ce que vous leur répondez quand ils vous posent des questions ? Ça vous choque forcément parce que M. Zemmour est un raciste, xénophobe, misogyne… Mais je ne pense pas du tout cela de lui », dit cet homme qui se considère comme « complètement de gauche ».

Loïk Le Floch-Prigent a été le PDG de l’entreprise pétrolière Elf entre juillet 1989 et 1993, période durant laquelle la compagnie a instillé le doute sur les causes du changement climatique et les données produites par les scientifiques à ce sujet, selon une étude publiée en octobre dans la revue Global Environmental Change. Aujourd’hui encore, cet ami de Zemmour considère qu’« il n’y a pas de consensus scientifique sur la cause du réchauffement », encore moins sur « l’urgence climatique », et que « les rapports du GIEC ne sont pas un consensus scientifique », dit-il à Reporterre.

Éric Zemmour ne semble prendre au sérieux la menace climatique qu’en une seule occasion : lorsqu’il s’agit de défendre l’atome, seule solution qu’il envisage pour réduire les émissions de gaz à effet de serre françaises. « Abandonner le nucléaire, c’est abandonner notre souveraineté nationale », répète-t-il à l’envi. Quid des risques d’accidents ? Comment gérer les déchets radioactifs générés par la filière ? « Le progrès technique réglera les problèmes créés par le progrès technique, c’est l’histoire de l’humanité », répond-il laconiquement.

« Ses propositions ont plutôt tendance à réchauffer le climat »

Sur le reste, pour l’instant, c’est le vide. Ou plutôt, la promesse d’une poursuite du statu quo productiviste. « Pour le moment, ses propositions ont plutôt tendance à réchauffer le climat », analyse Anne Bringault, coordinatrice des programmes au Réseau Action Climat (RAC). Sur la question des transports, qui représentent 39 % des émissions de gaz à effet de serre françaises, le polémiste s’est par exemple prononcé en faveur de la suppression des limitations de vitesse sur les autoroutes, du retour au 90 km/h sur les routes nationales, et de la fin du droit des maires à créer des zones 30 km/h au sein de leurs communes. « Il n’y a rien sur les reports modaux, les transports collectifs, le train, le vélo », observe-t-elle.

Anne Bringault s’interroge également sur la volonté d’Éric Zemmour de baisser massivement les impôts de production. « Cela revient souvent à faire des cadeaux aux entreprises, surtout aux plus grandes, quels que soient leurs processus de production, dit-elle. Cela risque d’alimenter les activités actuelles climaticides, au lieu d’inciter les entreprises qui reçoivent des fonds publics à s’aligner sur une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris. Éric Zemmour veut favoriser les productions locales, ce qui peut être bien pour limiter le transport. Mais si on les produit avec des procédés néfastes pour le climat, on n’y gagne rien. »

Le repli nationaliste, nuisible à la transition écologique

Son projet de remise en cause de la primauté du droit européen pourrait également être préjudiciable. « En matière environnementale, c’est plutôt l’Europe qui a tiré les États membres vers des positions plus ambitieuses, observe-t-elle. Le repli sur soi national mettrait la France en retard sur la transition écologique. Elle l’entraînerait dans un passéisme qui nous rendrait dépassés par rapport à d’autres pays — comme la Norvège, la Suède ou le Portugal — qui accélèrent sur la mobilité électrique et le développement de nouveaux procédés industriels. » C’est là, selon elle, que se niche le véritable risque de « déclassement » tant décrié par Éric Zemmour.

« Clairement, son approche n’est pas du tout, du tout, du tout à la hauteur des enjeux », insiste Alma Dufour, des Amis de la Terre. Le candidat ne se contente pas de tenir des propos violents sur les étrangers, les femmes, les homosexuels et les musulmans, ni de frayer avec des groupes néonazis. Il est également « à côté de la plaque » sur l’urgence et la gravité de la situation environnementale, selon Alma Dufour. En avril 2020, Éric Zemmour assurait que la « nature » n’était « pas bonne en soi », mais qu’elle avait « toujours été l’ennemie des hommes ». Possible qu’il en soit lui aussi l’ennemi.

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