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EntretienEau et rivières

En pleine guerre, les habitants du Rojava plantent des arbres

Depuis 2020, l'initiative écologique populaire Tresses vertes, au Rojava, tente de reboiser massivement la région du nord-est de la Syrie.

En dépit de la guerre au Rojava, une initiative écologique populaire tente de reboiser le nord-est de la Syrie. L’objectif : retrouver un environnement sain.

Ziwer Ceikho est cofondateur et porte-parole des Tresses vertes, une association du Rojava qui souhaite replanter des arbres dans un territoire touché par la désertification. Il était de passage à Paris pour recevoir le prix de la fondation Danielle Mitterrand.


Reporterre — Où en est la situation géopolitique du Rojava ?

Ziwer Ceikho — Deux semaines avant mon arrivée en France, la région du nord-est de la Syrie a subi de nouvelles attaques aériennes. Le gouvernement turc a ciblé les ressources vitales : les stations de pompage d’eau, les hôpitaux, les locaux municipaux, les centrales électriques… Quarante-huit infrastructures ont été visées. Ce territoire autoadministré n’a jamais été reconnu par le régime syrien ou turc car nous sommes un système démocratique qui réunit une diversité culturelle, ethnique et multiconfessionnelle. Si le régime reconnaissait un tel système d’organisation, il faudrait qu’à son tour la Turquie accepte que les 20 millions de Kurdes qui résident sur son territoire aient droit, eux aussi, à l’autodétermination.

L’association a démarré une pépinière de 17 000 semis, cultivés sur un terrain prêté par l’université de Qamishlo. © Tresses vertes

Les bombardements ne sont pas les seules armes utilisées par la Turquie pour déstabiliser la région…

L’eau est utilisée comme une arme de guerre contre les régions kurdes. En construisant des barrages, comme le projet Gap [1], la Turquie tente d’assécher les régions du reste de la Syrie et de faire fuir les habitants. Les ressources en eau viennent majoritairement de la Turquie, via l’Euphrate et le Tigre, et descendent jusqu’aux plaines de la Syrie. Aujourd’hui, à cause du réchauffement climatique, ces deux grands fleuves ont atteint le niveau le plus bas de leur histoire et sont sur le point de s’assécher.

« Nous espérons augmenter les pluies, baisser la température... »

Cela crée des problèmes sanitaires : à cause des barrages, l’eau de la rivière Jaqjaq qui traverse la ville de Kamcho est désormais stagnante, en plus d’être polluée par les rejets des usines. La biodiversité qui existait autour de cette rivière a disparu. Nous avons vu beaucoup d’arbres mourir, d’oiseaux partir… Et bien sûr, cela a un impact sur la situation économique des villageois. Les populations ne peuvent plus utiliser l’eau, les agriculteurs ne cultivent plus que du blé en espérant voir tomber la pluie, et certains ont dû se résoudre à abandonner leur culture.

Ziwer Ceikh, à Paris : « Recréer un lien plus sain à notre environnement est une question de survie. » © Léa Dang / Reporterre

Pourquoi avoir fait de la reforestation la priorité de votre association ?

Nous avons constaté que le pourcentage d’espaces verts était très faible. En 2008, il était de 5 % dans le nord-est de la Syrie. Aujourd’hui, il est seulement de 1,5 %. Nous avons aussi constaté, via les données de l’hôpital de Damas, que 80 % des patients atteints de cancer venaient de notre région, à cause des puits d’extraction de pétrole qui se trouvent parfois à l’intérieur même des cours des habitations. Pour nous, recréer un lien plus sain à notre environnement est une question de survie.

À travers ce projet de reforestation, nous espérons augmenter les pluies, baisser la température — qui peut atteindre 45 °C en été —, adoucir nos hivers, mais aussi diversifier notre alimentation. Tout cela contribue à une meilleure santé et au bien-être psychologique des habitants, tout en luttant, à notre échelle, contre les effets du changement climatique.

Pour le moment, l’association compte sur l’eau de pluie et sur les réserves d’eau souterraine. © Tresses vertes

Avec la crise de l’eau qui s’ajoute à toutes ces difficultés, comment avez-vous réussi à mettre en place le projet Tresses vertes ?

Nous avons débuté cette initiative sans aucun budget, en récupérant gratuitement des graines pour planter nos semis. C’est grâce à la collaboration des écoles, des administrations, du personnel de l’université du Rojava, et même des forces armées, que nous avons réussi à démarrer une pépinière de 17 000 semis cultivés sur un terrain prêté par l’université de Qamishlo, [2] avec comme objectif de planter, d’ici cinq ans, quatre millions de semis de différentes variétés. Pour le moment, nous comptons sur l’eau de pluie et les réserves d’eau souterraine. Mais nous avons conscience que cette ressource est un défi pour l’avenir, surtout quand les jeunes arbres quitteront les pépinières. Aujourd’hui, une soixantaine de groupes de bénévoles se sont formés un peu partout dans la région. Nous espérons ainsi, à travers cet apprentissage collectif, cultiver durablement les esprits.

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