Reportage — Grands projets inutiles
En Bretagne, les habitants préfèrent sauver les terres que fabriquer des viennoiseries

Mobilisation contre l'usine de viennoiseries à Liffré, près de Rennes, samedi 4 juin 2022. - © Gwenvaël Delanoë/Reporterre
Mobilisation contre l'usine de viennoiseries à Liffré, près de Rennes, samedi 4 juin 2022. - © Gwenvaël Delanoë/Reporterre
Durée de lecture : 5 minutes
Grands projets inutiles Étalement urbainBridor, du groupe Le Duff, souhaite bâtir une usine de viennoiseries près de Rennes. Une centaine de personnes s’est mobilisée le 4 juin contre l’artificialisation de 21 hectares de terres agricoles.
Liffré (Ille-et-Vilaine), reportage
Entrepôts, parkings, lotissements... À Liffré, comme dans d’autres bourgs près de Rennes, l’urbanisation galope. « Ce n’est plus possible, toute cette bétonisation, on ne reconnaît plus où l’on habite... La Bretagne est en train de devenir vilaine », regrette Clarisse. Samedi matin, elle a rejoint une centaine de personnes devant la mairie pour s’opposer à un projet d’artificialisation de 21 hectares de terres agricoles : la construction d’une usine de viennoiseries Bridor par le groupe Le Duff (propriétaire de Brioche Dorée). Quelques jours auparavant, le commissaire enquêteur rendait un avis favorable avec réserve à l’issue de l’enquête publique. Un choix qui ne fait pas l’unanimité dans la commune, où le collectif Colère s’est monté pour défendre ce bout de bocage conservé.
« Il n’y a pas de meilleur endroit pour cette usine, affirme Guillaume Bégué, le maire de Liffré, qui voit dans Bridor une bonne nouvelle pour l’emploi sur un territoire en pleine croissance démographique. Ce sont les terres les moins bonnes pour l’agriculture, et de l’autre côté de la quatre voies, il y a plus de zones humides. On a bien réfléchi à savoir où il y aurait le moins d’impact. » « Il y a des “compensations”, mais comment peut-on compenser la destruction de chênes centenaires ? interroge Arnaud, membre de Colère, alors qu’une marche s’élance en direction du site, sous la surveillance discrète du peloton d’intervention de la gendarmerie (PSIG). Le lieu est magnifique, avec une grande biodiversité, et une espèce protégée, le muscardin... »

Alors que le soleil de plomb de midi chauffe le bitume des zones d’activités, l’entrée à l’ombre du chemin bocager offre un rafraîchissement bienvenu. La rosée du matin et des flaques subsistent toujours sous le couvert des arbres, malgré « l’alerte sécheresse » décrétée par la préfecture. L’usine s’implanterait sur plusieurs hectares de zones humides, dont la surface totale ne fait pas consensus, les opposants aux projets les estimant « sous-évaluées » dans l’étude d’impact.
Une centaine de camions par jour
C’est là, au pied des bottes de paille, que les prises de parole s’enchaînent au micro. L’importante consommation en eau de l’usine est pointée du doigt. L’urgence climatique, martelée.

« La centaine de camions qui va venir chaque jour à l’usine va-t-elle faire baisser les émissions de gaz à effet de serre ? Non ! Et exporter des viennoiseries à l’autre bout du monde ? Non ! » clame Philippe Rocher, conseiller à Liffré-Cormier Communauté, et anciennement en charge de l’environnement. Le projet du groupe Le Duff l’avait poussé à démissionner en mars dernier. Il n’était pas le seul à s’inquiéter, la Mission régionale de l’Autorité environnementale (Ae) pointait elle-même, en février, des lacunes concernant les mesures compensatoires et le captage du carbone. « Bridor indique s’engager dans une démarche de neutralité carbone à horizon 2030, mais sans indiquer par quelles actions la société compte y parvenir », observait-elle.

Un projet très politique
Le projet est devenu hautement politique, poussant des élus à en prendre publiquement sa défense, et ce jusqu’au sommet de l’exécutif régional. Loïg Chesnais-Girard, le président de la région, a notamment fustigé la présence ce week-end de l’organisation écologiste radicale Deep Green Resistance : « Ses buts [sont la] restauration des écosystèmes et le démantèlement de la civilisation industrielle. Tout est dit. Je ne peux me taire face à cette pente qui abîme l’avenir de la Bretagne. »
« Avez-vous vu, en France ou dans le monde, des manifestations pour réclamer des brioches et des pains au chocolat ? Non ! » lance au micro Daniel Salmon, sénateur écologiste, devant le parterre de manifestants. Pour lui, il s’agit avant tout d’un projet au profit « d’intérêts privés ». En pleine campagne pour les législatives, d’autres élus et candidats écologistes et Insoumis sont venus prendre la parole contre l’usine. Les 500 emplois annoncés par Bridor ne les convainquent pas. Liffré et le bassin rennais connaissent des taux de chômage plus bas que la moyenne nationale (autour de 6 %), et la presse souligne qu’une usine du groupe dans le département voisin peine à recruter, malgré des centaines de postes en CDI. Daniel Salmon renchérit : « Un emploi créé ici par l’usine, on est sûr que c’est deux, trois ou quatre autres détruits ailleurs [...] Il faut sortir de la mise en concurrence entre les territoires. »

Cette logique concurrentielle a poussé la Bretagne à se spécialiser dans l’agroalimentaire, dont Le Duff est un des porte-étendards. Mais ce n’est pas sans conséquences environnementales, ce que rappelle la projection, en fin de journée, du documentaire Bretagne, une terre sacrifiée, présenté par les journalistes Morgan Large et Inès Léraud.
Fort de ces échanges, l’objectif du week-end est atteint selon Hélène, venue en famille d’une commune voisine : « Le mouvement, j’ai l’impression qu’il est tout juste en train de naître, ça ne fait que commencer. » Mais pour Bridor, cela a peut-être déjà trop duré : la presse locale se fait l’écho du groupe Le Duff qui s’impatienterait, et envisagerait de déplacer son projet à l’étranger...