Yannick Jadot : « Un seul objectif, gagner ! »

Yannick Jadot à Paris, le 30 août 2021. - © Mathieu Génon/Reporterre
Yannick Jadot à Paris, le 30 août 2021. - © Mathieu Génon/Reporterre
Durée de lecture : 14 minutes
Politique PrésidentielleReporterre s’est entretenu avec chacun des candidats à la primaire écologiste pour l’élection présidentielle de 2022. Aujourd’hui, l’eurodéputé Yannick Jadot, qui soutient la fin des accords de libre-échange, la sortie du nucléaire, un treizième mois écolo ou encore un revenu citoyen.
Reporterre publie chaque jour de la semaine le portrait et l’interview de l’un des cinq candidats à la primaire des écologistes, dont le premier tour se déroule du 16 au 19 septembre et le second du 25 au 28 septembre, en vue de la présidentielle de 2022. L’ordre de passage a été tiré au sort.
Reporterre — Quelles sont les trois premières mesures qu’il faudrait adopter pour enrayer la crise climatique et la sixième extinction des espèces ?
Yannick Jadot — Chaque euro d’argent public dépensé dans les marchés publics, les subventions à l’économie et aux entreprises, devra être vertueux pour le climat, la biodiversité, la justice sociale et l’égalité femme-homme. Plus un euro d’argent public ne sera par exemple versé à une entreprise toujours engagée dans les énergies fossiles. À travers la réforme de la Politique agricole commune (PAC) et sa mise en œuvre en France, nous passerons également des contrats de transition agricole qui nous permettront de sortir des produits phytosanitaires de synthèse, pesticides ou engrais azotés qui participent largement au dérèglement climatique et à la disparition du vivant.
Ensuite, nous stopperons les importations de soja et de bœuf provenant d’Amérique latine, ou encore d’huile de palme venant d’Asie du Sud-Est et d’Afrique centrale. Cela passe notamment par la fin des accords de libre-échange. C’est le cœur de mes combats au Parlement européen depuis plus de dix ans. Ces traités organisent la guerre du « tous contre tous », c’est la mondialisation de la malbouffe, de la souffrance animale, de l’extinction des espèces ou de la disparition des paysans. Nous devrons par ailleurs sortir de l’élevage industriel et réduire drastiquement nos consommations de viande, lait et poisson.
Je porte également un grand plan d’investissement de 50 milliards d’euros par an pour reconstruire l’économie, accélérer la rénovation des logements, déployer les énergies renouvelables et tout ce qui relève des mobilités collectives et décarbonées. Je soutiens ainsi l’interdiction de la vente de véhicules thermiques en France dès 2030.
Je défends aussi la mise en place d’un grand ministère de l’Alimentation, de la Santé et de l’Environnement, qui serait le premier ministère du gouvernement écologiste. Ces trois grands enjeux seraient articulés à travers l’approche « une seule santé ». Ce grand ministère permettrait d’extirper les lobbies des décisions publiques essentielles, qui relèvent de l’intérêt général.
La transition énergétique ne se fera pas sans action sur les économies d’énergie, angle mort des politiques. Quelle mesure prendre pour la sobriété énergétique ?
En investissant 10 milliards d’euros dans la rénovation énergétique des logements, en favorisant les rénovations profondes. Cette mesure doit être indissociable de la lutte contre la précarité et, pour mettre fin aux passoires énergétiques, il faut rendre la rénovation thermique possible sans qu’un euro ne soit déboursé par les 2 millions de ménages qui en ont le plus besoin.
Nous devons aussi revoir nos modes de mobilité en rééquipant et réinvestissant massivement dans le ferroviaire, que ce soient les trains du quotidien — nous rouvrirons des petites gares —, de nuit et de marchandises. Pour favoriser les mobilités douces, nous sommes favorables à une prise en charge obligatoire du forfait mobilité par les entreprises, pour les vélos ou les transports collectifs.
