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En Espagne, la campagne électorale oublie l’écologie

Les élections générales espagnoles du 20 décembre sont les plus ouvertes depuis le retour de la démocratie en 1978. Mais l’écologie ne s’impose pas parmi les principaux thèmes de campagne que sont la situation sociale et la fin annoncée du bipartisme.

-  Madrid, reportage

À une semaine du vote, les élections législatives espagnoles, considérées comme les plus importantes des dernières décennies, sont dans toutes les têtes et sur toutes les ondes, elles envahissent les espaces publicitaires et une multitude de sondages noircissent les journaux. Dimanche 20 décembre, les Espagnols doivent élire les 350 députés et les 208 sénateurs au suffrage universel du parlement bicaméral pour un mandat de quatre ans.

Ignorant la trêve électorale, un épais nuage de pollution recouvre la capitale, Madrid. Le débat est ailleurs. Les deux partis historiques, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE, social-démocrate) et le Parti populaire (PP, droite), parviendront-ils à sauver leur domination ininterrompue depuis la chute du régime franquiste face aux nouveaux venus, Podemos (gauche) et Ciudadanos (droite) ? La controverse fait rage, et l’écologie, bien qu’évoquée dans la campagne, se retrouve en queue de liste des priorités.

La crise économique et son lot de misère, d’expulsions, de coupes budgétaires et de licenciements préoccupent davantage les électeurs que le nouvel épisode de pollution qui frappe la capitale ou les températures particulièrement clémentes de ce début d’hiver. Sans compter les innombrables scandales de corruptions qui exaspèrent la population.

« Droits sociaux et environnementaux doivent être liés »

L’Espagne a pourtant de quoi se faire du mouron : la péninsule ibérique est menacée par la désertification alors que les épisodes de sécheresse se succèdent à un rythme alarmant. Le bilan de l’actuel gouvernement de Mariano Rajoy (PP), ne risque pas d’arranger la situation : affaiblissement drastique de la protection des parcs nationaux, du littoral et des zones montagneuses, coup d’arrêt donné au développement des énergies renouvelables et prospection pétrolière en haute mer. La liste n’est pas exhaustive.

« Aucun parti n’a inclus d’engagement important » en faveur de l’environnement dans son programme, juge Theo Oberhuber, coordinateur de projets d’Ecologistas en acción, une importante fédération d’associations écologistes. « Certaines mesures ont été acceptées parmi les propositions des associations de protection de l’environnement, mais pas l’ensemble, or elles sont très interdépendantes les unes des autres », regrette Theo Oberhuber.

Une bannière pour Pedro Sánchez, candidat socialiste (PSOE, social-démocrate) à la présidence du gouvernement, à Tafalla, en Navarre.

Même constat du côté d’Equo, le parti vert espagnol. La formation, qui disposait d’un seul député, part cette fois-ci allié à Podemos dans presque toutes les provinces, « pour sa capacité de transformation et de changement », explique María Pastor Valdés, n° 10 sur la liste à Madrid. « Il n’y a pas eu de réelle intégration du programme d’Equo à celui de Podemos », nuance-t-elle tout en signalant que « seul Pablo Iglesias [le chef de file de Podemos) dit que les droits sociaux et environnementaux doivent être liés. En pleine COP 21, personne ne parlait de ce sujet dans les débats électoraux ! »

Le parti devrait obtenir au moins 60 députés, selon les derniers sondages. Ses prises de positions contre le gaz de schiste et le grand marché transatlantique (Tafta, voir ici et ) ou en faveur de la transition énergétique font de lui, au-delà de son alliance avec Equo, la principale expression politique du tissu associatif écologiste, avec Izquierda unida (IU). Et ce malgré le « relatif manque de consistance programmatique » en matière environnementale que reconnaît Pedro Arrojo Agudo, tête de liste Podemos dans la province de Saragosse, docteur en sciences physiques de l’université de Saragosse et récipiendaire du prix Goldman, en 2003, pour son travail sur « la nouvelle culture de l’eau ». « L’ADN de Podemos est la lutte sociale, rappelle l’universitaire. Mais cela se comprend aussi : le parti a été créé il y a seulement un an [en 2014] et tout a été très vite. Sur un certain nombre de questions, il n’y a pas encore eu de débat sérieux. Ces points seront développés plus tard », ajoute-t-il. L’environnement n’en reste pas moins présent dans le programme. IU, éclipsé par l’émergence de Podemos, présente aussi des propositions en la matière.

