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En Tunisie, les « casques verts » font reculer la montagne de déchets

Au nord-est de la Tunisie, on expérimente l’éducation populaire pour régler le problème des déchets, première préoccupation écologique du pays. Une douzaine d’adolescents mène chaque week-end une grande campagne de porte-à-porte et milite pour une gestion participative et citoyenne des déchets.


- Kelibia (Tunisie), reportage

Du quartier rouge au cœur de la ville, jusqu’à la plage ouvrant sur une mer turquoise, la petite bande des casques verts fait la chasse aux « points noirs ». A Kelibia, pas question que les déchets ternissent le décor coloré de carte postale de cette cité côtière du Cap Bon, au nord-est de la Tunisie. Chaque dimanche, les jeunes volontaires scolarisés dans la ville endossent leur couvre-chef à visière aux couleurs de l’écologie et partent sillonner la ville pour sensibiliser les habitants à l’enjeu des déchets.

Le programme des « Casques verts », initié par la Tunisie l’année dernière en partenariat avec les Pays-Bas, vise l’éducation civique des citoyens : « Il est temps de déclarer la guerre à tous les comportements inciviques qui menacent l’environnement et aux ennemis de la propreté », disait le secrétaire d’Etat lors du lancement du projet.

Initialement prévu pour être expérimenté dans huit villes du pays, il n’y a qu’à Kelibia qu’on trouve trace, un an plus tard, de ces agents de la paix environnementale. Le directeur de l’Environnement et de la propreté de la municipalité, Wahid Jenhani, brandit d’ailleurs fièrement le diplôme de « ville la plus propre » que lui a remis l’Etat, le 21 janvier dernier.

Pourtant, le sujet reste plus que jamais une préoccupation majeure dans un pays qui a vu gonfler le volume de déchets depuis la Révolution de 2011 : « L’impact sur la nature du plastique est tel qu’il est plus important de réduire cela que de s’occuper des énergies renouvelables », explique M. Jenhani qui, avec son autre casquette de président de l’Association de l’Environnement de Kelibia, pilote le programme des Casques verts. Pour lui, il s’agit d’un enjeu de santé publique : « Les déchets sont vecteurs de maladie. »

Le poids du tourisme

Mais on peut aussi craindre l’effet sur le tourisme, alors que la plage locale, classée septième « à visiter impérativement avant de mourir » par un journal américain l’an dernier, semble faire la fierté de la ville.

Pourtant, les complexes hôteliers qui se construisent à quelques mètres de la plage pourraient aggraver la situation dans une ville qui voit sa population de 70 000 habitants augmenter jusqu’à 200 000 en haute-saison, et sa consommation tripler en conséquence : « L’été, on passe d’un volume de 60 tonnes de déchets par jour à près de 200 », explique-t-on du côté de l’association.

Problème : aujourd’hui en Tunisie, la politique des déchets est embryonnaire. « Il n’y a aucune vision globale sur les déchets ; le tri n’existe pas, le recyclage n’est pas organisé en concertation avec le système de collecte et il manque des filières de valorisation, sur les déchets organiques par exemple », constate un observateur.

Personne ne sait vraiment qui est responsable de cette politique. L’Etat ? « C’est une compétence historiquement très centralisée, mais le pouvoir est très affaibli en ce moment », explique Hassan Mouri. L’ANGED, l’Agence nationale de gestion des déchets créée par Ben Ali, le dictateur chassé par le peuple en 2011 ? « Cette institution ne fait rien pour protéger l’environnement, elle sert juste à montrer qu’il y a des institutions », assène Mohammed Dhia Hammami, journaliste. Les collectivités locales, officiellement responsables de la collecte ? Elles ont peu de moyens - à Kelibia, le maire n’est même pas salarié. Surtout, leur élection n’étant prévue qu’en 2016, elles restent des symboles de l’ancien régime : « Les citoyens se détournent des municipalités car elles ont été nommées par Ben Ali », constate Wahid Jenhani.

"On discute pour trouver des solutions"

Ce dernier mise donc sur une gestion participative des déchets : « Le citoyen est toujours ignoré dans les politiques sur les déchets, alors qu’il en est le producteur quotidien. » Recueillir les doléances et identifier les besoins en la matière, c’est la grande mission que se fixent les Casques verts, après la sensibilisation : « Les gens sont devenus anarchiques avec la Révolution, il faut élever le point de vue mental des gens sur le déchet », nous explique Mohamed.

Tous les week-ends, cet ancien chef scout retraité de l’enseignement encadre l’équipe de jeunes âgés de 12 à 17 ans qui va à la rencontre des habitants. Les garçons en bicyclette, les filles à pied – « elles n’aiment pas le vélo » semble regretter le président de l’association – les volontaires passent une trentaine de minutes dans chaque foyer pour parler des déchets. « On discute pour trouver des solutions : est-ce qu’ils préfèrent un container au coin de la rue ou des sacs poubelles individualisés pour se débarrasser des déchets ? Quelle heure de collecte leur paraît la plus appropriée ?, etc. », dit Mohamed.

Omayma, Khouloud et Aymen

L’association se veut un lien entre la municipalité et le citoyen. Après quelques mois, le verdict est tombé : sacs plastiques – bleu pour le plastique, marron pour l’organique et rouge pour le toxique – et passage du camion, le soir, à 19 h – sauf le mercredi, jour sans collecte. Et après ? Décharge municipale, enfouissement… la suite est plus floue.

Mais l’important est sûrement ailleurs. Dans la ville, les habitants se félicitent de ce programme. « C’est mieux qu’avant », nous dit une vieille femme sur son perron. Et bien qu’un peu scolaires – mais surtout intimidés par le micro ! – les jeunes Casques verts se félicitent de leur action, comme nous le racontent Aymen, Khouloud et Omayma :

« L’éco-citoyenneté passe par un changement de comportement volontaire, il faut intégrer l’habitant à la discussion sur les politiques de déchets », insiste Wahid Jenhani. La démarche des casques verts va dans ce sens. Reste désormais à savoir si elle sera capable de se dupliquer sur l’ensemble du territoire.

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