L’intérêt de ces mesures est profondément social : quand nous investissons à la fois dans la rénovation thermique et dans les logements sociaux, quand nous différencions les taux de TVA en fonction de ce qui est vertueux ou non, quand nous investissons dans une mobilité accessible pour les familles les plus touchées socialement, nous obtenons ce que j’appelle le « treizième mois écolo du pouvoir de vivre » : l’équivalent d’un treizième mois en économies, qui nous donne du pouvoir de vivre pour faire autre chose que travailler, pour satisfaire des besoins essentiels, en protégeant la vie.
- Yannick Jadot : « Le nucléaire est une énergie dangereuse, opaque. » © Mathieu Génon/Reporterre
Comment sortir du nucléaire ?
Je combats le nucléaire, militaire ou civil, depuis trente ans. J’ai d’ailleurs été espionné par EDF quand j’étais directeur de campagne de Greenpeace. Il n’y a pas d’ambiguïté : le nucléaire est une énergie dangereuse, opaque et menaçant l’existence même d’un service public de l’énergie, puisque c’est l’ensemble de l’entreprise EDF qui est aujourd’hui menacée.
Il faut reprendre le scénario négaWatt qui prévoit des investissements massifs dans la sobriété énergétique — sinon on n’est pas sérieux —, le déploiement tout autant massif des énergies renouvelables, et favoriser les communautés énergétiques locales. Cela doit nous mener à sortir, progressivement, mais inéluctablement, du nucléaire. D’ici vingt ans, et en fermant prioritairement les centrales les plus vieilles et les plus à risque, notamment du fait du dérèglement climatique, puisque certaines sont refroidies par des fleuves qui eux-mêmes se réchauffent trop, ou n’ont plus assez de débit du fait des sécheresses.
Il faut aussi en finir avec l’omerta qui règne sur la réalité du nucléaire en France. Nous devons rendre transparents ses coûts comparés aux énergies renouvelables. Et rappeler qu’il n’existe aucune solution responsable pour les déchets radioactifs. La sortie du nucléaire est aussi un enjeu de rationalité sociale : la transition énergétique telle que nous la portons — sobriété, renouvelables, réseaux intelligents — représente beaucoup plus d’emplois que le nucléaire.
Passer à la VIᵉ République est une priorité largement partagée. Mais quelle évolution de la Constitution vous semble prioritaire ?
L’option Macron, c’est de concentrer tous les pouvoirs et, au fond, de dire « On se revoit dans cinq ans ». Celle que je défends, et que défendent les écologistes, c’est de remettre de la démocratie partout. Je suis favorable à un septennat non renouvelable pour la présidence de la République et à une séparation nette des pouvoirs. Nous voyons aujourd’hui à quel point l’exécutif tente de dénigrer et de remettre en cause l’indépendance de la justice. Les parlementaires devraient avoir plus de pouvoir et être élus à la proportionnelle, pour que les sensibilités politiques soient réellement représentées. Le président ou la présidente doit également être garant du temps long, celui de l’écologie.
Au-delà des institutions, il convient de développer ce qui est lié à la démocratie participative : référendum d’initiative locale, conventions citoyennes, conférences de consensus. Cela passe aussi par plus de démocratie dans l’entreprise. Je propose un système avec 50 % de salariés dans les conseils d’administration et un chèque syndical, qui renforcerait la puissance des syndicats et leur place dans l’entreprise. Nous renforcerons également notre système associatif, avec le retour des emplois aidés dans les associations.
« Je ne veux ni la dilution de l’écologie dans un autre mouvement politique ni une écologie identitaire forcément minoritaire. »
Enfin, nous devons relancer un grand processus de décentralisation : les dernières lois ont généré un mille-feuille de responsabilités, de compétences et d’administration incompréhensible pour les citoyens. Les mégarégions de François Hollande sont une catastrophe. Il faut clarifier, renforcer les compétences des collectivités locales, puisque toute une partie de la transition écologique, du progrès social et de l’émancipation se construit avec les citoyens à l’échelle des territoires.
- Yannick Jadot : « Je ne veux ni la dilution de l’écologie dans un autre mouvement politique ni une écologie identitaire forcément minoritaire. » © Mathieu Génon/Reporterre
Comment faire pour qu’au niveau mondial les émissions de gaz à effet de serre se réduisent fortement ?