Piteux bilan environnemental de la droite

Autre nouveau venu parmi les « grands partis » espagnols, Ciudadanos, créé en 2005 et souvent présenté comme un Podemos de droite, passe, quant à lui, à côté de la question. Cinq déclarations d’intention, de portée très générale, constituent l’abrégé du programme consacré à l’environnement. Sa version longue ne propose pas grand-chose de plus que de respecter les lois et les engagements internationaux existants, à l’exception de la promesse faite de revenir sur le détricotage des lois de protection par le gouvernement Rajoy. Le parti, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, se déclare pour la non-prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, ou favorable à un moratoire sur la fracturation hydraulique. Sur le Tafta, le parti refuse de faire savoir sa position.

Toujours majoritaire dans les enquêtes d’opinion, le PP, qui regroupe la droite et l’extrême droite postfranquiste, ne se caractérise quant à lui pas seulement pour son piteux bilan en matière environnementale. L’un de ses derniers clips de campagnes assurait que Mariano Rajoy n’avait rien contre les baleines : il n’aura pas fallu vingt-quatre heures pour que la vidéo tourne à la farce, avec le rappel de l’autorisation par son gouvernement de la prospection pétrolière dans les eaux des îles Canaries, un des principaux sanctuaires de cétacés dans le monde. Le programme est à l’avenant : un demi-chapitre sur les énergies renouvelables, sans aucun engagement concret hormis la promesse de maintenir la production d’énergie nucléaire. Le parti n’a pas répondu à nos demandes d’entretien.

Une affiche pour Mariano Rajoy, actuel chef du gouvernement espagnol et du Parti populaire (PP, droite). Logroño, Rioja.

Le nouveau parti de la droite catalane, Democràcia i Llibertat, majoritaire aux dernières élections (en coalition), présente des propositions idéologiquement ancrées dans la pensée libérale. « Il est impossible que la Catalogne s’intègre dans l’économie globale sans parier sur l’économie verte », explique Carles Campuzano, deuxième sur la liste du parti.

Force politique historique depuis la transition démocratique [1], le PSOE mène quant à lui une campagne axée sur le bilan ancien du parti, jusqu’aux premières années de José Luis Rodríguez Zapatero, entre 2004 et 2008. « Zapatero a fait approuver, dans les premières années de son mandat, une importante législation sur les ressources et le patrimoine naturels, ou la protection du littoral », rappelle Álvaro Abril Aparicio, coordinateur du groupe sur le changement climatique, le développement durable, l’agriculture, le monde rural et la pêche du PSOE. Un bilan positif que ne remet pas en cause Theo Oberhuber, d’Ecologistas en acción. Mais le parti ne parvient pas à dissiper le souvenir de ses dernières années de gestion, entre 2008 et 2011, beaucoup moins appréciées des associations écologistes.

Coup d’arrêt dû à la crise économique de 2008

Le PSOE mettra « en place une commission fondée sur le principe du consensus avec les autres partis et organisations, pour élaborer un modèle de transition énergétique », promet le coordinateur du parti. « Le dernier réacteur nucléaire doit fermer en 2028 », affirme-t-il également. Autres propositions : arrêt total des projets d’exploitation de gaz de schiste et retour des lois supprimées par le PP. Sur le Tafta, « si les lignes rouges que sont le respect des droits sociaux, environnementaux et du travail sont franchies, nous ne sommes pas d’accord », élude Álvaro Abril Aparicio. Avant de lâcher, devant notre insistance, que « pour le moment, ce n’est pas le meilleur accord, donc pour le moment, c’est non ». « Le problème est qu’ils conditionnent l’environnement à l’économie, et non le contraire », analyse Theo Oberhuber. Les socialistes obtiendraient environ 90 sièges dans le nouveau parlement.

Álvaro Abril Aparicio, coordinateur du groupe sur le changement climatique, le développement durable, l’agriculture, le monde rural et la pêche du PSOE, dans les locaux du parti à Madrid.

De moindre importance, le parti social-démocrate Unión Progreso y Democracia (UpyD), défend un programme axé sur le développement des énergies renouvelables et sur l’incitation aux bonne pratiques plutôt que sur l’amende. UPyD refuse, par exemple, le principe « pollueur-payeur » qui a contribué, selon Carlos Moreno, membre de la direction, à ce que certains « polluent parce qu’il peuvent se le permettre ».

À l’évidence, la prise de conscience de la population en matière d’environnement est réelle en Espagne. Et ce malgré le coup d’arrêt dû à la crise économique de 2008, qui a focalisé le débat sur la question sociale. Bonne dernière des priorités pour le 20 décembre, l’écologie risque cependant encore de passer après tout le reste. Si toutefois les candidats n’enterrent pas tout simplement leurs promesses sitôt les élections passées.

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