La France est le pays de l’Accord de Paris. Cela ne signifie pas qu’elle est la seule artisane du succès de cet accord, mais cela lui donne une responsabilité, celle d’être exemplaire. Aujourd’hui, l’enjeu n’est plus de faire de grands discours, de s’en tenir à des COP débouchant très souvent sur d’autres COP, où l’on sauve plus souvent le processus onusien de négociations que le climat. L’enjeu, c’est l’exemplarité en démontrant, à l’échelle de la France et de l’Europe — puisque les deux sont intimement liés en matière de transition énergétique —, qu’il est tout à fait possible de transformer nos sociétés, que cela participe à relocaliser l’économie et à créer de l’emploi. La construction de la société écologique demandera incontestablement des efforts et des ruptures, mais elle offrira des perspectives passionnantes d’innovations sociales, démocratiques, économiques et technologiques. Nous devons démontrer que la lutte pour le climat est aussi une promesse de liberté et d’émancipation individuelle et collective.
Il faudra également œuvrer pour mettre fin à la mondialisation néolibérale, écocidaire, écologiquement et socialement prédatrice, et s’assurer que les populations les plus fragiles ne soient pas négativement impactées par la lutte contre le dérèglement climatique mais, au contraire, en bénéficient. J’aime aussi l’idée d’un traité de non-prolifération des combustibles fossiles : les pays s’engageraient à mettre fin aux subventions publiques aux énergies fossiles — 55 milliards d’euros par an en Europe—, et à ne plus chercher de nouveaux gisements dans les sols.
- Yannick Jadot : « Je soutiens le rétablissement d’un impôt sur la fortune (ISF), beaucoup plus efficace que le précédent. » © Mathieu Génon/Reporterre
Les riches ont un impact écologique démesuré. Quelle politique de justice redistributive envisagez-vous ?
Les riches ont un impact avec leur consommation, mais aussi leurs placements financiers. Je soutiens le rétablissement d’un impôt sur la fortune (ISF), beaucoup plus efficace que le précédent qui était miné par les dérogations. Je trouve très intéressante l’idée d’un ISF climatique développé par les associations. Nous reviendrons aussi sur la « flat-tax » afin que la fiscalité sur le capital cesse d’être plus attractive que celle sur le travail. La réforme de la fiscalité devra aussi porter sur les inégalités de patrimoine.
Pour les plus vulnérables, je défends donc la rénovation thermique et le treizième mois écolo, mais aussi un revenu citoyen, accessible dès 18 ans, qui démarrerait à 660 euros par mois pour monter progressivement jusqu’au seuil de pauvreté. Il faut donc à la fois rétablir une justice fiscale dans ce pays, mais aussi aider ceux qui sont en bas.
Comment accueillir les personnes migrantes ?
J’ai défendu, avec mes collègues européens, la mise en œuvre de la directive européenne de 2001 sur la protection temporaire, qui avait été adoptée après la guerre au Kosovo mais n’a jamais été appliquée. Elle permet d’accueillir des personnes en danger, en proie à des oppressions, des violences. Et il faut absolument revenir sur le règlement Dublin III, un système totalement dingue qui renvoie toute la responsabilité de l’accueil aux pays de première ligne.
Et puis il est urgent de rompre avec la politique absurde qui consiste à tenter de contrer la migration, d’empêcher de soi-disant « appels d’air » en lacérant des tentes, en renforçant la précarité et l’humiliation des migrants sur notre territoire. Il est urgent de cesser d’abandonner les migrants qui traversent la Méditerranée ou les continents, et sont soumis aux persécutions et à la noyade. Cette politique a déjà fait cette année 1 000 morts en Méditerranée, et près de 20 000 depuis 2014. Elle est inhumaine et inefficace.
- Yannick Jadot : « Il est urgent de cesser d’abandonner les migrants qui traversent la Méditerranée ou les continents. » © Mathieu Génon/Reporterre
Comment mettre fin aux violences policières ?
Il existe plusieurs types de violences. Pour celles liées au maintien de l’ordre, notamment dans les manifestations, nous avons vécu durant ce quinquennat une rupture dans la tradition républicaine du maintien de l’ordre. L’objectif est désormais d’empêcher et de décourager, par la violence, les logiques de nasse, les LBD [1] ou les grenades, celles et ceux qui veulent exercer leur droit à manifester. Ces stratégies blessent lourdement, font peur et mettent également les policiers en danger.
Il y a aussi tout ce qui relève de la politique du chiffre. Elle conduit à une multiplication des contrôles, comme sur le cannabis — je défends sa légalisation —, des contrôles au faciès ou des contrôles de migrants ; ils construisent des logiques de violence et d’humiliation incompatibles avec les missions de protection républicaine que doivent mener les équipes policières.
Je défends l’idée de transformer le ministère de l’Intérieur en ministère de la Protection républicaine, où nous redéfinirions les missions des policières et policiers afin qu’elles soient davantage portées sur la prévention, avec une formation sur les violences faites aux femmes et aux enfants, sur les délits, les discriminations ou encore sur les crimes en matière d’environnement. Nous devons réformer la police — recrutement, missions, effectif, équipements, stratégie — pour qu’elle ne fasse plus peur à un certain nombre de concitoyens, et soit perçue comme un corps protecteur de notre sécurité au sens large du terme, et de nos libertés fondamentales.
La police doit être exemplaire vis-à-vis des citoyens, mais nous devons aussi l’être vis-à-vis d’elle. Nous pourrons alors être plus exigeants. Et évidemment, pour régler les cas de violences, je souhaite que l’IGPN [2] soit transférée à la Défenseuse des droits, pour garantir des enquêtes sur la police objectives et impartiales.
Comment rendre, concrètement, la société moins sexiste ?
En reconnaissant, pleinement et entièrement, l’inégalité profonde qu’il y a aujourd’hui entre les femmes et les hommes. Vis-à-vis des violences, il y a trois viols par heure dans notre pays. L’immense majorité des violences intrafamiliales sont le fait des hommes, dont les femmes sont dramatiquement victimes. Il y a déjà eu 77 féminicides depuis le début de l’année. Il nous faut un grand programme, à l’espagnole, d’investissement massif sur la formation de l’ensemble des actrices et acteurs dans l’éducation nationale, dans la justice, la police et les services publics. Nous devons pouvoir identifier les signaux faibles et venir en soutien.
La différence de salaire reste également considérable entre les femmes et les hommes, et elle est totalement injustifiable. Par l’éducation, notre société doit nous apprendre à être beaucoup plus intelligents, construits et informés sur les questions de genre, d’orientation sexuelle, d’égalité et de discriminations. Malgré le mouvement #MeToo et la parole qui s’est heureusement libérée, nous restons dans une société avec un modèle de consommation extrêmement sexiste. La libération des femmes reste un combat.
Imaginons qu’Anne Hidalgo (PS) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) vous proposent chacun une alliance. Avec qui allez-vous ?
Je leur propose de venir derrière moi parce que nous, écologistes, sommes porteurs du seul projet capable de rassembler largement les progressistes et les humanistes. Je ne veux ni la dilution de l’écologie dans un autre mouvement politique ni une écologie identitaire forcément minoritaire. Il y a cinq ans, parce que ça a été le choix du mouvement Europe Écologie—Les Verts (EELV), nous avons retiré la candidature écologiste au profit du candidat choisi par les socialistes, Benoît Hamon, parce qu’il avait un programme inspiré par l’écologie. Le résultat a été pour le moins décevant. Il faut donc être en capacité d’imposer un rapport de force pour que le rassemblement, dont tout le monde convient qu’il doit se faire autour de l’écologie, se fasse autour de la candidature écologiste. Si je suis désigné, je serai le candidat à la présidence de la République qui garantira qu’il y aura un bulletin vert à la présidentielle et que ce bulletin rassemblera largement, avec un seul objectif : gagner !